mercredi 28 octobre 2009

Puzzle (1ère partie)

I

Un liseré rose qui se dégrade en vert pâle avant de s’effacer dans le ciel blanc marque l’horizon marin de la baie des Anges. Il borde aussi la masse noire de l’horizon alpin qui fait face à la colline de Fourvières, tandis que plus au nord une nappe nuageuse enveloppe le Jura, retardant l’aube d’été pour la plaine de la Saône.

La première éveillée c’est la jeune femme brune qui dormait seule et nue sur son grand lit dans un immeuble dont la façade se détache, à mi-pente entre Saint-Irénée et Perrache. Un spasme la dresse soudain dans la pénombre qui baigne la chambre. Elle saisit aussitôt sur la table de chevet une serviette qu’elle porte devant sa bouche, réprimant la nausée qui la secoue pour aller vomir dans la cuvette des toilettes, de l’autre côté du couloir, en face de la porte ouverte de sa chambre. Puis elle passe dans la salle de bains voisine, emplit un verre au robinet du lavabo, se rince la bouche avant de prendre un comprimé déjà prêt sur la tablette, qu’elle avale avec le reste du verre d’eau. Elle ouvre avec précautions la porte fermée qui fait face à celle de la salle de bain et glisse un regard dans la pièce qu’à travers les perforations du store baissé le petit jour commence à éclairer. Elle s’approche sur la pointe des pieds des lits superposés qui en occupent un côté. Elle remonte doucement le drap sur le corps d’une petite fille, sept ou huit ans peut-être, qui semble profondément endormie sur celui du bas. Au-dessus c’est un garçon à peine plus grand qui se retourne en se recouvrant lui-même.

La jeune femme quitte la chambre des enfants, dont elle referme soigneusement la porte puis, pressant sa main droite sur son front en fermant les yeux, elle va actionner la chasse d’eau et vérifier que la cuvette est propre avant de regagner la sienne. Elle n’en ferme la porte qu’à demi et s’allonge sur le dos en tirant le drap sur elle jusque par-dessus sa tête. Elle reste ainsi quelques secondes avant de le rabattre sur sa poitrine.

***

Le soleil levant a fini par percer les nuages pour éclairer Mâcon. Au-dessus du bureau de tabac dont la grille est fermée, des persiennes s’ouvrent. L’homme que l’on aperçoit torse nu se penchant à la fenêtre pour les accrocher peut avoir la soixantaine.

- Robert ! appelle sa femme, depuis le lit où elle s’assoit, ses épaules nues émergeant du drap. Mets-toi quelque chose avant d’ouvrir les volets ! On peut te voir depuis la rue !

- Hé quoi ! répond Robert revenant vers elle. On peut me voir torse nu ! Par cette chaleur ça ne peut choquer personne et quant au reste, la première fenêtre qui aurait une vue plongeante est trop loin pour qu’on puisse voir quelque chose, à moins de prendre des jumelles ! Et là, pour mater des vieux machins comme nous, faudrait avoir du vice !

Car en fait Robert est intégralement nu.

- Vieux machins ! Dis donc, parle pour toi ! réplique-t-elle en riant. Non, je sais bien que tu as raison, mais moi, quand cette fenêtre est ouverte je ne suis pas à l’aise. Passe-moi donc mon peignoir et mets-toi quelque chose.

- On va passer deux semaines à poil et tu t’inquiètes pour une fenêtre ouverte ! Ah Monique !...Ça doit être ça la logique féminine ! plaisante Robert en lui donnant le vêtement demandé avant d’enfiler un caleçon.

- Là ! Ça te va ?

- Tu es gentil. Je préfère ! répond Monique en se levant. Avoue que c’est pas pareil ! Nus à la Sablière je m’y suis faite. J’y ai même franchement pris goût. Et au lit, c’est vrai que surtout quand il fait chaud on dort mieux nu. Mais là, non, je trouve pas ça naturel.

- Ça fait combien de fois qu’on se répète ça ma chérie ? reprend son mari en riant. On radote ! C’est comme ça que ça commence !

- Ma parole, ça t’obsède ! Moi je me sens pas vieille ! proteste Monique en riant aussi. Pas encore !

