Un soir où c'était lui qui dormait avec moi, Léo m'a dit : - Morgane et Kévin, tu as vu comme ils s'aiment ? Ça fait presque peur.
Et il a hésité un moment avant de continuer :
- Moi aussi tu sais je t'aime à mourir.
On se faisait des petits câlins, mais c'était la première fois qu'il me disait qu'il m'aimait. Ça m'a fait tout drôle dans ma poitrine. J'ai répondu :
- Moi aussi Léo.
On s'est penchés tous les deux par-dessus la petite table de nuit pour se faire un gros câlin, jusqu'à ce qu'on soit fatigués d'être comme ça ni couchés ni assis. Puis on s'est dit "Bonne nuit", on s'est fait un gros bisou sur les lèvres et on s'est recouchés sur le dos pour y penser dans le noir. Juste sur les lèvres le bisou. On sait bien que les grands ils mettent la langue, mais nous, ça nous dégoûte un peu. Léo a juste onze ans et moi même pas encore.
Un jour j'avais demandé à Maman comment ça se faisait que les grands, quand ils sont amoureux ils ont envie de s'embrasser comme ça et de faire l'amour aussi et que nous, même si on est amoureux, on n'en a pas envie. Elle m'a expliqué que l'amour c'est une chose et que l'envie de faire l'amour c'est autre chose, et qu'on peut avoir les deux à la fois mais pas forcément.
Elle m'a expliqué :
- L'envie de faire l'amour c'est quelque chose qu'on a souvent quand on est grand. Quand tu auras tes règles, que tes seins et tes poils auront poussé, tu commenceras à sentir ça dans ton ventre. Et les garçons, eux, c'est leur zizi qui devient tout dur. D'ailleurs sans ça, ils pourraient pas le faire. Alors on peut le faire avec n'importe qui, sauf quelqu'un qui te plaît pas du tout physiquement. Et dans ton corps, ça te fait plaisir, comme quand tu avais très soif et que tu as eu à boire. Mais si c'est quelqu'un dont tu es amoureuse c'est bien plus que ça. C'est pas seulement dans ton corps, c'est comme si tu t'envolais. Toi déjà, avec Léo (parce que je lui avais parlé de Léo) vous avez envie de vous faire des câlins et des bisous ?
J'ai dit :
- Ben …oui !
J'avais un peu honte de lui dire ça, mais j'aurais dû y penser qu'elle devait bien le savoir. Peut-être qu'à mon âge elle aussi elle avait eu un amoureux. Elle a continué :
- C'est normal. Quand on s'aime, on a envie de se le montrer avec son corps. Et on le sent dans sa poitrine le bonheur que ça donne. Mais à votre âge, votre corps n'a pas encore envie de faire l'amour, alors les câlins et les bisous, ça suffit. Quand on est plus grand, si on se fait des câlins et des bisous parce qu'on est amoureux, l'envie de faire l'amour vient très fort. Et tu as envie de sentir sa langue dans ta bouche, son zizi dans ton ventre, ça te dégoûte plus du tout. D'ailleurs quelquefois on peut se tromper. Même ça arrive souvent : on croit qu'on est amoureux juste parce qu'on a tout de suite envie de faire l'amour. Mais ça, on en reparlera plus tard.
J'ai raconté ça à Léo, parce qu'avec lui je n'ai pas honte de parler de n'importe quoi. Il m'a dit que j'avais de la chance d'avoir une maman qui m'explique ça aussi bien parce que lui, sa mère, elle trouve que c'est plutôt à son père de le faire puisque c'est un garçon, et son père, il ne faut pas compter sur lui pour ça.
Quand même, un matin où Léo dormait dans le lit à côté du mien, quand je me suis réveillée il était découvert et j'ai vu son zizi qui était tout droit. Quand il a vu que je le regardais il s'est caché. Je lui ai demandé comment ça se faisait et il m'a dit qu'il ne savait pas, que c'est souvent comme ça quand il se réveille. Ça, Maman ne me l'avait pas dit. Mais c'est vrai qu'elle ne le sait peut-être pas. Je n'ai pas de frère, sans doute elle n'a jamais vu un petit garçon tout nu quand il se réveille. Je lui ai dit qu'il n'avait pas besoin de se cacher puisqu'il n'y avait rien de mal.
Mais avec les autres on se retrouvait tous les jours aux ateliers, à la piscine et à la rivière, des fois même à l'Eden Roc le soir, et on s'amusait ensemble comme d'habitude. Et puis un jour Anna a proposé de faire un jeu de piste de nuit. C'était le mardi, je crois. Et d'abord on a pensé que ce n'était pas possible. Que les parents ne seraient pas d'accord. Et puis d'abord que trouver la piste la nuit, même avec les lampes on n'y arriverait pas et qu'en plus il ferait froid. Puis, le jeudi matin elle en a reparlé et elle a dit que d'après la météo il allait faire chaud, et que ce serait la pleine lune, qu'on y verrait très bien. Et là il fallait bien reconnaître que la nuit passée elle éclairait vraiment beaucoup. Elle avait réfléchi à tout avec Morgane et elle disait :
- On attend que tout le monde soit couché pour que des autres nous effacent pas la piste. Morgane et moi on part en premier. La piste, on la marque en attachant des bouts de papier hygiénique aux buissons. Comme ça ceux qui la suivent les voient bien, et ils ont qu'à les enlever en passant pour laisser tout propre. Vous, vous partez une demi-heure après nous pour qu'on ait le temps de faire la piste et de se cacher, et le jeu, c'est de nous retrouver.
