
L’été de Charly
Paul Antolini
2008
Charly ! Voilà le prénom dont m’ont affublé mes parents pour satisfaire un parrain que je n’ai vu que … le jour de mon baptême !!! Par contre, le surnom de « Chacha » est longtemps resté accroché à ma personne, comme une casserole à la queue d’un chien, empoisonnant toute mon enfance. Je ne suis pas fâché d’en sortir.
Au début des années soixante-dix, j’entre en quatrième dans un collège privé de garçons. Autant dire que mes copains et moi, nous n’avons pas la tâche facile pour rencontrer ces demoiselles. Cette situation ne fait qu’attiser un peu plus notre curiosité car, à quatorze ans, nous commençons à leur porter grand intérêt. Nous mourons d’envie de voir des filles nues. Je veux parler de filles de notre âge, avec des seins et des poils parce que les petites ne nous intéressent pas. Nous savons tous à quoi elles ressemblent : jusque vers l’âge de neuf ou dix ans, il nous est déjà arrivé de prendre la douche ou de nous baigner nus avec une sœur ou une cousine pendant les vacances.
Luc, dont les parents tiennent une presse, réussit de temps en temps à « emprunter » un journal avec des photos de filles où on voit tout. Les adultes appellent ça des photos de charme et il est vrai qu’elles n’en manquent pas. Mais ce ne sont que des photos. Aussi, quand Gérard s’est vanté que sa copine lui avait permis de lui enlever le soutien-gorge, nous avons rêvé à ce qu’il avait dû voir et… toucher, le veinard ! Comme nous aurions voulu être à sa place !
§
Vers le début du mois de juin, nous commençons à évoquer nos projets de vacances. Moi, je suis persuadé que ce sera les Landes comme ces trois dernières années. Si nous avions dû changer de destination, mes parents m’en auraient probablement déjà parlé. Pourtant, aujourd’hui un doute m’envahit, une sorte d’intuition. Il faut que j’en aie le cœur net. En rentrant du collège, je questionne maman :
- M’man, il commence à me tarder les vacances pour m’éclater avec François, David, et Julien. On retourne bien dans les Landes, au moins ?
- Justement, Chacha,…
- Ah, m’appelle plus Chacha, tu sais que j’ai horreur de ça.
- Pardon, mon chéri. J’ai parfois du mal à réaliser que tu grandis… Je voulais te le dire depuis quelques jours : cet été nous ne pouvons malheureusement pas partir. Tu sais que papa a changé de travail. Les plus anciens sont passés avant et il ne lui est resté que la deuxième quinzaine de septembre et la première d’octobre. Tu iras donc chez papy et mamie, comme avant.
- Oh non ! Et mes copains ? Qu’est-ce que je vais faire tout seul avec papy et mamie ?
- Ne t’inquiète pas, tu ne seras pas tout seul, tes cousines seront avec toi. Elles y vont une année sur deux parce que tatie et tonton ne peuvent pas partir chaque année. Cette année, tu as de la chance, elles y seront. Vous vous retrouverez donc tous ensemble.
- C’est gai !
- Oh, ne rouspète pas ! Nous aussi, nous voudrions bien retourner à la mer. Tu crois que nous travaillons l’été pour notre plaisir ? Et puis tu t’es toujours bien entendu avec Delphine pour faire des…des bêtises. D’ailleurs, vous tâcherez cette année d’être raisonnables et de ne pas faire enrager vos grands-parents. Nous viendrons vous voir le 15 août.
Je ne puis m’empêcher de sourire à l’évocation de certains souvenirs mais je suis partagé entre la déception et la joie. Mes cousines, je les aime comme des sœurs, surtout Delphine, celle de mon âge. Petits, nous voulions toujours les mêmes choses, partager les mêmes jeux. Nous avions même décidé que nous nous marierions ensemble quand nous serions grands. Et depuis nous avons gardé l’habitude de nous faire les bisous sur les lèvres au lieu de nous les faire sur les joues. De temps en temps aussi nous nous appelons « chéri(e) », quand ça nous vient. La famille y est tellement habituée que personne n’y fait plus attention. Nous non plus d’ailleurs, c’est un réflexe. Mais depuis quatre ans, nous ne nous voyons plus que pour les réunions familiales ou pendant une partie des vacances intermédiaires. Finalement, je ne suis pas si fâché que ça de passer l’été avec elles. Les vacances auraient pu être bien pires.
- T’inquiète pas m’man, on n’est plus des gamins. On est quand même plus calmes maintenant.
§
Papa m’installe dans le train et, à la gare de Valence, papy me réceptionne. Maman ne veut toujours pas que je prenne la correspondance tout seul. Elle redoute que je manque l’unique car de la journée. Elle ne se rend vraiment pas compte que je ne suis plus un bébé.
- Mon Dieu comme tu as changé depuis Noël, Charly ! s’étonne-t-il en m’embrassant, un vrai petit homme !
- Ben oui papy, j’ai quatorze ans, dis-je, fier de ma nouvelle voix que je m’efforce de rendre aussi grave que possible. Maman m’a dit que mes cousines passent aussi les vacances avec nous. Elles arrivent quand ?
- Je retourne à la gare les chercher dans cinq jours. Bon sang, ta grand-mère va te trouver drôlement grandi !
Gagné ! J’ai droit à son émerveillement. Vous savez, celui qui fait paraître les grands-parents gâteux aux yeux des adolescents et qui vous fait honte quand il se déroule devant les copains. Mais je me garde bien de la moindre remarque pour ne pas risquer de la peiner. Elle est si bonne avec moi, ma chère mamie, toujours aux petits soins, toujours à se mettre en quatre me faire plaisir. De plus, nous sommes seuls.
