mardi 9 septembre 2008

Sandy l'année d'après : fin.

Nous parlions tous à la fois :

- Morgane, enlevée ? Qui ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Explique ! Il faut tout de suite prévenir la police !

Elle a repris, un peu plus calmement :

- On venait d'arriver à la route. Une voiture s'est arrêtée. Un gros 4x4 noir qui allait vers la sortie. Il est descendu deux hommes brusquement, ils nous ont fait peur … On a voulu descendre dans les buissons pour leur échapper. Morgane était derrière moi … Je suis tombée, j'ai lâché le sac … Après je sais plus. J'ai dû m'évanouir. Quand je suis revenue à moi j'avais peur, j'osais plus bouger ni appeler de peur qu'ils me trouvent.

- Mais comment tu sais qu'ils l'ont enlevée alors ? a dit Kévin. Peut-être qu'ils vous voulaient pas de mal, que vous avez eu peur pour rien !

Il avait l'air très calme, pas affolé du tout, lui qui aimait tant Morgane. C'était bizarre. Anna a paru surprise. Elle a répondu :

- Je … Je ne sais pas … Je suppose … Elle n'était plus là ! Elle serait venue me chercher ! Ils ont dû l'enlever ! Peut-être ils l'ont endormie pour pas qu'elle appelle au secours !

- Et son tee-shirt ? a dit Malaurie.

- Elle l'avait enlevé parce qu'elle avait chaud, a répondu Anna. Elle l'avait mis dans le sac.

- Ça, c'est possible, a repris Kévin, toujours aussi calme. C'est possible aussi qu'en ce moment elle dorme. Mais pour le reste tu mens, Anna. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas ce qui s'est passé mais tu mens. Si Morgane avait eu une aussi grosse peur, même juste un moment avant d'être endormie, je l'aurais su. Quand elle a eu un accident de voiture avec ses parents je l'ai su. Au moment où c'est arrivé. On a vérifié. Et quand son petit frère est né aussi. Si elle avait eu une grosse émotion je l'aurais su. Anna tu as menti. Maintenant tu vas nous dire la vérité.

- Mais tu es fou ! a protesté Anna. Tu délires pendant qu'ils l'emmènent, qu'ils lui font je sais pas quoi ! Il faut pas perdre de temps, il faut prévenir les gendarmes !

- Elle a raison, Kévin, a dit Chloé. Ils l'ont dit l'autre jour à la télé : dans les cas d'enlèvement, c'est important de ne pas perdre de temps. On ne peut pas prendre le risque juste à cause de tes impressions !

Mais Kévin était toujours aussi calme.

- Tu crois que je ferais prendre un risque à Morgane ? Je te dis qu'elle est bien tranquille. Peut-être qu'elle dort et en tous cas elle a jamais eu peur. Anna a monté un plan. Je la connais, elle en est capable. Et Morgane a dû marcher dedans en lui faisant confiance. De toutes façons, si on prévient les gendarmes, même si on la revoit pas avant qu'ils arrivent ils vont la retrouver et on saura tout. Et là, ça va être ta fête Anna ! Réfléchis ! Tu ferais mieux de pas insister !

L'expression d'Anna avait complètement changé. Elle fixait Kévin avec colère. Tout d'un coup elle a explosé :

- Je t'emmerde ! T'as qu'à la trouver si tu es si fort !

Et elle s'est enfuie sur la route.

- Anna ! Reviens ! a crié Malaurie. Venez, il faut qu'on la rattrape, je sais pas quelle bêtise elle pourrait faire !

- On y va ! a dit Chloé.

Et elles sont parties toutes les deux à sa poursuite.

Pendant ce temps, Kévin avait ramassé le tee-shirt de Morgane et il semblait réfléchir en caressant sa bague.

- Ça y est, elle se réveille, a-t-il dit. Je crois qu'elle est dans une cabane, mais je ne sais pas encore où. Et maintenant elle a un peu peur. Peut-être qu'Anna l'a enfermée et qu'elle vient de s'en apercevoir.

- Une cabane … a dit Léo. Attends …

- En descendant à Fauvette ! a repris Kévin. Bien sûr ! Allez, on y va !