Elle s’approche de lui pour l’embrasser.

- Et je te sens pas trop vieux non plus ! Tu fais le café ?

Il la serre dans ses bras.

- Est-ce que je t’ai déjà dit que je t’aime, toi ?

- Il me semble, oui !

- Tu vois ! Je perds la mémoire !

- Va faire le café, chameau !

***

La fenêtre est ouverte et la lumière qui déjà inonde la Baie trace entre les lames blanches du store presque entièrement baissé des pointillés éblouissants. On entend un clocher sonner huit heures. Sur le lit défait, un homme jeune au bronzage discret et presque uniforme, repose sur le dos, les bras derrière la tête, les yeux au plafond, auprès d’une jeune femme endormie encore, dont le visage à demi enfoui dans l’oreiller tourne un profil vers lui. Sur son corps nu, les traces blanches d’un bikini soulignent un hâle plus soutenu. Le désordre des vêtements d’été éparpillés sur la moquette laisse imaginer les étreintes fiévreuses qui ont dû précéder le coucher.

L’homme s’accoude pour regarder dormir sa compagne. Puis il se lève avec précautions, inspecte le studio du regard pour y découvrir le coin cuisine et la porte de placard dissimulant le coin toilette, où il disparaît. Le bruit de la chasse d’eau réveille la jeune femme qui se retourne, s’assoit et ramène le drap sur elle pour regarder son compagnon, toujours nu, ouvrir le frigo, servir deux verres de jus d’orange et revenir vers elle en les portant.

- Pudique ? questionne-t-il en souriant.

- Pas toi, à ce que je vois ! répond-elle, lui souriant à son tour. Et bronzé partout ! Serais-tu naturiste ?

- Pas toi, à ce que j’ai vu … et que tu me caches maintenant ! Naturiste … plus ou moins, oui. Tu es contre ?

Tous deux reposent leurs verres après les avoir vidés à demi.

- Jamais essayé et pas vraiment envie de le faire en ce qui me concerne mais … rien contre pour les autres. Surtout quand je vois le résultat sur toi !

- Hé, les marques blanches, tout compte fait c’est plutôt sexy ! Une naturiste nue, elle est nue. Toi, avec tes marques de maillot tu es déshabillée. Moi, ça m’excite !

Il s’est approché. Tout en l’embrassant dans le cou il tire doucement le drap dont elle se couvrait pour dénuder un sein vers lequel sa bouche descend…

***

- Maman !

- Oui mon chéri !

- J’ai envie de faire pipi !

- Va faire pipi mon grand. Tu sais y aller tout seul !

L’agence immobilière doit appeler ça une studette. Quinze mètres carrés tout au plus, dans la pénombre, avec tout de même un petit évier, un plaque de cuisson électrique sur le petit frigo.

Le petit garçon de trois ans à peine, vêtu d’un pyjama d’été, descend de son lit d’enfant et trotte vers une porte s’ouvrant sur un minuscule cabinet de toilette. Puis, son besoin soulagé, il revient vers sa mère, encore couchée dans son clic-clac, et grimpe auprès d’elle.

Les longues mèches d’un blond foncé s’étalant sur l’oreiller et sur le tee-shirt bleu ardoise encadrent un visage très jeune. Elle attire contre elle pour un câlin le petit bonhomme qui se cale et suce son pouce. Il va peut-être se rendormir.

***

Le garçon qui tout à l’heure se retournait dans son lit en descend maintenant. Il jette un regard sur sa petite sœur qui, nue comme lui car elle a de nouveau rejeté le drap que tantôt sa mère avait remonté sur elle, semble dormir encore. Il passe aux toilettes en s’efforçant de ne pas faire de bruit, puis glisse un regard par la porte entrebâillée de la chambre de sa mère avant de regagner la sienne.

- T’as pensé à rabattre le couvercle ? demande à mi-voix la petite fille depuis son lit.

- T’es chiante, Zoé ! répond le garçon sans hausser le ton.

- Écoute ! Maman arrête pas de te le répéter : quand tu as juste fait pipi, tu tires pas la chasse mais tu rabats le couvercle ! C’est pas dur !

- Ça va ! C’est pas à toi de me dire ça !