- Et toi tu laisses un peu chercher les autres, a dit Morgane à Kévin, sinon c'est pas du jeu !
Anna lui a fait une bise, mais j'ai bien vu qu'elle avait haussé les épaules. Si on y réfléchissait, c'était logique que ce soit elles deux qui fassent la piste. Les chemins, c'était Anna et Léo qui les connaissaient le mieux parce qu'ils étaient déjà venus, mais ils ne s'aimaient pas trop et c'est Anna qui avait eu l'idée. Pour l'accompagner, parce que, bien sûr, ses parents n'auraient pas été d'accord pour qu'elle parte toute seule dans la nuit, elle avait peut-être demandé à Kévin. Mais il n'avait pas dû être d'accord pour partir avec elle, et comme, c'est sûr, elle avait surtout envie de le séparer de Morgane, il restait à l'emmener, elle. D'ailleurs c'est ce qu'elle avait fait toute la semaine, et Morgane s'était laissé faire. J'avais bien compris depuis le premier jour qu'elle voulait être gentille avec elle. Kévin, de toutes façons, elle dormait avec lui dans la tente de ses parents et elle allait bientôt l'avoir pour elle toute seule chez sa grand-mère. À part ça, c'est vrai que ça nous avait donné envie. Il restait à convaincre les parents et ça, ce n'était pas gagné d'avance. On s'y est tous mis mais on aurait dit que c'est quand c'était Morgane qui parlait que ça marchait le mieux, comme si c'était vraiment une fée. En tout cas, les uns après les autres ils ont tous fini par dire oui, à condition qu'on ne commence pas plus tard que dix heures et qu'on soit tous rentrés à minuit.
Le soir on s'est tous retrouvés à l'Eden Roc, parents compris. Nous, les enfants, on avait pris des lampes et deux sacs pour le papier hygiénique, un pour Morgane et Anna pour partir avec, et l'autre pour nous pour le ramasser. La nuit était très claire et chaude comme Anna avait dit et du coup on n'était même pas habillés comme d'habitude le soir. On avait juste mis des tee-shirts un peu longs pour faire comme tout le monde parce que tout nus on aurait presque été les seuls. Léo et Kévin étaient d'accord pour dire qu'on avait été bêtes et Morgane aussi, mais ils les gardaient quand même.
À dix heures pile Morgane et Anna sont parties et comme on avait promis, on est restés dans le bar pour ne pas voir de quel côté elles allaient. Et à dix heures et demie, nous sommes sortis pour chercher autour des piscines le premier morceau de papier hygiénique.
Nous avons d'abord fait trois groupes de deux : Léo avec moi, Kévin avec Malaurie et les deux brunettes ensemble pour chercher dans toutes les directions. Et au bout de deux minutes ce sont elles qui l'ont trouvé au début du parcours de santé. Le parcours, il y a plusieurs endroits où il se divise. En plus on ne l'avait jamais fait la nuit et même avec le clair de lune et les lampes on ne savait pas bien s'y repérer. Chaque fois qu'on arrivait à une fourche on se divisait pour explorer les deux directions et il fallait un moment avant de trouver le prochain morceau de papier. Heureusement qu'on les enlevait à mesure parce que sans ça on aurait certainement pu tourner en rond sans s'en apercevoir.
Je n'y avais pas prêté attention mais je m'en suis souvenue après : quand nous sommes passés devant les deux espèces de lits en bois où on doit faire des abdominaux, Kévin s'est arrêté un instant. Mais à ce moment-là Chloé a vu un papier plus loin et on a continué.
La piste montait. Il me semblait reconnaître le sentier qui rejoint la route un peu au-dessus des sanitaires de Pinson. En fait c'était simple et nous nous disions que le jeu n'allait pas être long, à moins qu'Anna et Morgane aient décidé de compliquer plus loin. Quand nous sommes arrivés à la route nous avons cherché la suite de la piste. On ne voyait pas de papiers. Et tout d'un coup Manon a dit :
- Là !
Dans le silence de la nuit il n'y avait pas besoin de crier pour s'entendre, même d'un peu loin. Nous nous sommes tous approchés pour regarder ce qu'elle montrait. Dans les buissons un peu en contrebas on apercevait une tache blanche. Mais c'était beaucoup plus gros qu'un papier. Léo est descendu pour voir de plus près et il a dit :
- C'est un tee-shirt ! On dirait celui de Morgane ! Et il y a le sac d'Anna à côté !
C'est à ce moment qu'on a entendu la voix d'Anna :
- Vous êtes là ! Mon Dieu ! Morgane …
Nous ne l'avions pas vue plus tôt parce que son tee-shirt à elle était vert foncé. Nous avons tous dirigé nos lampes vers elle et nous l'avons vue remonter vers nous, décoiffée, le visage défait, des brindilles accrochées à son tee-shirt. Elle sanglotait.
- Morgane … Ils l'ont enlevée !
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