dimanche 24 octobre 2010

l'héritage 2

La Sablière

Par un sentier escarpé Clément et Fabienne descendent vers un petit bassin naturel qu'on aperçoit en contrebas dans le lit de l'Estéron. Ils croisent une famille en train de remonter vers la route : deux adolescents précèdent un couple, les parents sans doute.

- On vous laisse la place, profitez en ! lance le père avec un clin d'œil.

Ils s'installent sur un grand drap de bain pour pique-niquer. Personne en vue. Clément a ôté ses bottes et trempe ses pieds dans l'eau.

- On se baigne ?

- Elle n'est pas trop froide ?

- Si tu n'es pas trop frileuse.

Fabienne se déshabille. Sous ses vêtements elle porte un bikini. Elle explique :

- Comme tu m'avais parlé de cette halte, j'ai pris mes précautions, tu vois !

Clément se déshabille à son tour. Il porte un shorty qui peut aisément passer pour un maillot.

- En même temps, nous sommes seuls, dit-il. Ça te dérange si je me baigne nu ?

- Après cette nuit, tu trouverais ça un peu ridicule que ça me dérange, non ? En fait j'avoue : j'aime bien te voir nu.

- Moi aussi !

Il l'attire contre lui et dégrafe son soutien-gorge. Debout corps contre corps, les pieds dans l'eau, ils finissent de se déshabiller mutuellement et c'est elle qui les entraîne dans le bassin où ils s'ébrouent :

- Bouh ! C'est frisquet ! s'exclame Fabienne.

Clément l'a reprise dans ses bras.

- J'adore tes seins avec la chair de poule et le tétin tout petit ! dit-il en les effleurant de ses lèvres.

- Si quelqu'un nous voyait …

- Viens. Un peu plus bas c'est moins bien pour se baigner mais… mieux abrité.

Ils récupèrent leurs affaires et, toujours nus, descendent le torrent en marchant dans l'eau.

Un peu plus tard, le soleil au zénith éclaire dans le fond de la gorge un grand drap de bain sur lequel deux corps nus reposent, allongés côte à côte.

Fabienne s'assoit, fouille dans le sac d'où elle sort les deux sandwiches enveloppés dans du papier blanc.

Un moment plus tard encore, elle repose, après y avoir bu, la bouteille d'eau de source, tandis que Clément, assis à côté d'elle, achève son pan bagnat. Elle s'essuie la bouche du dos de sa main.

- Tout compte fait j'avais faim !

Elle s'allonge en chien de fusil, la tête sur les genoux de Clément.

- Tu me la racontes ton histoire marrante ?

Clément sourit :

- Tu es sûre d'avoir trente-trois ans ? À te voir comme ça, tu as l'air d'une petite fille ! En fait je suis venu ici parce qu'une fille avec qui je correspondais sur internet depuis un certain temps m'y avait donné rendez-vous. On avait parlé de plein de choses, on était bien sur la même longueur d'ondes, elle habitait ici, les vacances, pour se rencontrer en vrai c'était l'occasion et puis… Au rendez-vous, avec les signes de reconnaissance convenus je trouve un mec !

- Non !

- Si ! Il s'est excusé. Il m'a raconté une histoire assez émouvante mais… Je ne sais pas si c'était vrai et de toutes façons je la trouvais plutôt inquiétante.

- Raconte !

- Le mec pouvait avoir trente ans. Il m'a dit qu'il y a cinq ans sa sœur jumelle avait été tuée dans un accident, qu'il n'arrivait pas à faire son deuil. La photo qu'il avait mise en ligne, c'était la sienne et, en prenant son identité, il se donnait l'impression de prolonger sa vie… Quand j'avais proposé qu'on se rencontre il n'avait pas su comment s'en sortir. Et puis, avant de m'avouer la vérité, il avait eu envie de me voir en chair et en os.

- Et comment tu as réagi ?

- Je ne pouvais pas lui en vouloir, si son histoire est vraie. Elle est plausible et le mec n'est pas antipathique, mais… Moi, un gars qui peut à ce point prendre l'identité d'une sœur jumelle morte, ça me fait quand même un peu peur. On s'est quittés sans rancune mais… définitivement. Et puis, comme j'étais là j'ai décidé d'y rester les quelques jours que j'avais prévus.

