vendredi 30 octobre 2009

Puzzle ( 1ère partie 2)

Par un sentier escarpé Clément et Fabienne descendent vers un petit bassin naturel qu’on aperçoit en contrebas dans le lit de l’Estéron. Ils croisent une famille en train de remonter vers la route : deux adolescents précèdent un couple, les parents sans doute.

- On vous laisse la place, profitez en ! lance le père avec un clin d’œil.

Ils s’installent sur un grand drap de bain pour pique-niquer. Personne en vue. Clément a ôté ses bottes et trempe ses pieds dans l’eau.

- On se baigne ?

- Elle n’est pas trop froide ?

- Si tu n’es pas trop frileuse.

Fabienne se déshabille. Sous ses vêtements elle porte un bikini. Elle explique :

- Comme tu m’avais parlé de cette halte, j’ai pris mes précautions, tu vois !

Clément se déshabille à son tour. Il porte un shorty qui peut aisément passer pour un maillot.

- En même temps, nous sommes seuls, dit-il. Ça te dérange si je me baigne nu ?

- Après cette nuit, tu trouverais ça un peu ridicule que ça me dérange, non ? En fait j’avoue : j’aime bien te voir nu.

- Moi aussi !

Il l’attire contre lui et dégrafe son soutien-gorge. Debout corps contre corps, les pieds dans l’eau, ils finissent de se déshabiller mutuellement et c’est elle qui les entraîne dans le bassin où ils s’ébrouent :

- Bouh ! C’est frisquet ! s’exclame Fabienne.

Clément l’a reprise dans ses bras.

- J’adore tes seins avec la chair de poule et le tétin tout petit ! dit-il en les effleurant de ses lèvres.

- Si quelqu’un nous voyait …

- Viens. Un peu plus bas c’est moins bien pour se baigner mais … mieux abrité.

Ils récupèrent leurs affaires et, toujours nus, descendent le torrent en marchant dans l’eau.

Un peu plus tard, le soleil au zénith éclaire dans le fond de la gorge un grand drap de bain sur lequel deux corps nus reposent, allongés côte à côte.

Fabienne s’assoit, fouille dans le sac d’où elle sort les deux sandwiches enveloppés dans du papier blanc.

Un moment plus tard, elle repose après y avoir bu la bouteille d’eau de source, tandis que Clément, assis à côté d’elle, achève son pan bagnat. Elle s’essuie la bouche du dos de sa main.

- Tout compte fait j’avais faim !

Elle s’allonge en chien de fusil, la tête sur les genoux de Clément.

- Tu me la racontes ton histoire marrante ?

Clément sourit :

- Tu es sûre d’avoir trente trois ans ? À te voir comme ça, tu as l’air d’une petite fille ! En fait je suis venu ici parce qu’une fille avec qui je correspondais sur internet depuis un certain temps m’y avait donné rendez-vous. On avait parlé de plein de choses, on était bien sur la même longueur d’ondes, elle habitait ici, les vacances, pour se rencontrer en vrai c’était l’occasion et puis … Au rendez-vous, avec les signes de reconnaissance convenus je trouve un mec !

- Non !

- Si ! Il s’est excusé. Il m’a raconté une histoire assez émouvante mais… Je ne sais pas si c’était vrai et de toutes façons je la trouvais plutôt inquiétante.

- Raconte !

- Le mec pouvait avoir trente ans. Il m’a dit qu’il y a cinq ans sa sœur jumelle avait été tuée dans un accident, qu’il n’arrivait pas à faire son deuil. La photo qu’il avait mise en ligne c’était la sienne et en prenant son identité il se donnait l’impression de prolonger sa vie… Quand j’avais proposé qu’on se rencontre il n’avait pas su comment s’en sortir. Et puis, avant de m’avouer la vérité il avait eu envie de me voir en chair et en os.

- Et comment tu as réagi ?

- Je ne pouvais pas lui en vouloir, si son histoire est vraie. Elle est plausible et le mec n’est pas antipathique, mais … Moi, un gars qui peut à ce point prendre l’identité d’une sœur jumelle morte, ça me fait quand même un peu peur. On s’est quittés sans rancune mais … définitivement. Et puis, comme j’étais là j’ai décidé d’y rester les quelques jours que j’avais prévus.

- C’est romanesque ! J’adore ! Mais je crois qu’à ta place j’aurais réagi comme toi. Et tout compte fait … moi je trouve que ça finit bien ton histoire.

- On peut dire ça …

- Je voulais dire que … Tu aurais pu rentrer direct à Lyon ! précise-t-elle en se frottant contre lui.

- Mais le Destin en avait décidé autrement ! reprend-il sur un ton grandiloquent en la prenant dans ses bras. Tu es adorable !

***

Plus tard encore, Fabienne et Clément, rhabillés, remontent vers la route. Au bord du bassin où ils s’étaient baignés tantôt, ils surprennent un jeune couple et deux enfants de cinq ou six ans qui se baignent nus. Les adultes font un mouvement pour se cacher mais Clément dit :

- Ne vous dérangez pas, on ne fait que passer !

