
Ceci n'est pas une fiction mais une lettre ouverte écrite à la suite d'une conversation réelle. Qu'en pensez-vous ?
Madame,
Me parlant l'autre jour de mon livre "l'innocence", vous me disiez que vous n'y trouviez rien de répréhensible mais que vous ne le donneriez pas à lire à votre fils de neuf ans "parce qu'il a un problème avec la nudité". Et vous précisiez que la seule pensée des douches où les enfants ont chacun son box mais sans rideau lui gâchait la perspective de la prochaine classe de neige.Et pourtant, me disiez-vous, la nudité n'est pas un tabou dans votre famille. Il arrive à vos enfants de vous voir nus, vous ou votre mari. Il y a deux ou trois ans encore, votre fils restait volontiers nu en été chez vous. Je me souviens même de vous avoir entendue dire qu'il fallait le modérer parce qu'en présence de sa petite sœur, de deux ans plus jeune, il avait quelque tendance à l'exhibitionnisme.
Alors au sujet de mon livre je m'étonne : mes petites histoires je les ai écrites d'abord pour mes petits-enfants naturistes, pour que, face aux préjugés les plus courants parmi leurs camarades, ils soient confortés dans la conviction que la pratique de la nudité collective telle qu'ils la connaissent, dépourvue de toute connotation sexuelle, est normale et naturelle. Mais cette image de la nudité, elle est aussi faite, si les parents le veulent bien, pour les enfants qui, à cet égard, sont déboussolés par l'ambiguïté de la pensée dominante dans notre société, qui interdit de profiter nu en public des plaisirs innocents de la baignade, mais commercialise largement sous leurs yeux une nudité dont la valeur marchande se mesure à l'aune de son érotisme. C'est donc justement parce que votre fils "a un problème avec la nudité" qu'elles pourraient, me semble-t-il lui être utiles.
Puis il me vient à l'idée, à propos de cette pudeur vis-à-vis de la nudité qui lui est venue – je précise car la pudeur c'est bien autre chose que cette obsession de la culotte à quoi on l'identifie et la réduit trop souvent - une théorie qui vaut ce qu'elle vaut.
Concernant la nudité des parents en présence des enfants, on voit défendre les positions les plus extrêmes, de l'intégrisme d'une minorité de naturistes qui vivent nus chez eux en permanence à celui d'une autre minorité pour qui un enfant est forcément traumatisé par la nudité de ses parents, en passant par la plus courante aujourd'hui, la vôtre semble-t-il, qui paraît être le choix d'un "juste milieu" raisonnable. On n'est pratiquement jamais nu en présence des enfants, mais s'il arrive qu'ils vous voient nus à la salle de bains ou traversant un couloir pour y aller, on ne se cache pas. On ne leur met pas dans la tête que la nudité serait "sale" ou "obscène". Tant qu'ils sont petits, il arrive même qu'on – la maman plutôt que le papa - les invite dans sa baignoire.
Et je me demande si ce milieu prétendument juste n'est pas en fait le reflet de l'incapacité de notre société actuelle à adopter une position réellement cohérente. Car les enfants ont besoin de repères clairs. Dès l'instant que la question de la nudité est posée – et les précautions prises à l'école la posent forcément – la plupart, probablement les "mieux élevés", ceux à qui on inculque une morale, ont besoin de la situer à cet égard. C'est bien, donc permis, ou mal, donc interdit. Maman ne m'invite plus dans son bain, nous nous lavons désormais séparément, à l'école on n'utilise plus des W.C. collectifs (même avec petites cloisons entre les sièges) comme à la maternelle, donc la nudité, ça va pour les petits, mais passé l'âge de la maternelle, c'est mal. D'ailleurs c'est aussi ce que pensent les copains et copines et s'il y en a qui se montrent quelquefois, tout le monde sait bien que ça s'appelle faire des cochonneries. Quand on va à la piscine, déjà les vestiaires des garçons et des filles sont désormais séparés, mais même entre garçons, la règle générale est de se cacher pour se changer. Donc en résumé, à mon âge personne ne doit voir ce qui est habituellement dans ma culotte (formule fréquemment employée pour protéger l'enfant des pédophiles sans avoir à leur expliquer de quoi il s'agit, car, c'est bien connu, ce qui protège l'enfant c'est l'ignorance !). Alors si Maman me dit qu'elle, elle peut me voir tout nu et si, réciproquement, elle dit que ça ne fait rien si je la vois tout nue, c'est qu'elle me prend toujours pour un bébé. Moi, je sais bien désormais qu'il ne faut pas. Regarder des gens nus, c'est "sale" et je ne veux pas qu'on me regarde comme ça.