- Pose tes sacs dans ta chambre. Si ça te fait plaisir, tu as juste le temps de prendre un bain pour te rafraîchir avant de manger.
- Volontiers, mamie, il fait tellement chaud !
- Papy a aménagé la remise en laverie et séchoir à linge. Tu sais que j’interdis toujours les maillots mouillés dans la maison. Avec tes cousines, vous l’utiliserez comme vestiaire. Nous avons pensé qu’à votre âge vous ne voudriez plus vous changer ensemble au bord du bassin comme quand vous étiez petits. Sandrine, elle, ça ne la dérange pas encore ; elle est toujours aussi spontanée.
- Ah oui ! Je me souviens ! Vanessa ne se changeait plus avec nous.
- Oui, c’est parce que tu étais là. A treize ans, elle était devenue une jeune fille et elle ne voulait pas qu’un grand garçon de dix ans la voie toute nue. Toi aussi tu es entré dans cette période maintenant. Papa nous a dit que tu es devenu pudique en grandissant. C’est un peu normal quand les corps changent.
- C’est vrai mamie. Moi non plus, je ne veux plus trop. Enfin, ça dépend avec qui. C’est drôle quand même. Quand on est petit on n’y pense même pas. Tu te rappelles, avec Delphine et Isaline, le soir quand il faisait chaud, nous enlevions nos pyjamas et nous sautions tout nu dans la piscine. Mais maintenant, j’aurais honte avec elles.
Je pose mes sacs dans la chambre et ressors de la maison, mon maillot et ma serviette à la main. Papy m’explique :
- Va poser tes affaires dans le vestiaire. Après le bain, quand tu seras changé, tu laisseras ton maillot et ta serviette à sécher là-bas. Ce sera plus pratique.
- Mais enfin papy, je n’ai pas besoin du vestiaire tant que mes cousines ne sont pas là. Tu sais bien que je ne mets pas de maillot quand je suis seul.
- Tu fais comme tu veux Charly. C’est pour toi. Comme tu as grandi, nous ne voulions pas que tu sois gêné.
- Oh mais non, papy ! pas du tout. Avec toi et mamie je suis aussi à l’aise qu’avant.
- Papa a vraiment exagéré alors.
- Oui et non, ça dépend. A la maison par exemple, devant papa et maman, je ne veux plus trop, alors j’évite. Du coup, papa trouve que je suis un peu coincé. Devant mes cousines, je ne me mettrai plus tout nu, j’aurai honte maintenant. Par contre avec mon ami Luc, quand nous dormons l’un chez l’autre nous nous voyons nus dans la chambre et dans la salle de bain sans problème.
- Charly, nous coupe mamie, va te baigner parce qu’à force de parler nous allons passer à table et tu n’auras toujours pas pris ton bain. Si tu ne veux pas mettre de maillot, ne te gêne pas pour nous. Profites-en avant l’arrivée de tes cousines. Après, vous ferez comme vous voudrez mais je persiste à penser que si les adolescents prenaient l’habitude d’être nus ensemble, ils seraient un peu moins tracassés.
Je me déshabille et plonge tout nu dans la piscine. Quel bonheur après quatre étés de retrouver cette sensation de bien être et de liberté ! Je prends un grand plaisir à faire des allers-retours puis de nombreux sous l’eau, des cabrioles, des arbres droits. Si papa me voyait, il ne pourrait pas me taxer de coincé. Au bout de quelques minutes, mamie m’appelle pour manger. Je sors de l’eau, je m’essuie, j’étale ma serviette sur la plage pour tout à l’heure puis j'enfile mon maillot et mon teeshirt.
A table nous parlons de mon année scolaire, de mes cousines et de nos corps qui ont changé. Ils trouvent tous les deux que je suis devenu un beau jeune homme… Ils me confient qu’elles non plus ne mettent pas de maillot quand elles sont en vacances ici avec eux… Nous discourons longuement sur les raisons de la pudeur excessive à l’adolescence, sur la beauté de la surmonter à notre âge, etc.
L’après-midi, je lis un moment à l’ombre puis je quitte à nouveau mon maillot et mon teeshirt avant de partir m’allonger sur ma serviette au soleil. Comme le soleil manifeste une belle ardeur, je n’hésite pas à fréquemment plonger dans l’eau. Rassasié du bain pour l’instant, je reprends mon livre et m’allonge sur le ventre. Au bout de dix minutes :
- Charly ! Viens que je te mette de la crème dans le dos. Ta peau n’est pas encore habituée et tu risques d’attraper un coup de soleil.
Me voilà devant ma grand-mère qui me passe une bonne couche de crème dans le dos. Mais comme ça ne la satisfait pas, elle me tartine aussi abondamment les fesses et le derrière des cuisses comme à un gamin de six ans. Je veux lui dire que ça, je peux le faire moi-même mais elle est tellement heureuse de prendre soin de moi que je me tais et la laisse accomplir sa tâche. Heureusement que personne n’assiste à cette scène. Mon égo en prendrait un sacré coup.
- Voilà, maintenant tu es bien protégé. Dans une heure je t’en remettrai.
- Merci mamie.
- Dans quelques jours tes cousines prendront le relais.
- Oui mais elles ne m’en mettront pas sur les fesses, dis-je en riant, j’aurai un maillot.
- J’ai le sentiment que vous finirez tous par l’enlever. Quand vous êtes là séparément, personne n’en met jamais.
- Tu veux rire ! Il ne faut pas y compter.
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