Le petit garçon va quand même réparer son oubli puis revient près de sa sœur.

- Elle dort encore. Tu veux déjeuner tout de suite toi ?

- Non, ça presse pas. On a qu’à rester dans notre chambre à lire un peu, comme ça on fera pas de bruit. Je crois qu’elle a encore été malade ce matin.

La petite fille s’est levée, elle a soulevé légèrement le store pour avoir un peu plus de lumière, puis elle va chercher sur le coffre à jouets un album de Kirikou, l’ouvre sur son oreiller et s’installe à plat ventre pour le lire, tandis que son frère remonte dans son lit après y avoir jeté un album de Titeuf.

- Thibaud !

- Oui !

- C’est bien aujourd’hui que Mamie et Papy viennent nous chercher ?

- Oui. T’es contente de partir à la Sablière ?

- Oui, et toi ? Surtout que Papa va nous rejoindre !

- C’est cool. Maintenant laisse-moi lire !

***

La salle de bains est classique : faïence beige aux murs, sanitaires assortis et larges surfaces de miroirs. Un homme paraissant la quarantaine, vêtu d’un pantalon de pyjama également classique, se rase avec un rasoir électrique tandis que derrière lui une jeune femme de vingt-cinq ans, peut-être un peu plus, un peignoir de coton léger croisé sur la chemise de nuit, brosse de longs cheveux roux.

Dans la glace ils se sourient. La jeune femme attache ses cheveux en catogan, puis elle sort. Un couloir, la cuisine. Elle prend dans un placard cinq bols et des couverts qu’elle va disposer sur une table ronde, sur la terrasse. Elle descend les trois marches menant à la pelouse dont une assez grande piscine hors-sol occupe le centre. Au-dessus des hauts murs de pierre blonde qui l’encadrent, le soleil traverse quelques frondaisons pour s’y refléter. Par les persiennes entrouvertes sur le jardin, la jeune femme appelle :

- Les enfants ! Petit déjeuner !

Puis elle regagne la cuisine pour achever de le préparer.

Arrivent successivement sur la terrasse deux blondinettes en chemises de nuit mi-longues à qui l’on peut donner quatre et six ans, un garçon d’une dizaine d’années en pyjama aussi classique que celui de son père, veste sagement boutonnée, et ce dernier désormais vêtu d’un complet de lin. Ils s’installent autour de la table, la benjamine à la droite du père, puis l’autre fillette et le garçon. La jeune femme les y rejoint avec du café chaud qu’elle sert à son mari avant de s’asseoir à sa gauche et tout le monde attaque le petit déjeuner.

Quelques minutes plus tard, le père de famille se lève et fait le tour de la table.

- Un gros bisou pour Lisa, un pour Anaïs, un pour Bruce, et un pour Ariane…

- Et le bébé alors ? réclame la jeune femme qu’il vient de nommer.

Le père qui avait tourné le dos revient vers elle, s’agenouille et pose un baiser sur son ventre, puis sur sa main. Puis il se relève et s’éloigne vers l’intérieur de la villa, qu’il traverse en prenant au passage un attaché-case, avant de sortir du côté opposé à la terrasse.

- Il a pas de nom, le bébé ? demande Anaïs.

- Pas encore, répond Ariane en souriant. On ne sait pas encore si c’est un garçon ou une fille.

- On peut se baigner tout de suite ? demande Bruce en se levant à son tour.

- D’accord, si vous voulez. Allez mettre vos maillots !...Stop ! D’abord les bols à la cuisine ! Et n’oubliez pas d’aller faire pipi pendant que vous y serez à vous changer. Sinon vous allez encore attendre dans l’eau pour y penser et il va falloir vous sécher pour rentrer !

- Prem’s au cabinet ! proclame Bruce.

La table débarrassée, Ariane se dirigeant vers sa chambre pour se changer aussi tombe sur Lisa qui sort des toilettes toute nue, sa culotte à la main.

- Hé bien Lisa ! Depuis quand on se promène toute nue ?

- Ben… intervient Anaïs qui, à l’entrée de leur chambre, achève d’enfiler un maillot une pièce, …elle a enlevé sa culotte pour faire pipi et elle revenait pour mettre son maillot alors …

- Il y a deux solutions, explique Ariane calmement. Soit on y va avant d’avoir enlevé la chemise de nuit, soit on emporte le maillot aux toilettes pour le mettre avant de sortir. C’est compris les filles ?