On échange des sourires et tandis qu’ils remontent le sentier, Fabienne dit :

- J’avoue que cette petite famille en pleine nature, c’est … idyllique. Mais moi, mes parents m’ont inculqué une pudeur rigoureuse. Mon ex, c’est pareil alors nos enfants … Mon fils surtout, depuis qu’il est capable de se laver tout seul je ne l’ai plus vu tout nu !

- Chacun ses idées mais franchement, on n’était pas bien tout à l’heure, quand on descendait le torrent ? Et quand on pique-niquait ?

- On n’était que tous les deux, quand on descendait tu ne me voyais pas puisque tu marchais devant moi en regardant où tu mettais les pieds et …on était pratiquement en train de faire l’amour !

- Et le pique-nique ?

- C’était la suite ! Non, honnêtement, je ne sais pas si c’est parce que toi je te sens tellement à l’aise mais nue avec toi, ça va. C’est drôle, c’est la première fois. Je suis bien avec toi.

- Moi aussi.

***

La moto roule sur des routes de montagne. Fabienne, les bras passés autour de la taille de Clément, a appuyé la tête contre son dos.

***

Ils sont arrivés devant chez Fabienne. Elle descend la première.

- Tu viens ?

- Je te suis.

Il range la moto et la rejoint dans l’entrée de l’immeuble.

- Attends, il faut que je te dise ... C’est dommage qu’on ne se soit pas rencontrés plus tôt parce que je suis obligé de partir demain. Mais puisqu’on est tous les deux sur Lyon, on pourrait se revoir si tu veux bien.

- Oui, répond-elle d’une voix hésitante. Bien sûr ! Excuse-moi je ne m’attendais pas … J’espérais qu’on pourrait avoir quelques jours … Remarque, moi aussi il faut que je remonte sur Lyon mais … J’avais encore une semaine ici. Tu peux pas rester avec moi jusqu’à demain matin ?

- Si, bien sûr ! Mais je ne me voyais pas t’annoncer ça au réveil !

- C’est vrai que …

Elle s’est engagée dans l’escalier.

- Tu viens ?

Il la suit. La porte du studio refermée derrière eux, elle se pend à son cou.

- Tu es vraiment obligé de partir demain ?

- J’ai promis à mes enfants de les rejoindre dans les Cévennes, où ils seront en vacances avec mes parents pour quinze jours. Il y a trois mois que je ne les ai pas vus alors tu comprends …

- Bien sûr, tes enfants … Tes parents habitent là ?

- Non ils ont un bureau de tabac en Saône et Loire, à Mâcon . Mais ils emmènent les enfants dans un camping, en pleine nature, au bord de la Cèze.

- Ça doit être sympa … Si j’osais … Écoute, si tu me trouves indiscrète n’hésite pas à me le dire, je te comprendrai, mais … Si tu pars demain matin, tu ne pourrais pas m’emmener ? J’ai… J’ai envie de te connaître mieux. J’aimerais bien te voir avec tes enfants, tu sais, je crois que ça dit plein de choses sur un homme. Tu n’aurais qu’à me présenter comme une copine de Lyon et en fin de journée tu me jetterais à la gare la plus proche pour continuer le voyage.

- Si ça t’aide à me pardonner de te quitter déjà … Seulement il faut que je t’avertisse. Le camping, c’est un centre naturiste. Ils ont dû y arriver cet après-midi et ils m’attendent demain pour le déjeuner. Et si tu veux y entrer …

- Ah tes parents et tes enfants aussi ? Et bien sûr pour y entrer il faut se déshabiller !... Moi …

- À la rigueur, pour quelques heures tu peux circuler en paréo, tu risques juste de croiser des gens qui te foudroieront du regard, mais à la piscine ou à la rivière, il faudra l’enlever … À toi de voir …

- Au fond … Sans personne que je connaisse, à part toi bien sûr mais avec toi … Je crois que je pourrais. Mais… de quoi je vais avoir l’air avec mes marques ?

- Ça, tu ne seras pas la seule ! Tu sais, il y a pas mal de naturistes qui ne veulent pas se priver d’aller à la plage dès le printemps et … rien qu’ici par exemple, pour trouver une plage où on puisse bronzer nu il faut faire de la route ! Alors ils arrivent avec leurs marques et ça ne gêne personne !

- Alors tu m’emmènerais ?

- Pourquoi pas ?

Il l’embrasse. Ses mains remontent sous le tee-shirt …

***

Le soleil est haut dans le ciel.

À l’entrée de la Sablière, Clément ressort du local d’accueil et rejoint Fabienne qui l’attend près de la moto. Il consulte sa montre.

- On y va. Ils doivent nous attendre au mobil-home.

