lundi 14 septembre 2009

Le bloc-notes de Noémie (fin)

C’est décidé : Papa va partir aux Etats-Unis. On s’enverra des e-mails et il me fera venir pour quelques jours pendant des petites vacances. Donc on ne se manquera pas et donc ne plus avoir à bloquer un week-end sur deux pour aller chez lui, au fond ça nous arrange plutôt tous.

La vraie grande nouvelle, c’est que Patrick a réussi un truc de ouf.

Juste au-dessus de chez nous, il y a un studio en mansarde, qui est occupé par un jeune ménage avec un enfant de trois ans. Évidemment ils sont un peu à l’étroit. Patrick leur a proposé un échange avec son deux pièces. Comme ça ils auront la chambre d’Enzo pour le petit et lui il va habiter presque chez nous. Le studio, pour lui et Enzo (seulement un week-end sur deux etc.), il dit que ça suffit. Et ils sont d’accord et les propriétaires aussi.

Et ça, c’est la solution « chacun chez soi » comme avant. Mais Patrick dit que si Maman veut bien il y en a une autre. Ce serait que le studio soit leur appartement de nuit à eux deux et que comme ça, les poussins, moi et Enzo quand il viendra, on s’arrange avec les deux chambres. Il dit qu’avec un interphone pour les appeler au besoin et juste un étage à descendre ce serait pareil que s’ils étaient dans l’appartement. Maman hésite, mais je vois bien qu’elle est tentée. Tous les deux là-haut ils seraient superbien, ils auraient plus d’intimité que dans l’appart. Ce serait comme si on avait un duplex, sauf qu’il faudra s’habiller pour aller dans l’escalier. Mais un peignoir, ça devrait suffire au besoin puisque personne d’autre ne s’en servirait. Et nous, on n’est plus des bébés, on peut dormir sans l’avoir à côté. Moi j’aimerais bien. Les poussins aussi à condition qu’on ne les sépare pas et moi, partager ma chambre avec Enzo quand il est là ça ne me dérangerait pas : on aime bien bavarder tard tous les deux dans le noir. Et là j’aurais une vraie grande chambre.

J’en ai parlé à Enzo, lui aussi il trouve que ce serait génial.

***

Un mail d’Enzo. Il me dit que le week-end était super et qu’il me racontera ça vendredi soir parce que ce serait trop long et qu’il ne veut pas résumer. Il me dit aussi qu’il ne manquait que moi. Et moi, à Héliomonde, je trouvais qu’il ne manquait que lui… Le week-end prochain on sera ensemble. Ce sera le dernier à Héliomonde pour cette année. Et peut-être quinze jours après, chez nous, on aura fini de réinstaller. Maman s’est décidée, elle me laisse sa chambre, on enlève son lit, on met le mien, mon bureau et le lit d’Enzo qui est chez Patrick, et les poussins restent seuls dans leur chambre. Peut-être qu’après on arrangera autrement pour les meubles, mais en attendant ça peut très bien marcher comme ça. Enzo et moi, on est ravis.

Sur ce qu’il va me raconter, je sais déjà une chose, c’est que samedi il a téléphoné à Patrick pour lui demander la permission de passer chez lui prendre son cerf-volant, et que Patrick lui a répondu qu’il n’y avait pas de problème puisqu’il a la clé. C’est lui qui le lui a acheté pour quand il l’emmenait à la plage à Berck et c’est pour ça qu’il est resté chez lui. Donc ils ont dû aller quelque part pour le faire voler. J’ai hâte d’être vendredi.

***

Cette fois ce sont les poussins qui ont eu envie de dormir sur les banquettes et Enzo et moi on a eu la petite chambre à deux lits. Et voilà ce qu’il m’a raconté.

Vendredi soir, après avoir vu des cerfs-volants sur une plage à la télé, Loreleï a dit qu’elle aimerait bien faire ça. Alors Enzo lui a dit qu’il en avait un chez son père et qu’il pourrait peut-être lui apprendre. Et pour faire plaisir à Loreleï, qui en avait envie tout de suite, la mère d’Enzo a dit que s’il pouvait le récupérer, elle les emmènerait à Berck le dimanche.