La tendance à l'exhibitionnisme que vous avez réprimée chez votre fils – avec beaucoup de tact et de douceur, j'en suis sûr, mais enfin vous avez bien dû la condamner – qu'était-ce au juste ? Pardonnez-moi si je vais lui faire dire ce que bien sûr il n'aurait pas su formuler mais qui était probablement dans son inconscient. "La petite sœur, je l'aime bien mais outre qu'elle est coupable de s'être introduite entre Maman et moi, c'est un être incomplet, qui ne comprend pas ce qu'on lui dit, qui ne sait pas jouer comme moi, qui pleurniche à tort et à travers et qui n'a même pas de zizi. Moi le grand frère, je dois lui montrer l'exemple. Lui montrer que je sais faire des tas de choses qu'elle ne sait pas faire et que j'ai un zizi." Il est clair qu'en condamnant cette attitude vous avez contribué à le persuader que le zizi est fait pour être caché.
Bon, me direz-vous. Et où est le mal ? Le mal pour l'instant c'est que son "problème avec la nudité" lui gâche le plaisir de la classe de neige, ce qui est bien dommage pour lui. Cela a des chances de ne lui passer qu'après (bien après) la puberté. Cela peut se maintenir à un niveau raisonnable qui fera de lui un garçon semblable à la plupart des autres. Mais si dès à présent le problème est plus aigu pour lui que pour la plupart de ses camarades, cela peut aussi en faire un garçon plus complexé, gêné par une obsession de la nudité (le refoulement créant l'obsession) qui, lorsque les pulsions sexuelles viendront, peut entraîner des déviations. Je suis personnellement persuadé que chez bien des adolescents, l'envie de voir l'autre nu provoque des relations sexuelles prématurées : puisque la nudité est associée à la sexualité, des adolescents qui n'avaient en fait envie que de se voir nus se croient obligés d'aller "jusqu'au bout" alors qu'ils n'y sont en fait pas prêts, et leur sexualité risque d'en être affectée pour longtemps. Vous me direz que ces choses sont arrivées à beaucoup de gens qui ne s'en portent pas plus mal et vous avez sans doute raison. Je dis seulement qu'il y a un risque accru : lorsqu'on est exposé à une maladie, on ne l'attrape pas forcément, n'empêche que si on peut éviter d'y exposer ses enfants …
Pour votre fils n'est-il pas déjà trop tard ? Je n'en sais rien. Je crois seulement, puisque c'était là le sujet initial de notre conversation, que rencontrer au travers de fictions concernant des enfants de son âge, une perception sereine de la nudité partagée peut le conduire, sans aller nécessairement jusqu'au naturisme si son environnement familial ne s'y prête pas, à une réévaluation de la sienne. Je crois que des conversations détendues et non systématiques au sujet de ces fictions peuvent l'aider à accueillir sereinement cette perception comme acceptable chez d'autres. Ce qu'il peut en faire pour lui-même viendra éventuellement tout seul plus tard.
Je ne prétends pas détenir la vérité. Mais je crois que ce point de vue mérite autant qu'un autre d'être considéré.
À votre disposition pour en reparler si vous le souhaitez et bien cordialement.
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