vendredi 3 décembre 2010

Ce qui m'énerve...

…ou si vous préférez : où l'on voit que la peur est mauvaise conseillère.

Beaucoup de gens persistent à penser que, puisque certaines parties de notre corps sont plus particulièrement dédiées à l'activité sexuelle, leur seule vue constituerait une incitation évidemment dangereuse en dehors des circonstances appropriées à se jeter incontinent dans cette activité. Comme si la seule vue d'une bouche incitait à manger, à boire ou à parler hors de propos, celle d'une oreille à écouter ou celle d'un pied à courir. Alors que la frustration créée par le tabou de la nudité, en particulier lorsque le vêtement, réduit au minimum, attire immanquablement l'attention sur les parties du corps qu'il continue à cacher quand le reste est dénudé, si elle n'est sans doute pas la seule source des obsessions et déviations sexuelles, y a très probablement sa bonne part.

Beaucoup de gens et même parmi les naturistes pensent qu'il ne faut pas prendre le risque d'exposer la nudité des enfants à la concupiscence. Alors que deux choses sont parfaitement claires. L'une est qu'un enfant est un objet de désir sexuel pour un pédophile, qu'il soit nu ou pas. Les enfants enlevés par des pédophiles en pleine rue ne s'y promenaient pas tout nus que je sache. L'autre est que, alors que pour un adulte exempt de ces sortes de pulsions un enfant, nu ou pas, se situe hors du champ des partenaires sexuels possibles simplement parce que son âge et son état d'évolution physique font qu'il n'est pas sexuellement actif, le fait de cacher son sexe – et jusqu'à l'emplacement des seins futurs des petites filles ! - proclame sans la moindre ambiguïté que ce qu'on cache là est du domaine de la sexualité. Pour paradoxal que cela puisse sembler, je tiens que le tabou de la nudité conduit à donner aux enfants l'apparence d'objets sexuels qu'ils n'ont pas naturellement. Et du reste, il n'y a pas si longtemps encore, la nudité des enfants était très généralement considérée comme innocente même sous nos climats.

En dehors du naturisme maintenant, un sujet qui ne peut laisser indifférent l'ex pédago que je suis et qui ne devrait du reste laisser indifférent aucun parent d'élève.

Une pétition circule, dont l'initiative revient à des étudiants autorisés par leur activité de soutien scolaire, qui demande l'abandon du système de notation en vigueur dans nos écoles. Un système dont, évidemment, les élèves qui ne rencontrent pas de difficulté d'apprentissage s'accommodent, mais qui y enfonce ceux qui en ont.

Il faudrait que cette vérité soit connue de tous. Hélas beaucoup d'enseignants qui la connaissent persistent à la refuser et à accuser ceux qui la diffusent de vouloir détruire le service public de l'Éducation Nationale. Alors que c'est justement ce refus qui le tue.

Soutenus par la FSU, dont cette attitude démagogique assure la puissance, les enseignants dans leur grande majorité, privés d'une formation pédagogique digne de ce nom, voient dans notre système de notation le dernier instrument de ce pouvoir discrétionnaire sur les élèves dont ils croient avoir besoin pour leur imposer le respect. On voit pourtant le résultat.

Les notes font partie d'un système cohérent dont le Bac est la clé de voûte, son obtention la finalité dès le CP si ce n'est dès la maternelle. Alors qu'à force de le diversifier pour pouvoir le donner à tout le monde on en a fait un hochet : censé ouvrir l'accès à l'enseignement supérieur il y envoie des masses d'étudiants qui s'aperçoivent rapidement qu'ils n'y ont pas été préparés.

Dans une recherche illusoire d'objectivité de cette notation, on privilégie le contrôle des savoirs sur celui des compétences, beaucoup plus difficiles à mesurer et beaucoup moins directement liées au travail actuel des enseignants. C'est ainsi que même en français et en philo, ce qui est demandé aux élèves n'est pas de faire la preuve d'une aptitude à communiquer dans une langue maîtrisée une réflexion personnelle, mais d'assaisonner dans une pseudo cohérence imposée par un sujet plus ou moins intéressant la régurgitation de savoirs inutiles (et du reste destinés à être rapidement oubliés). Car on oublie systématiquement cette évidence : beaucoup de savoirs peuvent être utiles, certes, mais dans la seule mesure où ils nourrissent une aptitude à penser par soi-même, ou à aller plus loin dans une formation personnelle débouchant sur la vie, ou au minimum à communiquer utilement entre gens qui les partagent. Qu'on me dise en quoi la capacité d'identifier et d'étiqueter correctement un oxymoron ou une anacoluthe est utile à qui que ce soit. Sauf à un futur prof de français qui, ses concours passés, ne s'en servira lui-même que pour pouvoir l'enseigner à des gamins qui n'en ont rien à cirer.