- C'est romanesque ! J'adore ! Mais je crois qu'à ta place j'aurais réagi comme toi. Et tout compte fait… moi je trouve que ça finit bien, ton histoire.

- On peut dire ça…

- Je voulais dire que… Tu aurais pu rentrer direct à Lyon ! précise-t-elle en se frottant contre lui.

- Mais le Destin en avait décidé autrement ! reprend-il sur un ton grandiloquent en la prenant dans ses bras. Tu es adorable !

***

Plus tard encore, Fabienne et Clément, rhabillés, remontent vers la route. Au bord du bassin où ils s'étaient baignés tantôt, ils surprennent un jeune couple et deux enfants de cinq ou six ans qui se baignent nus. Les adultes font un mouvement pour se cacher mais Clément dit :

- Ne vous dérangez pas, on ne fait que passer !

On échange des sourires et tandis qu'ils remontent le sentier, Fabienne dit :

- J'avoue que cette petite famille en pleine nature, c'est… idyllique. Mais moi, mes parents m'ont inculqué une pudeur rigoureuse. Mon ex, c'est pareil alors nos enfants… Mon fils surtout, depuis qu'il est capable de se laver tout seul je ne l'ai plus vu tout nu !

- Chacun ses idées mais franchement, on n'était pas bien tout à l'heure, quand on descendait le torrent ? Et quand on pique-niquait ?

- On n'était que tous les deux, quand on descendait tu ne me voyais pas puisque tu marchais devant moi en regardant où tu mettais les pieds et …on était pratiquement en train de faire l'amour !

- Et le pique-nique ?

- C'était la suite ! Non, honnêtement, je ne sais pas si c'est parce que toi je te sens tellement à l'aise mais nue avec toi, ça va. C'est drôle, c'est la première fois. Je suis bien avec toi.

- Moi aussi.

***

La moto roule sur des routes de montagne. Fabienne, les bras passés autour de la taille de Clément, a appuyé la tête contre son dos.

Sur une autre route de montagne roule une Clio grise. A l'intérieur, Zoé, Thibaud et leurs grands parents.

***

Ils sont arrivés devant chez Fabienne. Elle descend la première.

- Tu viens ?

- Je te suis.

Il range la moto et la rejoint dans l'entrée de l'immeuble.

- Attends, il faut que je te dise... C'est dommage qu'on ne se soit pas rencontrés plus tôt parce que je suis obligé de partir demain. Mais puisqu'on est tous les deux sur Lyon, on pourrait se revoir si tu veux bien.

- Oui, répond-elle d'une voix hésitante. Bien sûr ! Excuse-moi je ne m'attendais pas… J'espérais qu'on pourrait avoir quelques jours… Remarque, moi aussi il faut que je remonte sur Lyon mais… J'avais encore quelques jours ici. Tu peux pas rester avec moi jusqu'à demain matin ?

- Si, bien sûr ! Mais je ne me voyais pas t'annoncer ça au réveil !

- C'est vrai que…

Elle s'est engagée dans l'escalier.

- Tu viens ?

Il la suit. La porte du studio refermée derrière eux, elle se pend à son cou.

- Tu es vraiment obligé de partir demain ?

- J'ai promis à mes enfants de les rejoindre dans les Cévennes, où ils seront en vacances avec mes parents pour quinze jours. Il y a trois mois que je ne les ai pas vus alors tu comprends…

- Bien sûr, tes enfants… Tes parents habitent là ?

- Non ils ont un bureau de tabac en Saône et Loire, à Mâcon. Mais ils emmènent les enfants dans un camping, en pleine nature, au bord de la Cèze.

- Ça doit être sympa… Si j'osais… Écoute, si tu me trouves indiscrète n'hésite pas à me le dire, je te comprendrai, mais… Si tu pars demain matin, tu ne pourrais pas m'emmener ? Je suis venue en train : la voiture, c'est comme le studio, c'est celle de ma sœur. Et j'ai… J'ai envie de te connaître mieux. J'aimerais bien te voir avec tes enfants, tu sais, je crois que ça dit plein de choses sur un homme. Tu n'aurais qu'à me présenter comme une copine de Lyon et en fin de journée tu me jetterais à la gare la plus proche pour continuer le voyage.

