mardi 26 août 2008

Le garçon à l'ombre 6



- Alors ? demandèrent ensemble Ily, sa mère et ma sœur.


- Deux cents kilos d'ail.


Le seul qui parut n'éprouver que de l'étonnement fut Ily. Le sang monta aux joues d'Isy, tandis que le visage de Nadia se décomposait.


- Il nous a retrouvés ! souffla-t-elle enfin.


- Mais qui ? questionna Ily.


- Mon père. Il faut que je vous dise tout maintenant, continua-t-elle en se tournant vers nous. Ily non plus ne sait pas : je voulais le protéger, pardonnez-moi. Ily, mon petit, il faut que tu saches maintenant : ton père était un vampire. La maladie des enfants de la lune, le xeroderma pigmentosum, ça existe et ça nous a bien arrangés comme alibi, mais toi c’est différent : ton père était un vampire.


Mes réflexions avaient beau m'avoir préparé à cette révélation, je n’avais jamais vraiment cru aux histoires de vampires. Entendre cet aveu de la bouche de celle dont la parole à ce sujet ne pouvait être mise en doute me laissait sans voix. Pendant d'interminables secondes, nous restâmes tous les quatre figés. Puis des larmes commencèrent à couler sur les joues d'Ily. Alors Isy, qui ne l'avait pas quitté des yeux depuis que j'avais parlé de l'ail, s'approcha de lui et l'embrassa sur les lèvres. Puis elle s'assit à son côté et passa son bras autour de ses épaules en regardant Nadia.


- Merci Isy. Tu es une fille merveilleuse, reprit Nadia. Mais personne n'a rien à craindre d'Ily. De son père, il n'a hérité que ce qui lui fait mal, à lui. Seulement ça, mon père à moi ne le sait pas. Celui qui a apporté cet ail ici, la nuit dernière, ça ne peut être que lui. Il veut le tuer, c'est certain.


- Mais, dis-je, je croyais que les vampires ne pouvaient pas mourir !


- Ils peuvent ! Ils peuvent, hélas, sinon le père d'Ily serait avec nous ! Vous connaissez les légendes : le pieu dans le cœur, la lumière du soleil qui peut les réduire en cendres. Tout cela est vrai. Et l'ail, qui peut provoquer l'asphyxie. Mon père a essayé l'ail. Quand il saura qu'Ily a survécu, il recommencera autrement. Peut-être il sait déjà. Non, Ily ne pourrait vous faire aucun mal, même s'il ne vous aimait pas, mais mon père ... Je n'aurais jamais dû vous amener ici cette nuit. Peut-être je devrais vous ramener chez vous ...


- Tu ne peux pas Nadia. Tu ne peux pas quitter Ily, répondit doucement Isy en se serrant davantage contre lui. Et nous ne pouvons pas rentrer seuls. Il faut que nous restions ici ensemble.


- Mon Dieu, tu as raison, répondit Nadia. Mais quand il fera jour, ce sera pire encore ! Ily sera encore plus en danger !


- Demain, on verra. On trouvera une solution. Pour l'instant, on passe la nuit ensemble, comme prévu !


- Ton père ne sait peut-être pas qu'il n'a pas réussi. intervint Ily, qui semblait avoir retrouvé ses moyens et qui avait, à son tour, passé un bras sur les épaules d'Isy. S'il ne le sait pas, il n'y a pas de raison pour qu'il se manifeste cette nuit. Et s'il le sait, c'est à l'approche de l'aube qu'il faudra se méfier. Il profitera de la nuit pour s'approcher du chalet, mais s'il veut me tuer en m'exposant au soleil, il a intérêt à ne pas devoir l'attendre trop longtemps.


- Comment devines-tu cela mon enfant ? C'est comme cela qu'il a tué ton père !


- Mon Père ... Parle-moi de lui, Maman. Tu m'as dit qu'il aidait des gens recherchés par la police politique à se cacher, mais tu ne m'avais jamais dit que c'était ...