- Oui Ariane ! dit Anaïs docilement.

- Oui Maman ! Bisou Maman ! dit Lisa qui s’étant arrêtée pour l’écouter, est toujours toute nue au milieu du couloir.

Ariane la soulève pour l’embrasser sur les deux joues et la repose dans la chambre.

- Allez ! Le maillot, en vitesse ! Tu veux bien lui mettre ses brassards Anaïs ? Je vous rejoins dans trente secondes !

Puis à Bruce qui sort de la chambre voisine en maillot :

- Lisa ne va pas à l’eau avant que je sois là, o.k. ? Tu y veilles !

***

Il a enfilé un jean et elle s’est enveloppée d’un paréo. Ils n’ont pas ouvert le store et dans la pénombre légère qui baigne encore le studio ils sont attablés devant un classique petit déjeuner.

- Moi, l’amour le matin, ça m’ouvre l’appétit, dit-elle en riant avant de mordre dans une tartine de taille respectable. Pas toi ?

- Tu vois, dit-il en finissant de préparer la sienne. Et à part ça, tu avais prévu quelque chose pour ta journée ? Moi je comptais faire une virée à moto dans l’arrière pays. Ça te tente ?

- Pourquoi pas ? La moto, j’aime bien et je n’ai pas souvent l’occasion d’en faire.

Je te fais confiance pour le programme.

- Tu aimes l’art moderne ?

- Ça dépend lequel. Moderne moderne, je ne connais pas trop. Il y a des trucs qui m’étonnent. Par exemple une fois dans une expo j’ai vu un néon dans une cuvette de chiote, il paraît que c’était de l’art. Un gros mot à la craie sur une ardoise signé Ben aussi … Je ne vois pas quels sont les critères de jugement. Mais si tu parles de Picasso, Matisse, Nicolas de Staël, par exemple, ça va.

- Et Miro ? Je te propose un petit tour à la fondation Maeght, tu connais ?

- J’ai entendu parler mais je n’y suis pas encore allée.

- Ça devrait te plaire. Puis un déjeuner dans un restau à Saint-Paul, puis l’après-midi sur les routes de montagne, avec une halte peut-être dans la vallée de l’Estéron, à un endroit que j’aime bien … s’il n’y a pas eu trop de monde pour avoir la même idée ! Bah, sinon on en trouvera d’autres !

- Vendu ! Un jean , un tee-shirt et des baskets, ça va .

- Parfait, vu la température ça devrait suffire et on sera assortis. J’ai un casque qui devrait t’aller. Je passe à mon hôtel me raser et chercher la moto et je reviens te prendre. Une demi-heure, ça te suffira pour être prête ?

- Largement mais tu ne veux pas que je te conduise à ton hôtel ?

- Merci, mais pas la peine c’est à dix minutes maxi à pied… Et pour moi, la toilette, dix minutes suffisent, douche et rasage compris, conclut-il en souriant !

***

Sur le balcon ensoleillé de leur appartement, Thibaud et Zoé, toujours nus, jouent tranquillement, l’un avec de la pâte à modeler, l’autre à baigner ses poupées Barbie dans une mini piscine gonflable. Leur mère, s’approche d’eux en enfilant une tunique de lin.

- Il va falloir s’habiller les enfants ! On monte au marché de Saint-Irénée acheter de la menthe, des citrons et des tomates pour faire un taboulé. Mamie et Papy aiment bien ça. Thibaud, tu te laves les mains et Zoé tu t’essuies. Je vous ai préparé vos affaires dans votre chambre. Tâchez de ne pas trop vous salir, ça m’arrangerait que vous les mettiez pour le voyage cet après-midi avec eux.

***

À la fondation Maeght, les amants du matin s’arrêtent devant les œuvres exposées, échangeant quelques commentaires. Ils se tiennent par la main, très tendrement. Il est plus grand qu’elle. Par instants il pose un baiser dans ses cheveux.

Un peu plus tard ils vont reprendre la moto. Le regard de la jeune femme s’arrête sur la plaque d’immatriculation.