Donc dimanche ils sont allés à Berck. Pour apprendre à Loreleï ils sont partis un peu plus loin, là où il n’y avait presque personne, pour ne pas risquer de s’emmêler les ficelles avec les autres ou de blesser quelqu’un si on le fait tomber. Et là, voilà ce qu’Enzo m’a raconté. Je m’en souviens bien parce que c’était super de l’écouter dans le noir. J’avais l’impression de tout voir comme si j’y étais. C’était assez facile parce que la plage de ce côté-là je la connais. Une étendue de sable toute plate, immense, surtout à marée basse, séparée de la route par des dunes. Et on voit les vagues arriver de loin les unes derrière les autres parce que dans l’eau aussi c’est plat. Donc j’essaie de répéter ce qu’il a dit :

« C’était un peu couvert et il y avait juste assez de vent pour que ce soit facile d’apprendre à diriger le cerf-volant. On a trouvé un endroit où il n’y avait personne à moins de cent ou deux cents mètres. Comme il ne faisait pas froid on y est allé en maillot avec des serviettes en laissant les habits dans la voiture, Maman s’est assise sur une serviette, moi j’ai monté mon engin, je l’ai fait voler un moment seul pendant que Loreleï me regardait faire et puis je lui ai passé les poignées en restant derrière elle pour pouvoir corriger. Elle a pigé assez vite et c’était beau à voir comme elle était heureuse. Je te jure, j’avais l’impression d’être plus grand qu’elle. Et Maman nous regardait nous amuser, heureuse comme tout, elle aussi. Et puis il est arrivé un grain qui a abattu le cerf-volant. Le temps d’aller le récupérer et de tout plier, on était déjà trempés. Et là, du coup, il n’y avait vraiment plus personne en vue. Maman voulait qu’on aille se mettre à l’abri dans la voiture, nous aussi, mais Loreleï restait debout face au vent pour prendre la pluie dans la figure et elle disait que c’était génial. J’ai fait comme elle, elle avait raison. Et alors tout d’un coup elle a enlevé son maillot et elle a couru vers la mer en nous criant de venir. Moi quand j’ai vu ça j’ai fait comme elle, tu penses ! Arrivée aux vagues elle s’est retournée, elle m’a applaudi et elle a continué à appeler Maman, qui hésitait, en lui disant de faire comme nous. Elle disait « Allez Mario, libère-toi ! Dis-lui, Enzo comme c’est bon ! » Mario, c’est comme ça qu’elle appelle Maman : Marie-O, Marie-Odile. Alors moi aussi j’ai dit « Allez Maman ! » et finalement elle s’est décidée. On a joué dans les vagues, on a couru sur la plage en se donnant la main, c’était génial. Comme l’autre dimanche avec toi à Héliomonde mais là en plus on était tout seuls sur une plage immense. On était tout nus dans le vent et la pluie et le monde était à nous, si tu vois ce que je veux dire. Je n’avais jamais vu Maman comme ça. Nue, bien sûr, mais c’est pas ça que je veux dire : on avait le même âge tous les trois. Qu’est-ce que j’aurais voulu que tu sois là ! ... Voilà … Bien sûr on n’était que tous les trois. Je crois pas qu’elle serait mûre pour Héliomonde ! Loreleï, oui, sans doute, mais Maman, non. Pas encore. En attendant, cette semaine je l’ai vue par hasard qui se risquait déjà à traverser le couloir entre sa chambre et la salle de bain. Quand elle m’a vu elle a fait « Oups ! » et puis elle a ri. Elle n’a pas fait un geste bête pour se cacher. Je crois que c’est Loreleï qui la pousse. Elle dit que sur la plage elle nous sentait tout propres tous les trois et que ça lui fait du bien. Maman a l’air de la comprendre et de penser que c’est important. Et avec moi elle n’est plus tout à fait pareille non plus, Maman. Je trouve qu’elle me traite plus comme un grand. On est bien, tous les trois. »

C’est vrai aussi qu’il a grandi depuis le mois de juin. Sinon moi, sa mère et Loreleï je ne les connais pas, alors ça me serait un peu égal tout ça. Mais lui, il y a à peine trois mois il vivait seul avec elle, qui lui avait appris qu’il faut être tordu pour se balader tout nu, et il ne voulait pas trop le montrer mais il était gêné de voir la culotte de Vanessa. Alors pour lui, avec nous d’abord et maintenant avec elles deux ça fait un drôle de changement. Il me semble qu’il est plus vivant, plus libre, plus heureux et ça, ça ne m’est pas égal du tout… On est bien, tous les deux. Et avec Maminou les poussins et Patrick, bien sûr ! Mais tous les deux …

Entre les deux lits il y avait juste trente centimètres. En pensant à tout ça j’ai eu envie de prendre sa main et je crois bien qu’on s’est endormis comme ça. Et quand je me suis réveillée bien sûr on s’était lâchés en dormant, mais il était tourné vers moi et il me regardait. Il m’a souri, il m’a dit : « Tu permets ? », il a repris ma main et il lui a fait un petit bisou. Tout petit. Ça m’a fait tout drôle.

On entendait du bruit à côté, alors on s’est levés et on est allé rejoindre les autres.

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