Et pendant qu'on le suivait sur le sentier, il a continué :

- C'est pour ça que j'ai senti quelque chose tout à l'heure quand on est passés devant le départ du sentier qui y descend ! Anna a dû l'emmener là. Je sais pas comment elle a ouvert la porte mais si c'est une serrure simple je sais qu'elle en est capable. Elle lui a dit de l'attendre là en lui racontant je sais pas quoi et elle l'a enfermée. Et Morgane s'en est pas aperçue et dans l'obscurité à cette heure-ci, ça m'étonne pas qu'elle se soit endormie en l'attendant. Là, quand elle a vu qu'elle était enfermée elle a eu un peu peur, mais pas trop, parce qu'elle sait que je vais la trouver.

Quelques minutes plus tard nous sommes arrivés à la cabane que nous avions remarquée en descendant à Fauvette. Kévin a dit, en parlant à peine plus fort que d'habitude :

- Tu es là, Morgane ?

Et de l'intérieur on a entendu répondre :

- Je suis là, Kévin. J'étais sûr que tu me trouverais. Mais Anna a refermé la porte à clé, je sais pas pourquoi. Elle est pas avec vous ? C'est une serrure simple. Elle sait l'ouvrir avec le crochet de sa lampe de poche. Moi la mienne c'est une torche, elle en a pas.

- Anna est pas là, a répondu Kévin. Et je sais pas ce qui lui est passé par la tête, on t'expliquera. Mais le crochet, c'est une bonne idée. Je vais essayer.

C'était une cabane fermée par deux grandes portes avec chacune une grille en bois. Chez Mamie, Papa a juste mis une vitre fixe derrière pour que les bourrasques n'entrent pas dedans quand il y a des orages. Comme elle ne sert qu'à ranger des outils, des jouets et des affaires de la piscine, il a dit qu'il n'y avait pas besoin d'aération mais qu'au besoin, si on voulait pouvoir y dormir, les vitres on pourrait les mettre qui s'ouvrent. Là c'est ce qu'on avait fait : Morgane en avait ouvert une et elle nous expliquait à travers la grille.

- C'est Anna qui a eu cette idée. Moi j'étais pas trop d'accord pour entrer dans cette cabane qui est pas à nous mais elle a dit que c'était juste pour un moment, qu'on toucherait à rien, que c'était facile à ouvrir et à refermer et que les propriétaires s'en apercevraient même pas quand ils reviendraient. C'était pour compliquer un peu le jeu. Elle m'a dit de me cacher là et qu'elle allait brouiller un peu la piste et se cacher un peu plus loin. Dans la cabane, il y a un grand lit, ils doivent s'en servir pour dormir. Moi je me suis allongée en attendant et je me suis endormie. Je savais pas qu'elle avait refermé la porte à clé. Je sais pas pourquoi elle a fait ça. Moi je supporte pas d'être enfermée.

- C'est pour ça que quand tu t'en es aperçue en te réveillant ça t'a angoissée et c'est ça qui m'a aidé à te trouver, a conclu Kévin. Mais je comprends pas pourquoi elle nous a monté cette histoire d'enlèvement et la serrure j'y arrive pas.

- Laisse moi essayer a dit Manon. Une fois on avait perdu la clé de ma penderie, Maman a essayé avec une fourchette à escargots et elle n'y arrivait pas mais moi j'y suis arrivée.

Et pendant qu'on racontait à Morgane ce qu'Anna avait fait, Manon a fini par réussir à ouvrir la porte.

- Je comprends pas pourquoi elle a fait ça, a redit Morgane en frissonnant.

- Tiens remets ton tee-shirt lui a dit Kévin qui l'avait autour du cou depuis qu'on avait commencé à descendre.

Il l'a aidée à l'enfiler, puis il l'a prise dans ses bras pour la câliner un peu, comme une maman avec un enfant.


Nous sommes repartis vers l'Eden Roc, où les autres devaient nous attendre avec les parents. Quand nous y sommes arrivés tout le monde était là, sauf Anna et les siens. Chloé nous a expliqué que quand Malaurie et elle l'avaient rattrapée elle faisait une vraie crise de nerfs, couchée par terre, incapable de parler. Alors elle était allée appeler ses parents pendant que Malaurie restait près d'elle et essayait de la calmer. Ils étaient venus la chercher et ils l'avaient emmenée avec eux. On n'en savait pas plus.


- Elle a pété un câble, disait Léo. Mais vous vous rendez compte ? Sans Kévin on appelait les gendarmes, vous imaginez le cirque ?

- Elle pourra peut-être s'expliquer quand elle sera calmée, disait la mère de Kévin. En attendant, on n'en comprendra pas plus, alors allons nous coucher et essayons de ne plus y penser pour l'instant !