La moto suit la route qui descend sur quelques centaines de mètres au milieu de la végétation, puis emprunte un chemin de terre et s’arrête à côté d’une Clio grise. Deux enfants nus abandonnent sur la table en plastique de la terrasse leur partie de dames pour se précipiter vers Clément.

- Papa !

Ils l’ont crié en même temps et s’accrochent à son cou avant même qu’il ait mis la moto sur sa béquille. Un couple portant allègrement la soixantaine, également nu, sort à ce moment du mobil-home, affichant un large sourire de bienvenue. Fabienne reste en retrait, comme retranchée derrière la moto, manifestement embarrassée.

Après avoir embrassé tendrement ses enfants puis ses parents, Clément revient vers elle.

- Voici Fabienne, que j’ai rencontrée sur la Côte. Comme je vous l’ai dit au téléphone, elle habite Caluire, elle n’est pas naturiste mais, l’occasion se présentant sous ma forme séduisante, elle a eu envie de voir de plus près de quoi il s’agissait. Et je la conduis ce soir à la gare de Bollène d’où elle regagnera ses pénates… Fabienne, comme tu l’as compris, voici ma mère, Monique, mon père, Robert, et mes enfants, Zoé et Thibaud.

- Soyez la bienvenue, Fabienne, dit Monique en lui tendant la main. Entrez donc vous déshabiller. Mais pour le déjeuner, si vous préférez garder un paréo il n’y a pas de problème.

- Bonjour Fabienne, dit à son tour Robert en tendant la main.

- Bonjour Fabienne, disent à peu près en chœur les deux enfants en retournant à leur partie de dames.

- Les enfants, il va falloir dégager la table pour l’apéritif, dit Monique.

- Ça fait rien, on va finir par terre, répond Thibaud en prenant le jeu.

Fabienne est entrée après avoir pris son sac dans les sacoches de la moto. Clément, lui, se déshabille dehors sans plus de façons.

- Jolie fille ! lui glisse son père.

Clément le regarde en souriant :

- On s’est rencontrés il y a deux jours. Comme ça tout de suite on se plaît bien mais … Che sera sera !

Fabienne ne tarde pas à ressortir, enveloppée d’un paréo léger.

- Je peux vous aider Monique ?

- Papa, viens voir ! Thibaud triche !

- Non je triche pas ! Elle voit pas qu’elle peut prendre et y a rien à faire pour lui faire comprendre que souffler n’est pas jouer !

- Tu sais que chez les vrais joueurs on ne souffle pas, on oblige à prendre, ça règle le problème ! dit Clément en s’accroupissant près d’eux.

- Moi je préfère souffler, si elle voit rien tant pis pour elle !

- Oui mais le gros avantage d’obliger à prendre c’est qu’on peut tendre des pièges. Tiens tu vois, si elle fait ça…

- Ben ! Je prends !

- Oui, et elle t’en prend trois ! Si on joue souffler, tu fais semblant d’avoir rien vu et elle t’en souffle qu’un !

- Ah oui ! Bon, après on verra mais pour l’instant je préfère comme ça !

- Mais si Papa t’avait rien dit …D’abord c’est trop tard, t’avais déjà joué, proteste Zoé.

- C’est vrai ça, j’aurais pas dû m’en mêler, conclut Clément. Allez Thibaud, sois beau joueur, laisse la te prendre ces trois pions… De toutes façons, tel que ça se présente, si tu gagnes pas t’es vraiment nul !

- C’est pas drôle, boude Zoé. C’est toujours lui qui gagne !

- Il est juste un peu plus grand que toi ! Mais va, quand tu seras un peu plus entraînée je suis sûr que vous ferez jeu égal.

Il s’est relevé en tenant Zoé dans ses bras. Elle en profite pour se blottir contre lui, câline.

- Et moi ! proteste Thibaud.

- Tu aimes encore les câlins, un grand garçon comme toi ?

Clément s’assoit dans un des fauteuils en plastique, un enfant sur chaque genou, posant alternativement un bisou dans les cheveux de l’un et de l’autre.

- C’est joli ! dit Fabienne à Monique, tandis qu’elles ressortent ensemble portant verres et bouteilles.

- Ça me fait plaisir à voir, parce que ce n’est pas souvent qu’ils sont ensemble, dit Monique avec un soupir. Ils s’adorent mais … que voulez-vous, les grandes personnes ou prétendues telles ne sont pas toujours raisonnables !

- Je sais, dit Fabienne. Mais les miens … Je n’imagine pas leur père comme ça avec eux…

Elle rit.

- Vraiment pas !…

- Il était très câlin quand il était petit, lui aussi, se souvient Monique. Voyons : Robert un pastis bien noyé, moi un panaché, Clément un jus d’ananas et vous ?

- Je veux bien aussi un pastis… bien noyé !

- On peut avoir un coca ? demande Zoé.

- Un pour deux alors : n’allez pas vous remplir l’estomac de gaz avant de manger, répond la grand-mère.

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