- Soixante- neuf ? J’avais pas remarqué tout à l’heure ! Ça alors, comme coïncidence ! Il fallait qu’on se retrouve entre Lyonnais !

- Ah bon, toi aussi ? Je pensais que tu habitais ici.

- Non, le studio, c’est ma sœur qui me le prête pendant qu’elle est en Grèce avec son copain ! Moi j’habite Caluire.

- Moi Saint-Priest mais je bosse en ville. Curieux qu’on se rencontre ici !

- C’est vrai ça. Qu’est-ce que deux Lyonnais esseulés viennent faire sur la Côte d’Azur ? Et pourquoi là plutôt qu’ailleurs ? Moi, je t’ai dit, je profite du studio, mais toi, naturiste et apparemment célibataire, on t’imaginerait plutôt du côté du Cap d’Agde !

- Je viens d’y passer quelques jours, d’où le bronzage que tu as remarqué tantôt. Après … Une histoire plutôt marrante tout compte fait. Je te la raconterai tout à l’heure si ça t’amuse. On y va ?

Tous deux remettent leurs casques et enfourchent la moto.

***

Zoé, Thibaud et leur maman, un couffin à l’épaule, rentrent dans l’appartement. Tandis que la jeune femme se dirige vers la cuisine, les enfants courent dans leur chambre. Trente secondes plus tard ils en ressortent nus pour retourner à leurs jeux sur le balcon.

- Hé bien, vous n’avez pas perdu de temps, lance leur mère depuis la cuisine en les voyant traverser ainsi l’appartement.

- Tu nous as dit de pas nous salir ! explique Thibaud.

La jeune femme rit.

- Comme s’il vous fallait une raison !

- Et toi, tu fais pas comme nous ? s’étonne Zoé.

- Pas cette fois. Vos grands parents ne vont sans doute guère tarder et je sais que dans l’appartement ils n’aiment pas trop me voir nue.

- Mais nous on peut ? s’inquiète Thibaud.

- Bien sûr mon chéri. À votre âge ce n’est pas pareil !

***

Dans un parking à ciel ouvert, sous les remparts de Saint-Paul, les amants, main dans la main, s’éloignent de la moto. Elle dit :

- Tu sais, j’ai pas envie de passer une heure dans un restaurant. On ne pourrait pas juste prendre un pan bagnat dans une boulangerie ou un bistrot ?

- Si tu veux, belle enfant !

- Belle, c’est gentil, mais enfant tu exagères. Quel âge crois-tu que j’aie ?

- Vingt…huit, trente maxi ?

- Tu es gentil ! Trente trois ! Et en fait d’enfants j’en ai deux ! Bruce, dix ans, et Anaïs, six. Moi c’est Fabienne.

- Moi c’est Clément, et j’ai aussi deux enfants ! Thibaud, neuf ans, et Zoé, huit. Et on a presque le même âge. Divorcée ?

- Depuis quatre ans, oui. Et profitant de ma liberté quand les enfants sont chez leur père, comme tu vois.

- Pas divorcé puisque pas marié mais … ça fait quatre ans aussi. Les enfants sont avec leur mère bien sûr mais … Le pan bagnat, ça ne devrait pas poser de problème. Et si tu n’as pas trop faim tout de suite, on peut même l’emporter pour aller pique-niquer au bord de l’Estéron. Il y a … disons une grosse demi-heure de moto et une autre à pied. Ça te va ?

- Ça me va.

- Il faut juste que je t’avertisse, si tu as envie d’un petit rosé avec, moi je ne bois pas d’alcool.

- Pas de problème. J’aime bien le rosé mais avec la chaleur qu’il fait je préfère aussi de l’eau fraîche. L’alcool, tu n’en as jamais bu ?

- Si, justement !

- Excuse-moi.

- Pas de mal. Tu sais, c’est le principe des alcooliques anonymes : la première démarche si on veut guérir c’est de dire « Je suis alcoolique. » Ça ne suffit pas mais c’est un début et … il ne faut jamais l’oublier. Moi j’ai replongé une fois, mais maintenant ça fait presque deux ans que je suis clean.

- Et ça ne te manque pas ?

