dimanche 13 septembre 2009

Le bloc-notes de Noémie (5)

On n’arrête pas de visiter des endroits fantastiques et Papa m’explique tout encore mieux que je n’aurais imaginé. On dirait qu’il a toujours vécu là et qu’il a connu personnellement tous les personnages historiques. Alors il m’aurait fallu des pages et des pages pour en parler et c’est pour ça que je n’ai rien écrit du tout depuis notre départ. J’aurais pu essayer. Nous dormons dans une chambre à deux lits mais comme Papa dort beaucoup moins que moi il me laisse un peu quand je suis couchée pour aller lire les journaux sans que ça m’empêche de dormir. Mais c’était trop : je n’ai pas eu le courage.

Seulement ce soir il s’est passé quelque chose de différent. Par hasard – c’est ce qu’ils ont dit – nous avons rencontré une de ses collègues de la Fac en fin d’après-midi. Une qu’il connaît assez bien pour qu’ils se fassent la bise pour se dire bonjour. Une bise de collègues, bien sûr ! Et « par hasard » c’est une qui est à peu près de son âge et plutôt belle. Alors évidemment Papa l’a invitée à dîner. Elle s’est beaucoup intéressée à moi. Elle me posait toutes sortes de questions, tellement que j’ai vite eu l’impression de passer un examen. Alors j’ai fait mon numéro de fille intelligente, bien élevée et tout et tout pour lui en mettre plein la vue. En nous quittant elle a dit à Papa :

- Merci pour cette charmante soirée Jean-Luc. Votre Noémie est une petite jeune fille remarquable.

« Une petite jeune fille » ! La cerise sur le gâteau !

Quand elle a été assez loin j’ai demandé à Papa si j’avais réussi mon examen. Il m’a regardée deux secondes puis il a ri et il a dit en me passant son bras autour de épaules :

- Je crois que « remarquable » est encore au-dessous de la vérité ma chérie ! En fait, toi tu as été éblouissante mais … sans le savoir c’est plutôt elle qui passait un examen et … je crois qu’elle l’a raté. C’est ça ?

J’ai répondu :

- Sincèrement, c’est vrai que je ne la trouve pas sympathique mais tu sais … de toutes façons moi c’est avec Maman que je vis. Toi, je t’aime, et je suis heureuse de savoir que tu m’aimes et que tu ne me laisses pas tomber comme le père des poussins, mais je ne veux pas que tu te sacrifies. Si elle te plaît, à toi …

Il m’a regardée drôlement. Pour une fois il n’avait plus l’air sûr de lui. Il a dit :

- Je ne sais pas encore ce que je vais faire avec elle. Mais je te promets que quand tu viendras chez moi elle n’y sera pas.

J’ai dit « Merci Papa » et je l’ai embrassé.

En fait à part pour dire bonjour, au revoir ou bonsoir, des bisous qui ne veulent rien dire, je ne l’embrasse pas souvent : les câlins, ce n’est pas son style. Pour dire merci aussi, pour un cadeau qui me fait vraiment plaisir. C’était un peu ça.

Et je repense que c’est pendant des vacances de plusieurs jours, quand on vit vraiment quelque chose ensemble qu’on se sent bien lui et moi, alors que les week-ends c’est … plus froid, comme quelque chose qu’on est obligé de faire, même si on s’aime. Ce serait mieux si on se voyait seulement quand on en a vraiment envie. Et les vacances bien sûr. Il faudra que je le lui dise.

***

Là, pendant les vacances chez Papy et Mamie, ce n’était vraiment pas possible d’écrire. Alors maintenant que nous voilà de retour, un petit bilan ? Allons-y.

D’abord Maman et Patrick.

Ce qui est clair, c’est que je n’avais jamais vu Maman aussi heureuse. Dans notre clan, Patrick a si bien trouvé sa place qu’on croirait qu’il a toujours été là. Et j’aime décidément sa façon de la regarder. Je le lui ai dit et il m’a répondu :

- Tu m’avais déjà dit ça le premier jour à Héliomonde. Tu te souviens ? Tu sais, dès que je l’ai vue j’ai eu envie de la connaître. Parce qu’elle est belle, bien sûr, mais j’ai eu tout de suite l’impression qu’elle était plus que ça. Le premier soir où nous avons dîné ensemble, c’est de vous trois que nous avons parlé. Et un peu d’Enzo, mais je ne sais pas en parler comme elle parle de vous. Et c’est à Héliomonde, quand je vous ai vus ensemble que j’ai compris. C’est au milieu de vous qu’elle est complètement elle, et que vous m’y fassiez une petite place, et en plus avec mon Enzo, c’est la plus belle chose qui pouvait m’arriver. Et à lui aussi je crois. Parce que vous êtes … vrais. Excuse-moi pour ton père, et c’est tant mieux pour moi, mais je n’arrive pas à comprendre comment lui et le père des poussins ont pu la quitter.