- Si ça t'aide à me pardonner de te quitter déjà… Seulement il faut que je t'avertisse. Le camping, c'est un centre naturiste. Ils ont dû y arriver cet après-midi et ils m'attendent demain pour le déjeuner. Et si tu veux y entrer…

- Ah tes parents et tes enfants aussi ? Et bien sûr pour y entrer il faut se déshabiller !... Moi…

- À la rigueur, pour quelques heures tu peux circuler en paréo, tu risques juste de croiser des gens qui te foudroieront du regard, mais à la piscine ou à la rivière, il faudra l'enlever… À toi de voir…

- Au fond… Sans personne que je connaisse… à part toi bien sûr, mais toi… Je crois que je pourrais, seulement… de quoi je vais avoir l'air avec mes marques ?

- Ça, tu ne seras pas la seule ! Tu sais, il y a pas mal de naturistes qui ne veulent pas se priver d'aller à la plage dès le printemps et… rien qu'ici par exemple, pour trouver une plage où on puisse bronzer nu il faut faire de la route ! Alors ils arrivent avec leurs marques de maillot et ça ne gêne personne !

- Alors tu m'emmènerais ?

- Pourquoi pas ?

Il l'embrasse. Ses mains remontent sous le tee-shirt …

***

Le soleil est haut dans le ciel.

À l'entrée de la Sablière, Clément ressort du local d'accueil et rejoint Fabienne qui l'attend près de la moto. Il consulte sa montre.

- On y va. Ils doivent nous attendre au mobil home.

La moto suit la route qui descend sur quelques centaines de mètres au milieu de la végétation, puis emprunte un chemin de terre et s'arrête à côté d'une Clio grise. Deux enfants nus abandonnent sur la table en plastique de la terrasse leur partie de dames pour se précipiter vers Clément.

- Papa !

Ils l'ont crié en même temps et s'accrochent à son cou avant même qu'il ait mis la moto sur sa béquille. Un couple portant allègrement la soixantaine, également nu, sort à ce moment du mobil home, affichant un large sourire de bienvenue. Fabienne reste en retrait, comme retranchée derrière la moto, manifestement embarrassée.

Après avoir embrassé tendrement ses enfants puis ses parents, Clément revient vers elle.

- Voici Fabienne, que j'ai rencontrée sur la Côte. Comme je vous l'ai dit au téléphone, elle habite Caluire, elle n'est pas naturiste mais, l'occasion se présentant sous ma forme séduisante, elle a eu envie de voir de plus près de quoi il s'agissait. Et je la conduis ce soir à la gare de Bollène d'où elle regagnera ses pénates… Fabienne, comme tu l'as compris, voici ma mère, Monique, mon père, Robert, et mes enfants, Zoé et Thibaud.

- Soyez la bienvenue, Fabienne, dit Monique en lui tendant la main. Entrez donc vous déshabiller. Mais pour le déjeuner, si vous préférez garder un paréo il n'y a pas de problème.

- Bonjour Fabienne, dit à son tour Robert en tendant la main.

- Bonjour Fabienne, disent à peu près en chœur les deux enfants en retournant à leur partie de dames.

- Les enfants, il va falloir dégager la table pour l'apéritif, dit Monique.

- Ça fait rien, on va finir par terre, répond Thibaud en prenant le jeu.

Fabienne est entrée après avoir pris son sac dans les sacoches de la moto. Clément, lui, se déshabille dehors sans plus de façons.

- Jolie fille ! lui glisse son père.

Clément le regarde en souriant :

- On s'est rencontrés il y a deux jours. Comme ça tout de suite, on se plaît bien mais… Che sera sera !

Fabienne ne tarde pas à ressortir, enveloppée d'un paréo léger.

- Je peux vous aider Monique ?

- Papa, viens voir ! Thibaud triche !

- Non je triche pas ! Elle voit pas qu'elle peut prendre et y a rien à faire pour lui faire comprendre que souffler n'est pas jouer !