Comment dans ces conditions les adolescents percevraient-ils l'enseignement comme autre chose qu'une brimade, une sorte d'absurde bizutage social. Comment respecteraient-ils des profs qui n'en sont à leurs yeux que les auxiliaires, plus ou moins complices, plus ou moins victimes ?

Évelyne Charmeux, distinguée pédagogue dont par ailleurs je ne partage pas toutes les idées, disait un jour fort justement que notre école est un lieu où on passe son temps à contrôler les savoirs qu'on n'a pas eu le temps d'acquérir. Victimes en effet de la mission impossible qui leur est assignée à l'intérieur de ce système pervers, les professeurs, presque tous animés de bonnes intentions, ne voient pas qu'il n'y a pas d'autre salut pour l'Éducation Nationale qu'une refondation dans laquelle les objectifs seraient réellement définis en terme d'aptitudes à la réflexion et à sa communication, les programmes d'acquisition de savoirs entièrement mis en perspective par rapport à ces objectifs et leur rôle à eux, avec le type de relations qu'il implique entre eux et leurs élèves, également redéfini dans cette perspective. De cette remise en question fondamentale, ils ont peur. Et la FSU, qui ne prospère que sur cette peur, fait échouer toutes les tentatives de réforme qui pourraient s'attaquer à ses causes. Elle parvient même à persuader parents et syndicats lycéens que c'est dans leur intérêt !

Le troisième sujet est aussi, pour les parents, un sujet de fantasmes et de terreurs. Il s'agit de « la drogue », comme on dit, justement parce que cette globalisation imprécise nourrit les fantasmes, alors qu'il faudrait dire « les drogues », au nombre desquelles figurent en bonne place le tabac et surtout l'alcool, qui ne sont pas interdits, eux, sous prétexte qu'ils « font partie de notre culture ».

Entendons nous bien : toutes les addictions sont dangereuses et il faut faire tout ce qu'on peut pour dissuader nos enfants de s'y exposer. Parmi elles, il y a les addictions à des produits toxiques et à des psychotropes qui modifient notre aptitude à maîtriser nos comportements, comme l'alcool, justement mais pas seulement bien sûr, et qui sont donc doublement dangereuses.

Mais on a vu comment, aux États-Unis il y a quelques dizaines d'années, la prohibition de l'alcool a fait prospérer les organisations maffieuses et multiplié les victimes d'empoisonnement par des produits frelatés, au point que leur gouvernement y a renoncé, jugeant en définitive le remède pire que le mal. Outre qu'il était manifestement inefficace. Car l'expérience montre qu'on ne peut pas durablement empêcher de se droguer par la contrainte un individu qui en ressent le besoin. On ne guérit ces sortes de maladies que si on réussit à s'attaquer aux causes, celles, diverses, du mal-être, pas aux symptômes.

Or, ce qu'on a compris pour l'alcool, on refuse obstinément de l'appliquer aux autres drogues alors que le problème est exactement le même. Le commerce des drogues interdites aux mains de groupes maffieux, c'est la tentation de l'argent facile pour les jeunes des banlieues, qui se mettent à leur service pour y faire régner la peur et en interdire l'accès à la police, mais aussi aux pompiers, au Samu, à tout ce qui pourrait y apporter un peu de sécurité. C'est un énorme gaspillage de moyens policiers qui seraient mieux employés ailleurs, en pure perte puisque la consommation de drogues diverses ne cesse de progresser dans tous les milieux, l'interdit ne faisant qu'ajouter à leurs autres attraits celui de la transgression, qui banalise en outre le mépris des lois.

L'État contrôle le commerce du tabac et de l'alcool et n'a aucun scrupule à présenter l'augmentation des taxes qu'il prélève sur lui comme faisant partie des campagnes de dissuasion qu'il finance. Pourquoi n'appliquerait-il pas aux autres drogues ce réalisme politique ? Pourquoi ne pas chercher là un financement complémentaire pour la Sécurité Sociale sur lequel toutes les formes de toxicomanie pèsent nécessairement in fine ?

Je crains de connaître la réponse : tant par l'argent mis en jeu que par l'insécurité qu'il entretient, cet énorme gâchis ne profite pas seulement au « grand banditisme » officiellement classé comme tel !

Car la peur entretient les peuples dans la soumission.