J’ai dit :

- J’aime bien aussi comme tu me parles. Comme…

- À une « grande personne » ? Tu es une personne et … tu es assez grande pour ton âge !

Il m’a fait une petite caresse sur la tête en riant et il a ajouté :

- Et toi et moi, je crois que dès qu’on parle de ta mère … on se comprend.

C’était clair. Par contre ce qui m’étonnait de sa part, c’est qu’il n’ait pas averti Enzo que nous étions naturistes. Il m’a dit :

- Tu sais, pour moi ça a été facile parce que d’être nu ça ne m’a jamais vraiment gêné mais surtout, quand c’est comme ça que je vous ai vus tous les trois pour la première fois, j’ai tout de suite senti que … comment te dire … c’était évident quoi. Mais comment expliquer ça à Enzo ? Moi, expliquer … Il fallait qu’il le sente, lui aussi, et si je lui en avais parlé avant peut-être qu’il se serait braqué. En fait même ça, je te le dis maintenant et je crois que c’est la vraie raison mais … je l’avais senti, pas pensé. Et tu vois, ça a marché. Au bout de deux jours il avait tout compris.

Jusque là je croyais qu’il n’y avait que Maminou pour être capable de me parler comme ça, sans tricher. Enzo aussi, c’est vrai, c’est ça que j’adore chez lui. Mais lui et moi on a presque le même âge, ce n’est pas pareil.

Enzo.

Lui aussi il a trouvé sa place. Quand je les ai rejoints en vacances, j’ai tout de suite vu qu’il était devenu le grand frère des poussins. Enfin … Je crois que Vanessa est un peu amoureuse de lui, mais quoi, elle n’a que huit ans et demi et lui, il la traite comme une petite sœur, c’est clair.

Et moi ? C’est clair aussi qu’il est amoureux de moi : je ne vais pas faire la coquette, semblant que je ne m’en serais pas aperçue. D’ailleurs tout le monde s’en est aperçu : il ne fait rien pour le cacher. Et en même temps il ne demande rien. Moi, je profite un peu de sa gentillesse : plus gentil, ça n’existe pas et il a l’air d’être heureux comme ça. C’est agréable. Mais sa façon de dire ce qu’il pense tout droit, tout simplement, comme quand je lui ai raconté l’histoire de Julie avec Théo … Je sentais qu’au départ il avait un peu de mal à être tout nu avec moi, Maman m’avait prévenue. Je l’ai un peu bousculé, il s’est un peu forcé et un moment après il est capable de dire comme ça, tout droit qu’avant il avait envie de voir les filles toutes nues, comme les autres garçons, et ce que ça lui fait maintenant qu’il a pris l’habitude avec Vanessa, et même avec moi. Ça surtout, je n’aurais pas cru qu’il le dirait aussi simplement. J’ai eu un peu honte de le lui avoir demandé.

Quand je nous vois tous les deux, surtout nus, c’est clair qu’on n’a pas le même âge. Et en même temps, j’aime bien être avec lui et ce n’est pas du tout comme avec Benoît. Comme l’autre jour dans la loveuse. Mes poussins collés sur moi, un à droite un à gauche, on a toujours fait ça. Quand il est entré j’avais envie qu’il vienne nous rejoindre mais je ne savais pas où le mettre et ça m’a bien arrangée que ce soit Vanessa qui décide. Trop chou ma puce. Et c’était bon de le sentir contre moi, mais pas du tout pareil que Benoît. En même temps, ça nous arrive de nous toucher quand on chahute dans la piscine, bien sûr, mais un câlin comme ça rien que nous deux … impensable ! Vanessa, elle, elle n’est pas gênée de venir se coucher la tête sur son ventre quand on s’allonge un moment au soleil. Avant c’était avec Benoît qu’elle faisait ça. Du coup, lui il vient faire pareil avec moi. Je caresse ses cheveux, Enzo caresse ceux de Vanessa et on se regarde en se souriant, lui et moi.

Bon : lui, il est amoureux de moi. Moi… Je ne sais pas comment on peut appeler ça, mais après tout, est-ce que c’est important ?

Quand on s’est séparés en rentrant à Paris il a dit : « Ça me fait plaisir de retrouver Maman mais qu’est-ce que vous allez me manquer ! » Et Patrick a dit : « Tu les reverras dans quinze jours ! »

Moi, je vais chez Papa dimanche prochain, donc dans quinze jours j’y serai.

À propos de sa mère, Enzo me dit qu’elle a sans doute passé ses vacances avec un « ami » et que ce qu’il y a de nouveau pour l’instant c’est juste que la fille de cet ami va habiter avec eux en attendant de se trouver une chambre d’étudiante à Paris. Il pense que provisoirement ça devrait être supportable. C’est tout.

***

Les week-ends chez Papa, ça va peut-être s’arrêter pour un bout de temps. Il m’a dit qu’on lui propose un détachement dans une université américaine et qu’il hésite. Qu’il pourrait me faire venir pour les petites vacances. Je lui ai dit que ce serait génial. Je crois qu’il va accepter. Ça doit aussi l’arranger de s’éloigner un peu de la fameuse collègue, puisqu’il ne savait pas trop quoi faire avec elle.