Et nous sommes tous repartis vers nos logements. Mais on ne pouvait pas s'empêcher de penser à la comédie d'Anna.

- Ça tient pas debout, disait Léo : les gendarmes, ils auraient fouillé tout le camp, avec des chiens, Morgane, ils l'auraient retrouvée tout de suite et quand elle leur aurait raconté que c'était Anna qui l'avait enfermée, vous vous rendez compte ce qu'elle aurait pris, Anna ?

- Mais elle disait que le 4x4 allait vers la sortie, disait Manon : si les gendarmes avaient cherché dehors et pas dans le camp, combien de temps on aurait mis avant de la retrouver, Morgane ?

J'ai dit :

- Tu crois quand même pas que c'est ça qu'elle voulait ! … C'est vrai que depuis qu'elle est là elle fait la gentille avec elle mais c'est clair qu'elle la déteste. La complicité qu'elle a avec Kévin, elle en crève de jalousie. Mais quand même !... Et puis elle aurait appelé, Morgane, la cabane est un peu isolée mais pas tant que ça, quelqu'un l'aurait entendue !

- Tu as sans doute raison, a répondu Manon. Mais …


Le lendemain matin Anna n'est pas venue à la poterie. Kévin et Morgane nous ont dit qu'ils ne l'avaient pas vue avant de monter. Son père leur avait juste dit qu'elle était encore très fatiguée et qu'il fallait qu'elle se repose. Mais ils avaient emmené Bogdan avec eux pour le laisser au mini-club.

Morgane disait :

- J'ai bien réfléchi. Ça l'a toujours énervée qu Kévin puisse savoir ce qui m'arrive et moi pareil pour lui quand on n'est pas ensemble. En même temps elle voulait pas le croire. Alors je crois qu'elle a voulu prouver que c'était pas vrai. Elle pensait faire marcher tout le monde un moment et sûrement elle aurait dit la vérité avant que vous appeliez les gendarmes. Là elle aurait triomphé. Quand elle a vu que Kévin la croyait pas elle était folle de rage.

- D'accord, a dit Manon. Mais pourquoi elle t'a pas dit la vérité à toi ? Pourquoi elle t'a enfermée ?

- Pour me faire une farce. Et puis pour qu'on soit obligé d'attendre que ce soit elle qui me délivre.

- Ça te va à toi, comme explication ? a demandé Manon à Kévin.

- Si ça convient à Morgane… a répondu Kévin.

- Et tu pourras rester copain avec elle ? lui a demandé Malaurie.

- Oui, est intervenue Morgane. Vos parents sont amis, il faut oublier cette histoire. C'est juste des enfantillages comme dit ma mère.

- Si ça convient à Morgane… a répété Kévin en souriant.

- Mais vous êtes toujours comme ça, tous les deux ? a dit Chloé. Comment vous faites quand vous êtes à des centaines de kilomètres ?

- On leur dit ? a demandé Morgane.

- On se retrouve toutes les nuits en rêve, a dit Kévin en riant. Et si vous nous croyez pas … tant pis !


Ils plaisantaient sûrement mais … Avec ces deux-là, je ne sais vraiment plus ce qu'il faut croire. Et je voudrais bien que Léo et moi ce soit comme eux.


Puis, après l'atelier ils nous ont dit au revoir parce que les parents de Morgane devaient passer les chercher en début d'après-midi. Elle nous avait dit qu'ils repartiraient tout de suite parce que sa grand-mère les attendait pour le dîner. On s'est donné nos adresses et on s'est tous fait des grosses bises parce qu'on s'aime bien et qu'on espère bien se revoir. Puis ils sont redescendus à Mésange avec Bogdan.


L'après-midi on avait décidé de faire un Monopoly à cinq en attendant l'heure du tir à l'arc. On a dit au revoir à Jean-Michel. Lui aussi on espère le revoir. Peut-être qu'on pourra revenir à la Sablière l'année prochaine. La rivière, nous n'y sommes retournés qu'un moment le samedi matin avant de partir. En descendant nous avons croisé la voiture des parents d'Anna qui montait vers la sortie. Bogdan et elle nous ont fait des grands signes d'amitié.


Puis on a repris la route. On allait passer par La Motte pour me déposer, mais cette fois Hélène et Claude ne voulaient rester que le temps de saluer Mamie par politesse, parce que Manon et Léo devaient être prêts le lendemain matin pour partir avec leur pères.

***


Je me demandais un peu ce que les cousins avaient fait pendant que nous étions à la Sablière et comment j'allais les retrouver à mon retour.