- L’alcool non, je n’en ai plus besoin. Mais j’avoue que les bons vins, pour un Bourguignon comme moi … Mais quoi, il faut choisir, si tu fais une exception tu en feras d’autres et… Il y a d’autres plaisirs !

Il la regarde en souriant et porte à ses lèvres la main qu’il tenait. Elle le regarde à son tour et elle dit :

- Oui.

***

- Ils arrivent ! s’écrie Zoé. Je reconnais leur voiture qui est en train de monter.

- Des Clios grises, il y en a des tas, réplique Thibaud.

- Si ce sont eux nous n’allons pas tarder à le savoir conclut leur mère.

Une minute plus tard, la sonnerie retentit. Zoé se précipite vers le parlophone.

- C’est nous ! dit une voix. Papy et Mamie !

- J’avais raison ! triomphe Zoé. Je vous ouvre !

Elle ouvre aussi la porte de l’appartement mais sa mère intervient :

- Non Zoé ! Tu ne sors pas toute nue sur le palier !

Zoé surveille l’arrivée de l’ascenseur par l’entrebâillement de la porte qui cache son corps. Thibaud est derrière elle. Leur mère s’approche.

Voilà Robert et Monique, à qui les enfants sautent au cou. La jeune femme les embrasse à son tour affectueusement.

- Les enfants vous guettaient depuis le balcon ! Je vous ai fait un taboulé.

- Merci ! Ton taboulé est toujours délicieux ma petite Mélanie, approuve Monique en la suivant à la cuisine. Et à part ça, tu vas bien ? Je te trouve une petite mine !

- Elle a encore été malade ce matin, dit Zoé qui les a suivies.

Monique lance à Mélanie un regard clairement interrogatif.

- Oh non ! y répond la jeune femme. Il faudrait que ce soit le Saint-Esprit et tu sais bien que je ne le fréquente pas !

- Mais de quoi vous parlez ? interroge Zoé.

- C’est juste une plaisanterie ma puce. Et ce serait trop compliqué à t’expliquer. Va donc retrouver Papy, je crois que ton frère l’a emmené sur le balcon pour lui montrer ses chefs d’œuvre en pâte à modeler.

Et tandis que la petite obéit, sa mère continue à mi-voix, avec un sourire rassurant :

- J’ai un petit problème mais je vais justement en profiter pour me soigner. Partez en vacances tranquilles. Clément vous rejoint, je crois ?

- À partir de demain en principe. Tu sais, il ne boit plus du tout et il est tellement heureux de passer deux semaines avec les enfants !

- Eux aussi … Je sais … Je te donnerai une lettre pour lui. Mais il faut me promettre de ne la lui remettre que dimanche prochain. Non ! Je ne peux rien te dire de plus. Juste que peut-être quand il l’aura lue il voudra venir me voir et que … je préfère que vous ne changiez rien au programme pour la première semaine. Je peux compter sur toi ?

- Bien sûr mon petit. Tu sais que nous n’avons jamais voulu nous mêler de vos affaires à tous les deux mais … nous t’aimons beaucoup.

- Je sais. Vous avez été formidables. Moi aussi je vous aime.

Les deux femmes s’étreignent longuement.

- Je t’aide à mettre la table ? propose enfin Monique d’un ton léger.

- Les enfants l’ont fait. Je vais y porter le taboulé. Tu veux bien prendre la carafe d’eau fraîche ?

***

Et voilà. Sur une matinée d’été, je vous ai présenté les protagonistes de cette histoire. Nous les retrouverons tous à un moment ou à un autre.

J’ai joué au metteur en scène : j’ai choisi les séquences (en fait j’ai aussi écrit les dialogues) ce n’est donc pas du tout objectif bien que ça fasse semblant, mais je les ai décrites en m’interdisant de les commenter.

Maintenant je vais suivre un peu plus longuement Clément, qui est au centre de l’histoire, sans changer de méthode. Quelques jours. Jusqu’au tournant décisif. La lettre de Mélanie à Clément, évidemment. Puis on verra. Peut-être, passé ce tournant, un récit plus classique où j’entrerais dans les têtes ? Qu’en pensez-vous ? Après tout c’est pour vous que j’écris : dites-moi donc ce que vous préférez !

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