- Tu sais que chez les vrais joueurs on ne souffle pas, on oblige à prendre, ça règle le problème ! dit Clément en s'accroupissant près d'eux.

- Moi je préfère souffler, si elle voit rien tant pis pour elle !

- Oui mais le gros avantage d'obliger à prendre c'est qu'on peut tendre des pièges. Tiens tu vois, si elle fait ça…

- Ben ! Je prends !

- Oui, et elle t'en prend trois ! Si on joue souffler, tu fais semblant d'avoir rien vu et elle t'en souffle qu'un !

- Ah oui ! Bon, après on verra mais pour l'instant je préfère comme ça !

- Mais si Papa t'avait rien dit… D'abord c'est trop tard, t'avais déjà joué, proteste Zoé.

- C'est vrai ça, j'aurais pas dû m'en mêler, conclut Clément. Allez Thibaud, sois beau joueur, laisse la te prendre ces trois pions… De toutes façons, tel que ça se présente, si tu gagnes pas t'es vraiment nul !

- C'est pas drôle, boude Zoé. C'est toujours lui qui gagne !

- Il est juste un peu plus grand que toi ! Mais va, quand tu seras un peu plus entraînée je suis sûr que vous ferez jeu égal.

Il s'est relevé en tenant Zoé dans ses bras. Elle en profite pour se blottir contre lui, câline.

- Et moi ! proteste Thibaud.

- Tu aimes encore les câlins, un grand garçon comme toi ?

Clément s'assoit dans un des fauteuils en plastique, un enfant sur chaque genou, posant alternativement un bisou dans les cheveux de l'un et de l'autre.

- C'est joli ! dit Fabienne à Monique, tandis qu'elles ressortent ensemble portant verres et bouteilles.

- Ça me fait plaisir à voir, parce que ce n'est pas souvent qu'ils sont ensemble, dit Monique avec un soupir. Ils s'adorent mais… que voulez-vous, les grandes personnes ou prétendues telles ne sont pas toujours raisonnables !

- Je sais, dit Fabienne. Mais les miens… Je n'imagine pas leur père comme ça avec eux…

Elle rit.

- Vraiment pas !…

- Il était très câlin quand il était petit, lui aussi, se souvient Monique. Voyons : Robert un pastis bien noyé, moi un panaché, Clément un jus d'ananas et vous ?

- Je veux bien aussi un pastis… bien noyé !

- On peut avoir un coca ? demande Zoé.

- Un pour deux alors : n'allez pas vous remplir l'estomac de gaz avant de manger, répond la grand-mère.

***

Ils sont tous les six au bord de la Cèze, parmi les autres familles naturistes. Les enfants se baignent, grimpent sur les rochers en demandant à leur père, assis sur la berge à côté de Fabienne, de les regarder plonger. Les grands parents se sont allongés à l'ombre d'un buisson, quelques mètres en arrière. Fabienne a étendu sur le sol le paréo qu'elle portait. La position assise lui permet encore de ne pas étaler sa nudité.

- Tu t'y fais ? demande Clément.

- Ça va… C'est plutôt plus facile que je ne croyais, avec cette ambiance familiale. Ils n'ont pas du tout l'air de se rendre compte qu'ils sont tout nus ! C'est déjà ce qui m'a tout de suite frappé avec tes parents. À leur âge… Ils ne sont pas mal du tout mais enfin… Moi, imaginer mes parents et mes enfants nus ensemble… Complètement impensable. D'ailleurs mes parents, je ne les ai jamais vus nus et mes enfants, je te l'ai dit, Anaïs est encore petite mais Bruce… D'ailleurs eux non plus ne m'ont jamais vue nue. Ni moi ni leur père ! Enfin, Anaïs, j'ai quelquefois pris mon bain avec elle, mais c'était quand elle était plus petite, elle doit pas s'en souvenir. Bruce aussi en fait mais alors lui encore moins. Son père ne trouvait pas ça convenable ! Ici c'est vraiment… Avec en plus ce cadre quasi sauvage, c'est une autre planète.

- Et tu aimerais y vivre ?