Ils nous attendaient en maillot. Alex m'a dit, très sérieusement :

- Tu sais, finalement on préfère comme ça.

J'ai répondu qu'ils faisaient comme ils voulaient mais que moi, ça faisait un mois que je vivais toute nue et que je n'avais pas envie de ressortir le mien.

En fait j'étais bien ennuyée, parce que d'un autre côté, rester un mois seule toute nue pendant que tout le monde serait en maillot, ça ne me paraissait pas très naturel. Avec Manon, quand ils étaient arrivés, on s'était dit que si notre plan ne marchait pas tout de suite, deux contre deux pendant quelques jours en attendant qu'il se décident à faire comme nous, ce serait supportable. Mais là ce n'était plus pareil : s'ils avaient choisi avec maillot après avoir essayé sans pendant une semaine, ils n'allaient plus changer d'avis, alors toute seule …

J'ai quand même tout enlevé pour plonger dans la piscine, pour défendre mon droit de choisir. J'ai pensé qu'à la rigueur je pourrais rester en paréo mais le maillot, non. Manon et Léo devaient repartir tout de suite, mais ils ont quand même fait comme moi pour me soutenir.


Alors Alex et Ludo ont éclaté de rire et ils ont enlevé leurs maillots. Ils ne les avaient sûrement pas portés pendant ces quinze jours car ils étaient entièrement bronzés.

- C'était une blague ! T'aurais vu ta tête Sandy ! T'en fais pas, on est trop bien comme ça ! Les maillots maintenant, ce sera seulement quand on est obligé ! a dit Alex.

- Et les pyjamas aussi, a ajouté Ludo.

- Ah non les enfants ! Rhabillez-vous, on part ! a dit Hélène qui revenait vers nous.


On est tous sortis de la piscine pour les bisous traditionnels. Pour Léo et moi mais aussi pour Alex et Manon, c'était quand même un peu plus câlin. Alex lui a demandé si elle avait un ordinateur et elle a répondu :

- Oui. Sandy te donnera mon adresse.

Et tous les quatre sont remontés en voiture.


Pendant tout le mois d'août nous ne nous sommes habillés, les cousins et moi, que quand il faisait frais ou, bien sûr, pour sortir de chez Mamie. Et une fois, en revenant d'une promenade dans le bois, on a trouvé nos parents à plat ventre sur leurs serviettes, tout nus au soleil, tous les quatre. Ce jour-là tante Sophie a remis son maillot pour aller dans la piscine. Mais le lendemain ils se sont encore fait bronzer tout nus et elle n'a remis que le bas pour se baigner. Et deux jours après plus rien. À partir de ce jour-là, on a été sept à ne plus mettre de maillot dans la piscine, et même huit quelques jours plus tard. Quand j'ai dit aux garçons qu'avec Manon et moi Mamie s'était baignée toute nue, ils ont dit qu'elle n'avait pas besoin de se gêner pour eux. Du coup ils en ont parlé à tante Sophie et c'est elle qui a dit à Mamie que ça ne la choquerait pas non plus.


Mais quand même, un mois plus tôt je ne crois pas qu'elle aurait dit ça. Et de toutes façons eux, les grands, à part pour bronzer et se baigner, ils ne restent pas tout nus.


Ils font comme ils veulent, ça les regarde !



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci, Guy, pour ce beau récit, agrémenté d'un séjour à la Sablière !
Depuis le temps de "L'innocence", on assiste à la métamorphose des enfants en adolescents, et à l'évolution des sentiments amoureux, tout en délicatesse. Tout cela est imprégné de réalisme, de bonne santé morale et physique !
On a même droit à un "cours" rapide (mais pertinent) d'éducation sexuelle — un dialogue vrai, comme j’aurais aimé en avoir avec mes parents. Je te rejoins sur ce sujet : « ce thème des amours enfantines a pris plus d'importance que prévu dans le récit, entre autres parce que j'ai rêvé de parents qui aideraient leurs enfants à s'y retrouver sans tabous. » Personnellement, j’ai reçu une éducation sexuelle par défaut (cocktail « déni + culpabilisation » ! Comme si élever ses enfants signifiait les abaisser, les tuer dans l’œuf !)…
Merci au naturisme d’ouvrir la porte de la vraie vie et des relations authentiques !
F.

guy barbey a dit…

Merci F. Si tu en es là aujourd'hui de ta lecture, il y a encore de la réserve et je peux souffler un moment !...