lundi 24 janvier 2011

Lettre à Juliette

Samedi dernier, au 13 heures15 de France 2, il y avait un reportage sur les mini-miss. Une gagnante, quatre dauphines et... beaucoup de déçues...

Une jeune "coach" défendait ces concours. "Regardez vivre les petites filles, disait-elle. Dans leur chambre, dans la cour de l'école, elles jouent à défiler comme ça. Ce concours, c'est juste leur jeu qui continue !" Comme si c'était la même chose de jouer à ça avec quelques copines ou de défiler devant un jury et un public inconnus après avoir passé des dizaines, peut-être des centaines d'heures à s'entraîner pour ça, à ne penser qu'à ça comme si leur vie en dépendait... A neuf ans !...

Alors j'ai eu envie de faire cette lettre. Si vous connaissez la petite Juliette, faites la lui passer !

Petite Juliette,

Je t'ai vue, samedi dernier, à la télé, où tu pleurais parce que tu n'avais pas réussi : on ne t'avait pas donné d'écharpe. Et c'était normal que tu pleures, puisque tes espoirs étaient déçus, puisque tes efforts n'étaient pas récompensés. Mais c'était bien dommage aussi que tu pleures pour un aussi petit rêve, qu'à cause de ça tu te sentes « dévalorisée », comme te l'a suggéré la journaliste. Alors l'envie m'a pris, à moi qui suis un vieux papy, de t'écrire pour te le dire.

Bien sûr que non, tu n'es pas moins jolie que les autres. D'abord, plus jolie, moins jolie, qu'est-ce que ça veut dire ? Il y a beaucoup de façons différentes d'être jolie. Tu n'es pas moins jolie que celles qui ont gagné une écharpe : tu es jolie autrement. Celles qui ont gagné ne sont pas plus jolies que toi : elles ressemblent seulement davantage au modèle que les membres du jury ont dans la tête, une poupée Barbie vivante, qui bouge comme un mannequin et qui récite si bien la leçon qu'elle a apprise pour se présenter qu'on croirait qu'elle improvise et qu'elle adore ça. Elles y sont arrivées à force de s'entraîner comme si c'était la chose la plus importante de leur vie. Au moment où elles défilent, elles sont arrivées à ce que la poupée Barbie ait complètement pris la place de la petite fille qu'elles sont en réalité. En fait elle a tellement pris de place dans leur vie, la poupée, avec tout ce temps passé à s'entraîner, physiquement mais aussi beaucoup dans leur tête, qu'on se demande s'il en reste un peu pour la petite fille qu'elles sont en réalité.

Toi, tu es encore débutante, dans ce jeu dangereux. Tu es encore une vraie petite fille, qui a envie qu'on lui donne une écharpe où il y a marqué qu'elle est jolie parce qu'elle voudrait bien, mais qu'elle n'en est pas vraiment sûre. Une petite fille timide, qui voudrait être capable de se montrer comme celles qui ont l'écharpe : jolie et sûre d'elle. Mais qui n'est tellement pas sûre d'elle qu'elle veut des gros bijoux pour se cacher derrière. Et ça, c'est un mauvais calcul : quand tu as défilé devant les membres du jury, tes grandes boucles d'oreille brillaient tellement qu'ils n'ont même pas vu tes yeux, qui sont si jolis. Mais en fait c'est tout ce jeu qui est un mauvais calcul : parce que tu es timide et inquiète, tu voudrais ressembler à ces filles qui ont l'air de n'être ni timides ni inquiètes. Tu comptes sur le jury pour te rassurer. Mais ce jury ne te connaît pas. Il ne connaît pas non plus les autres petites filles. Ce n'est pas elles, ce n'est pas toi qu'il classe : ce sont les poupées Barbie auxquelles vous essayez de ressembler.

Tes parents t'ont encouragée à faire ce concours, pour te faire plaisir, puisque tu en avais envie. Et puis aussi parce qu'ils sont tellement fiers de toi qu'ils voudraient que le monde entier t'admire. Mais ça sert à quoi, que des gens qui ne te connaissent pas te disent que tu es la plus belle ? Qu'est-ce qu'ils en savent, puisqu'ils ne te connaissent pas ?

Petite fille inquiète, à qui un monde d'étourdis a donné de drôles d'idées, écoute ce que te dit un veux papy qui en a vu d'autres : ta plus belle écharpe, c'est celle que tu as dans les yeux de ton papa et de ta maman, qui te connaissent et qui t'aiment. Parce qu'eux, ils savent comme tu es jolie le matin, quand tu sors de ton lit, toute décoiffée, pas encore bien réveillée, quand tu sors de ta douche, les cheveux encore tout collés, quand tu ris parce que tu t'amuses, quand tu es toute rouge et essoufflée parce que tu as couru, quand tu réfléchis, quand tu rêves, quand tu boudes même, je veux dire quand tu es vraiment toi.

Laisse les fous juger les folles. Et si tu as vraiment envie de jouer à leur jeu, apprends à jouer la comédie, pour arriver à leur faire croire que tu ressembles à ce qu'ils veulent. Mais quand tu joueras ce personnage de poupée, souviens-toi que ce n'est pas toi !

1 commentaire:

Unknown a dit…

Ces concours sont pour ma part purement honteux car les participantes ne se rendent pas compte de ce que c'est.