- Pour l'instant, pas vraiment. Tu vois, je suis bien, tout à l'heure je vais me lever avec toi pour aller me baigner et j'ai bien compris que personne ne va me regarder, enfin pas autrement que si j'étais en maillot… malgré mes marques. Mais je ne peux pas dire que je me sente chez moi, si tu vois ce que je veux dire.

- Normal pour une première fois. Tu sais, contrairement à mes enfants, moi non plus je n'y ai pas été habitué tout petit ! Mes parents non plus je ne les avais pratiquement jamais vus nus jusqu'à… il y a quatre ans, après notre séparation.

- Il y a un rapport ?

- Oui. Autant tout te dire. C'est Mélanie, mon ex, qui nous a entraînés dans tout ça. Elle non plus ce n'était pas son éducation, ses parents étaient plutôt bourges, école catho etc. mais quand ils ont divorcé, elle a décidé de tout remettre en question…

- Ça j'en connais d'autres, mais ça ne conduit pas nécessairement au naturisme !

- Tu veux vraiment que je remonte aux origines pour l'explication ?

- Oh oui ! Tu sais bien que j'adore les histoires !

- Bon, alors je te répète ce qu'elle m'a raconté. Donc, au départ, fille unique vivant avec ses parents dans un appart bon standing Montée de Choulans…

- C'est où ça ?

- La montée qui va de Perrache à Saint-Just, au-dessous de Saint-Irénée, tu vois ?

- Oui ! Je l'ai déjà prise pour aller faire passer des exams au Lycée Saint-Just, mais je ne connaissais pas le nom. Pas mal comme quartier !

- Pas mal en effet ! Et puis école catho etc... En fait ça fait un certain temps que ses parents ont une liaison chacun de leur côté mais ils restent ensemble pour elle. Pas très câlins, mais enfin elle ne se doute de rien. Ils attendent qu'elle ait passé un BTS de secrétariat trilingue, à vingt et un ans, pour lui révéler la situation. Ils ont décidé de divorcer, ils partent chacun de son côté en lui laissant l'appart. « Pour solde de tout compte », c'est comme ça qu'elle l'a ressenti. Ils l'avaient acheté ensemble, en le lui donnant ils s'offrent une bonne conscience tout en évitant de se le disputer. Coup de blues, alcool, accident de voiture, hôpital, rééduc. La kiné la prend sous son aile et l'emmène en vacances avec sa petite famille à Euronat.

- Euronat ?

- Oui, un très grand centre naturiste du côté de Bordeaux. Alors là, la révélation. Et comme quand elle fait quelque chose ce n'est pas à moitié, elle est allée beaucoup plus loin que sa kiné. Elle s'est mise à vivre nue en permanence chez elle, plus d'alcool, ça l'accident y était aussi pour quelque chose mais plus de viande, la totale quoi ! Tu sais même chez les naturistes les plus convaincus, c'est une minorité. Puis on s'est rencontrés sur le terrain d'un club lyonnais, où j'avais suivi par curiosité un collègue de travail qui le fréquentait en famille. Moi, j'étais du genre conformiste par paresse. Quand j'habitais chez mes parents, on pouvait par hasard se voir deux secondes nus entre deux portes sans problème mais ça arrivait rarement et c'était tout. Je crois que j'étais assez immature aussi. Elle… Son enthousiasme m'a tout de suite fasciné et j'ai suivi. Elle, au fond, je ne sais pas ce qui lui a plu. Peut-être ce pouvoir qu'elle avait sur moi. Elle m'a invité dans son appart. Elle avait même trouvé un boulot en télétravail pour y vivre en liberté. Et… j'y suis resté. Quand on a eu ces deux petites merveilles on a continué à vivre nus et ils ont poussé comme ça. Elle y tenait particulièrement et je la laissais décider.

- Mais pas convaincu ?

Il hésite.

- Si. Pour tout dire, ça me paraît pas nécessaire que ce soit tout le temps, surtout si ça devait les empêcher d'avoir des copains, mais en gros, si, j'étais et je reste d'accord.

- Ça ne leur a pas posé de problème quand ils sont allés à l'école ?