Pendant ce temps Maminou, Patrick et les poussins étaient à Héliomonde. Patrick est presque tous les soirs à la maison et il a loué un mobil home pour tout les week-ends de septembre. Il est question qu’on y aille à partir de vendredi soir, si la maman d’Enzo veut bien.

À part ça la rentrée, bon. Des nouveaux profs, seulement quelques camarades de l’an dernier dans ma nouvelle classe, sinon c’est déjà la routine. Pas comme l’an dernier où l’entrée en Sixième au Collège, ça changeait pas mal de choses. Cette année c’est le tour d’Enzo.

Patrick lui a acheté un ordinateur pour la rentrée. Un portable, comme le mien pour qu’il puisse l’avoir pour travailler chez sa mère et l’emporter quand il vient chez lui. On va pouvoir s’écrire. Des e-mails parce que le chat, je n’aime pas trop.

***

Super le week-end. Ce n’est plus vraiment l’été et il y a eu quelques averses mais on n’est pas encore obligé de s’habiller et même, courir sous la pluie c’est sympa. Enzo a beau être un peu plus petit que moi, il court plutôt plus vite. On s’amuse bien et les poussins aussi adorent ça.

Cette fois Benoît a dormi avec Vanessa, et Enzo et moi sur les banquettes de la pièce principale. Il m’a raconté Loreleï et sa mère.

Loreleï, comme il en parle, pour dire la vérité je suis un peu jalouse. Il a dû le sentir parce qu’il m’a dit : « Je l’aime beaucoup mais tu sais, elle a seize ans et c’est la copine de ma mère. C’est pas du tout pareil que toi. Toi, je t’aime. C’est tout. »

Je le savais mais quand même … Ça faisait drôle de l’entendre me parler comme ça, à voix basse, dans l’obscurité. Peut-être qu’il ne l’aurait pas dit si on avait pu se voir.

Il m’a dit que le premier soir il leur avait raconté nos vacances naturistes et qu’elle avait dit qu’elle n’était pas naturiste mais qu’elle n’était pas contre l’idée de vivre nu et que, comme sa mère n’avait rien dit contre, ça l’avait encouragé à lui demander la permission de dormir sans pyjama comme avec nous. Je relis ma phrase et je la trouve un peu compliquée mais je me comprends et je n’ai pas envie de la refaire.

Il m’a raconté qu’après, sans le faire exprès, il était entré dans la salle de bain où elle était toute nue et qu’elle lui a dit qu’elle ça ne la gênait pas et qu’elle pensait que lui non plus puisqu’il était naturiste. Du coup il a pris sa douche sans se cacher et depuis, lui et elle, ça ne les dérange pas de traverser l’appartement tout nus comme nous. Mais sa mère non.

Et puis il m’a dit aussi que finalement il avait compris que Loreleï et sa mère sont amoureuses et qu’elles lui ont dit que c’était bien ça et que lui ça ne le dérange pas. J’ai dit :

- Mais, tu ne m’as pas dit qu’elle n’a que seize ans ?

Il a dit :

- Oui, mais Loreleï m’a raconté que Maman avait peur que ce soit mal et que c’est elle qui l’a convaincue qu’elles ont le droit de s’aimer. Et que d’ailleurs son père est d’accord. Alors moi, du moment que Maman est heureuse … Pour moi, Loreleï c’est comme une grande sœur, vraiment. D’ailleurs avec Maman, c’est bizarre. Quelquefois elles sont comme deux amoureuses qui auraient le même âge, peut-être même que ce serait Maman la plus jeune, et quelquefois c’est comme si Loreleï était vraiment ma grande sœur, sa fille quoi. Et depuis qu’elle est là … Avant, tous les deux avec Maman, ce n’était pas triste, non, mais comment dire … Plutôt sage, raisonnable, pas vivant comme chez vous. Maintenant c’est plus cool. Loreleï a des idées amusantes et Maman ne lui dit jamais non. Par exemple se faire une soirée aux bougies ou écouter de la musique dans l’obscurité allongés sur le tapis en faisant brûler de l’encens…

Moi, je sais bien qu’il y a beaucoup de gens qui trouvent que c’est scandaleux des femmes … je crois qu’on dit lesbiennes. Mais je ne vois pas vraiment pourquoi. J’en ai parlé à Maman, avec la permission d’Enzo, bien sûr, et elle m’a seulement dit que c’était un interdit d’origine religieuse mais qu’on ne choisit pas de qui on tombe amoureux. Elle dit aussi qu’il ne doit jamais y avoir des relations sexuelles entre un adulte et un enfant, mais qu’une fille de seize ans n’est plus une enfant puisqu’elle a le droit de se marier. Donc elle ne voit pas où serait le mal. Ça me rassure pour Enzo.

***

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