- Un vampire ? J'étais déjà enceinte quand je l'ai su. Et je ne crois pas qu'il ait jamais tué personne. Sauf des agents de Ceaucescu peut-être. Il ne m'a pas dit. Tu sais, les vampires ne passent pas forcément leurs journées dans un cercueil, comme au cinéma, et s'ils ont besoin de sang, ce n'est pas forcément de sang humain. Quand j'ai rencontré ton père, je rendais des services à un réseau de dissidents. Pas grand chose : je portais des messages. Et comme mon père était un responsable de la police, à Brasov, quelquefois je pouvais savoir des choses utiles. Il ne se méfiait pas de moi. Brasov, c'est une ville assez importante, deux cent mille habitants à peu près, dans les montagnes de Transylvanie. Roxana, ma meilleure amie, faisait partie aussi du réseau. C'est chez elle que j'ai rencontré Vlad. On savait peu de choses de lui. Tu sais, c'est le principe de ces réseaux : moins on en sait les uns sur les autres, moins on risque d'en dire si on est arrêté. Elle m'avait seulement dit qu'il venait la nuit prendre en charge les dissidents qui étaient recherchés par la police, pour les conduire à des cachettes dans la montagne, en attendant que d'autres puissent organiser leur passage à l'Ouest. Il connaissait parfaitement les montagnes, et il était capable d'y conduire un groupe dans l'obscurité. Il était très précieux pour notre organisation.


"Quand je l'ai vu, j'ai tout de suite été amoureuse. Il était entièrement vêtu de noir, grand, mince, blond, beau ! ... Je pense que quand tu auras trente ans tu seras tout à fait pareil. C'était un héros et j'avais vingt ans ... Je crois que lui aussi il m'a aimée tout de suite.


"Je pouvais facilement venir le soir chez mon amie : nous nous connaissions depuis toujours et mon père ne se méfiait pas plus d'elle que de moi. Elle me servait d'alibi quand j'avais besoin de sortir la nuit pour une mission. Elle nous a aussi servi d'alibi pour nous rencontrer. Vlad était très tendre avec moi. Je n'ai jamais imaginé que c'était un vampire. D'ailleurs je ne croyais pas à ces légendes.


"C'est mon père qui me l'a dit, et d'abord je n'ai pas voulu le croire. Un matin, alors que je commençais à penser que j'étais probablement enceinte, il est entré dans ma chambre et il m'a dit calmement : "Nadia, tu ne verras plus Roxana, elle est morte." J'ai failli m'évanouir. Il a continué :"Nous avions de bonnes raisons de supposer qu'elle faisait partie d'une organisation dissidente. Quand on est allé l'arrêter, je me suis arrangé pour qu'elle soit tuée en tentant de fuir. Si elle en faisait partie, tu en fais partie aussi et je ne voulais pas qu'elle puisse le dire. Elle aurait parlé, tu sais. Tout le monde parle. Je l'ai tuée pour te protéger. C'était mieux pour elle aussi d'ailleurs. Elle n'a pas souffert. Pour toi aussi ce serait mieux, si on devait t'arrêter. Tu voyais beaucoup Roxana. Si tu n'étais pas ma fille, ça aurait déjà suffi à mes collègues. Je ne suis pas sûr de pouvoir te protéger longtemps. Alors écoute-moi. Il y a un bon bout de temps que je ne prends plus tes amis dissidents pour des ennemis du peuple. Mais je tiens à ma peau, et je continue donc à faire mon métier, qui est de les traquer. Toi, si tu veux sauver la tienne maintenant, il faut te servir de tes relations pour quitter le pays, le plus vite possible. Je m'arrangerai pour qu'on oublie de te surveiller. Mais j'ai besoin d'une contrepartie, pour ne pas être accusé de complicité. Il faut que tu me donnes Vlad le Vampire. Non ! Ne me réponds pas tout de suite ! Réfléchis !" Et il sortit.


"Je ne sais pas comment j'ai fait pour retrouver tout de suite mon sang froid. C'était comme s'il y avait une fille qui parlait à ma place, et que cette histoire ne la concernait pas. Je l'ai suivi en lui demandant : "Qu'est-ce qui te fait penser que je connaîtrais un Vlad le Vampire ?" Il m'a dit : "Laisse tomber, je le sais. Et ne me mens plus, tu vois bien que je ne cherche qu'à te sauver." J'ai repris : "En admettant que je connaisse un Vlad, pourquoi lui donnes-tu ce surnom ridicule ?" Il m'a répondu : "Parce que c'est un vampire ! Officiellement, ça n'existe pas, et en réalité ça n'existe presque plus, car nous avons réussi à les exterminer presque tous, mais celui-là nous a toujours échappé, et je sais qu'il travaille avec vous. Alors les dissidents, ça va, c'est peut-être eux qui représentent l'avenir, mais les vampires ! Il faut en finir avec eux. Il ne faut pas qu'il en reste un seul ! Je ne te demande pas de trahir un dissident, je te demande de me livrer un vampire !" Je me suis entendue répondre : "Bien. Mais pour que je puisse organiser mon départ et te le livrer, il faut que tu me laisses libre de mes mouvements. Sans Roxana, je vais avoir un peu de mal à retrouver des contacts, et s'ils ont la moindre raison de croire que je les mets en danger en les cherchant, ils n'hésiteront pas à m'éliminer. D'accord ?" Il a dit : "D'accord, mais fais vite ! Tu m'as compris."