- Non, pourquoi ? Ils ont grandi avec un schéma très simple dès le départ : à la maison avec Papa et Maman on vit tout nus, ailleurs on vit habillés. Tes enfants n'iraient pas à l'école en pyjama je suppose !

- C'est vrai. Excuse-moi, continue.

- Non, pas de problème ! Il a juste fallu les avertir que sur leurs dessins aussi il fallait être habillés à l'école.

Fabienne rit.

- Ah oui ! J'imagine la tête de la maîtresse en les voyant dessiner leur famille à poil !

- Remarque, on aurait pu lui expliquer ! Non c'est plutôt vis-à-vis des copains. Mais elle a raison tu sais, leur mère : nos enfants, je les sens super bien dans leur peau, dans leur corps. Ils savent que les fringues c'est juste un truc qu'on met parmi les autres pour faire comme tout le monde. Et pour les copains, eh bien s'ils ne sont pas naturistes, on fait comme tout le monde.

- C'est vrai qu'on les sent dans leur état naturel ici. À ce point je… Mais attends, j'essaye d'imaginer et il y a encore un truc qui accroche. Quand on sonne à la porte chez vous, enfin… chez eux, chez ton ex ?

- On ne va pas ouvrir à poil bien sûr ! D'abord parce que ça aurait des chances de choquer celui à qui on ouvre, et même sans ça, lui, il est habillé ! Lui ou elle… Nus ensemble, ça va, habillés ensemble, ça va, mais nu en face de quelqu'un qui est habillé ça ne va pas. On a toujours un jogging sous la main. Un jogging parce que ça s'enfile en quelques secondes et que si tu sonnes et que quelqu'un vient t'ouvrir en jogging tu ne remarques rien d'anormal. Enfin, Mélanie, elle met une tunique, ça va encore plus vite !

- Évidemment… En fait ce n'est pas compliqué.

- On avait tout pour être heureux, quoi. C'est moi qui ai déconné.

- Une autre femme ?

- Pire : l'alcool.

- Je suis bête, c'est vrai que tu m'en as parlé. Moi forcément je pense tout de suite à une autre femme parce que c'est ce qui m'est arrivé avec mon mari. Mais je croyais que tu avais adopté son régime.

- Oui. Mais au bout d'un certain temps je me suis dit qu'un verre avec des collègues en sortant du boulot, ça ne serait pas désagréable et qu'elle n'en saurait rien. C'était nul. Mais je pense que j'étais avec elle un peu comme un gamin qui aime ses parents mais qui en a marre de leur obéir. La première fois qu'elle s'en est aperçue à mon haleine elle m'a fait une scène. J'ai promis de ne pas recommencer et naturellement, j'ai recommencé. Et là, c'était l'engrenage : j'avais honte de ce que je faisais, j'avais honte de lui mentir, et plus j'avais honte plus je buvais. Jusqu'au jour où j'ai eu un accident avec les enfants dans la voiture. Rien de très grave, mais l'alcootest a parlé. Et alors là… J'avais mis les enfants en danger, je risquais de recommencer, je n'étais plus fiable. Elle m'a viré, en me disant de ne pas revenir tant que je ne serais pas désintoxiqué pour de bon.

- Dur !

- Dur. Aujourd'hui je la comprends : c'est vrai que je mettais les enfants en danger. Et son intransigeance, je n'avais pas à m'en plaindre puisque c'est pour ça, entre autres, que je l'aimais. Mais sur le moment, ça ne m'a pas aidé, c'est sûr. J'étais complètement désemparé, j'ai plongé encore plus profond. J'ai mis du temps à remonter… C'est là que mes parents entrent en scène. Pour commencer, c'est grâce à eux que je n'ai pas perdu le contact avec mes enfants. Ils les adoraient et ils appréciaient leur mère. Le naturisme à la maison, ils étaient plutôt réservés mais ils considéraient que ça nous regardait. Quand Mélanie m'a viré ils sont restés en relations. Elle a accepté de les leur confier quelques jours de temps en temps. Elle savait que j'en profiterais pour les voir mais ça, elle n'était pas contre dans ces conditions-là.