2 commentaires:

Ougl a dit…

Encore une fois, bravo !

Je suis d'accord avec toi sur l'essentiel.
Sauf sur un point : supprimer les notations ? Oui, certes, mais comment évaluer les connaissances d'un élève, comment le situer par rapport à ce qu'on attend de lui ?
Il y a très longtemps qu'on en parle, mais je n'ai pas connaissance d'un seul pays qui aurait aboli les notes.

Pour le reste, oui la censure des images de bambins nus est idiote, oui les programmes de l'Éducation nationale sont absurdes & ineptes parfois (ce n'est pas nouveau : combien de poésies ou autres productions céréalières en Papouasie centrale ont dû être laborieusement apprises pour des prunes ?
Et que dire, effectivement, de cette stupidité de donner le baccalauréat à 80 % d'une classe d'âge ? Ça a dévalué le diplôme & fait croire à de nombreux jeunes qu'ils pouvaient suivre des études supérieures. Ils encombrent donc les amphithéâtres inutilement, au désespoir des prof. de facultés.
Quand je pense qu'il y a des projets visant à rendre l'école obligatoire jusqu'à 18 ans ! Pourquoi pas 25 pendant qu'on y est ? Alors que de très nombreux jeunes seraient plus heureux de sortir très tôt (14, 15 ans ?) du système scolaire pour apprendre un métier & démarrer leur vie dans de meilleures conditions.
Et les programmes sont modifiés très souvent, ce qui n'arrange rien !

Et oui je pense de plus en plus, moi aussi, que la prohibition des drogues est inefficace. Et l'État n'est jamais innocent là dedans : tant qu'il avait le monopole des tabacs, les prix étaient modérés. Depuis que la SEITA a été démantelée, il compense la perte des recettes en augmentant les taxes.
Quant aux autres drogues, l'aventurier Henry de Monfreid justifiait déjà (début du XXe siècle) ses trafics par le fait que l'État français interdisait la consommation & la vente de drogues partout sauf en Inde (où la France avait encore quelques comptoirs) & en Indochine, où l'État lui-même organisait la distribution de ces substances. En d'autres termes, l'État était un trafiquant de drogues ! Ce qui lui permettait au passage de ramasser quelques confortables bénéfices...

Bref, je ne pense pas, malheureusement, que les choses vont beaucoup bouger dans le bon sens ces prochaines années.
Hélas.

Mais tu as parfaitement raison de dénoncer ces carences de l'État.
Bravo.

Ougl

guy barbey a dit…

Merci Ougl.
En ce qui concerne la notation, je ne suis pas allé y voir mais j'ai lu qu'en Finlande au moins elle était effectivement supprimée. Or la Finlande se classe en tête pour l'efficacité de son enseignement alors que la France se traîne en queue de peloton.
Il ne s'agit pas de renoncer à toute forme d'évaluation, évidemment, mais comme je l'ai dit, je crois, de définir clairement des objectifs précis en termes de savoir faire à acquérir et de situer périodiquement chaque élève par rapport à ces objectifs grâce à des exercices de contrôle ciblés : savoir faire acquis, non acquis, ou en voie d'acquisition ( et pas de + et de - , voire de ++ et de --, comme on en a vu fleurir là où on a remplacé la note chiffrée par une échelle ABCDE qui revient en fait à noter sur 5, (de sorte qu'on aboutit finalement à noter sur 25 !) Hors de ces exercices ciblés, les performances plus naturelles mettant en jeu des savoirs et savoir faire multiples sont utilement évaluées par des observations relevant du dialogue personnalisé entre l'enseignant et l'élève, alors qu'une note chiffrée globale, qui peut être identique pour des devoirs manifestant des qualités et des défauts complètement différents n'a donc en fait aucune valeur pédagogique.
Pardon pour cette réponse un peu technique, mais ta question la réclamait.
En me relisant j'ai peur qu'il manque un exemple pour être clair. Alors en voici un. Pour raconter à quelqu'un un événement quelconque, une sortie scolaire par exemple, il faut être capable d'observer ce qu'on vit, de s'en souvenir, de structurer ce souvenir, de l'organiser en récit, de produire ce récit dans un langage grammaticalement correct et adapté à la personne à qui on raconte (et qui n'est pas forcément le prof)et, si le récit est écrit, dans une écriture lisible et sans fautes d'orthographe. Que dit à l'élève une note globale chiffrée, sur ses point forts et ses points faibles parmi toutes ces aptitudes (distinctes puisque éventuellement utilisées séparément dans d'autres circonstances) ?