"Bien entendu, je ne croyais toujours pas que ton père était un vampire, et je n'avais pas la moindre intention de le trahir. Il ne s'agissait que de gagner du temps. D'autant plus qu'en réalité il ne m'était pas difficile du tout de renouer des contacts puisque j'avais rendez-vous le soir même avec Vlad, ailleurs que chez Roxana. Je lui ai rapporté tout ce que mon père m'avait dit, et c'est alors qu'il m'a répondu : "Ton père a raison, Nadia. Je suis un vampire. Mais je suis un vampire amoureux." Et il m'a expliqué qu'il vivait au fond d'une grotte, dans la montagne, n'en sortait que la nuit et ne faisait de mal à personne, et que, depuis notre rencontre, il ne rêvait que de pouvoir vivre avec moi comme n'importe quel mortel. Je lui ai révélé alors que je pensais être enceinte. Il m'a embrassée en me disant que c'était merveilleux, mais il y avait dans son regard quelque chose que je n'ai compris que plus tard.


"Il s'est occupé de préparer mon évasion. Il devait me conduire jusqu'à sa grotte, où un autre guide viendrait me chercher pour l'étape suivante. Il ne m'accompagnerait pas tout de suite parce qu'il ne pouvait se déplacer que de nuit, mais il connaissait mon itinéraire et devait me rejoindre rapidement. En disparaissant beaucoup plus tôt que je ne l'avais dit à mon père, je comptais pouvoir lui échapper sans rien lui donner en échange.


"Mais il avait dû se méfier, ou peut-être, pour me protéger de ses collègues, avait-il dû leur révéler qu'il comptait sur moi pour le conduire à Vlad. En tout cas c'est ce que j'ai fait, bien malgré moi. Quand le guide est venu me chercher dans la grotte de Vlad, il nous a dit que des policiers étaient en train de s'en approcher discrètement, mais qu'on devait encore pouvoir leur échapper. L'aube approchait. Alors ton père m'a dit : "Je ne peux pas vous accompagner, tu sais pourquoi. Et si je reste au fond de ma grotte, maintenant qu'ils en ont découvert le chemin ils finiront par me trouver. Alors je vais faire une diversion, pour que vous puissiez leur échapper plus facilement. Non, ne proteste pas : l'important, c'est que tu sois en sécurité, avec notre enfant. Et puis de toutes façons, je n'avais pas voulu te le dire, mais je n'avais plus que quelques mois à vivre. Je me serais affaibli progressivement et le jour de la naissance de notre enfant je serais mort. Ne pleure pas ma chérie, c'est bien ainsi. Avec toi, j'aurai connu un véritable amour. J'en connaissais le prix."


"Tandis que ton père se postait derrière un rocher, près de l'entrée de la grotte, le guide m'entraînait. Quelques minutes plus tard, pendant que nous nous éloignions, nous avons entendu des coups de feu. Cela a duré longtemps. Jusqu'au lever du soleil ...


"Voilà qui était ton père et comment il est mort. Et maintenant c'est toi que ton grand-père veut tuer parce que tu es le fils d'un vampire.


- Mais Ily ne fait de mal à personne, et c'est son petit-fils ! protesta Isy. S'il le connaissait, il ne voudrait plus le tuer, c'est sûr.


- Peut-être, répliqua Nadia. Mais pour l'instant, il ne le connaît pas, et il a essayé de l'empoisonner.


- Ce qu'il faudrait, dis-je, c'est le faire prisonnier, pour l'obliger à faire connaissance, et pouvoir s'expliquer avec lui.


- C'est une bonne idée, il va falloir y réfléchir. S'il nous en laisse le temps. Parce que pour cette nuit, ça me paraît difficile à réaliser, et il faut se reposer. Alors deux qui dorment et deux qui surveillent, parce que rester éveillé tout seul, ça me paraît pas évident, proposa Ily. D'accord ? Il est minuit, on change à trois heures. Trois heures, ça devrait aller pour récupérer et tenir jusqu'à six heures. Qui prend le premier tour de garde avec moi ?


- Moi ! décida évidemment Isy.

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