Les enfants, ils étaient encore petits, quatre et cinq ans ! Pour qu'ils soient à l'aise chez eux, mes parents ont admis qu'ils ne changent rien à leurs habitudes : rester nus autant qu'ils en avaient envie, même si Mamie et Papy, eux, préféraient vivre habillés. Mais l'appartement de mes parents, c'est pas grand. Alors ils ont fait un essai tous les deux, sans rien dire à personne, ici parce qu'ils s'étaient renseignés sur internet et que le site leur avait plu. Et comme ils ont vu qu'ils pourraient s'habituer, ils ont proposé d'y emmener les enfants l'été suivant. Voilà. C'est la troisième année qu'ils y reviennent passer deux semaines et la deuxième que je les y rejoins. Maintenant ils adorent. Sinon en juillet les enfants sont allés en colo, comme tu peux le constater en les regardant : bras et jambes bronzés et le reste plus clair. Pas vraiment blanc parce que chez eux il y a le balcon avec le soleil le matin, et que leur mère a dû les emmener à Miribel les week-ends de printemps. Dans quelques jours il n'y paraîtra plus !

- C'est vrai, j'ai entendu dire qu'il y avait une zone où le naturisme est autorisé au bord du lac. Mais toi et leur mère…

- Je te l'ai dit, il n'y a que deux ans que je suis vraiment clean. Et d'ailleurs, avec les alcooliques anonymes, le naturisme m'y a aidé. J'avais laissé tomber : ma période de révolte contre Mélanie, mais le copain dont je t'ai parlé tout à l'heure m'y a ramené. Ça a été un chemin pour me réconcilier avec mon corps. Me retrouver comme avant avec les petits aussi. Puis Mélanie, au départ je lui en avais voulu mais plus maintenant… Je ne l'ai pas revue depuis ces quatre ans, la rancune s'est refroidie… en même temps que l'amour... Et puis… j'ai repris goût à la vie de célibataire… comme tu as pu le constater !

- Comme moi… Enfin moi, à temps partiel ! Mon ex-mari prend les enfants classiquement, un week-end sur deux et la moitié des vacances. Moi j'ai les mêmes qu'eux, je suis enseignante. Ce que je fais pendant ce temps ne les concerne pas, ça ne déborde jamais sur leur temps à eux.

- Enseignante ?

- Oui : prof d'anglais dans un collège.

- Et tu n'as jamais été tentée de… ?

- Pas jusqu'à présent. Trop compliqué. Les enfants aiment leur père. Ils ont déjà eu un peu de mal au début avec sa nouvelle femme et leur gamine. Elle a quatre ans. Là, ça va : on a pris l'allure de croisière mais… je ne sais pas comment ils supporteraient de me voir le remplacer. Surtout Bruce, évidemment. Puis en fait, non, moi non plus je n'en avais pas envie…

Mais à ce moment elle s'abandonne contre lui dans un mouvement qui n'est pas dépourvu de sensualité. Il pose un baiser rapide sur ses cheveux et se lève :

- Tu viens te baigner ?

Elle le suit sans hésiter.

- Bouh ! Elle est froide dis donc ! s'exclame-t-elle, de l'eau jusqu'aux aisselles.

Il se rapproche d'elle :

- Tu as pu t'en rendre compte, ici on peut voir une belle femme nue sans avoir de réaction… visible. Mais quand on est nu en public il vaut mieux éviter les contacts physiques trop tendres !

- Ah bon, c'est pour ça que…

Elle rit.

- C'est vrai que ce n'est pas vraiment l'endroit ! Dommage ! Mais si tu veux on pourra se revoir à Lyon, je te donnerai mon numéro. Le second week-end de septembre je suis libre !

Ils sont ressortis et sont en train de se sécher sommairement quand les enfants les rejoignent.

- On a faim ! dit Zoé.

- Venez goûter ! appelle justement Monique en exhibant un paquet de biscuits.

Suivant les enfants, Clément et Fabienne viennent s'installer auprès d'elle.

- Ça va Fabienne ? demande Robert.

- Oui, pourquoi ?... Ah vous voulez dire… En fait vous voyez, je commence à oublier que je suis nue ! Bon appétit les enfants !

- Merci répondent-ils, la bouche pleine.

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