lundi 28 juillet 2008

d'un ogre à l'autre : le chat botté



La pièce est petite mais les lambris sont riches. Et au milieu, roulé en rond sur un coussin de velours, le nez dans les pattes et ses bottes posées à côté de lui, le Chat Botté dort comme un chat ordinaire.
- Tu crois qu'on peut le caresser ? demande Morgane.- Ça le vexerait peut-être, répond Kévin.Et là-dessus le Chat entrouvre un œil, puis s'étire en baillant avant de s'asseoir.- Tiens c'est vous ? Vous avez donc une idée ? Mais…vous êtes donc toujours tout nus ?
- Pas toujours, répond Morgane. C'est parce qu'on était sur la plage…
- Et puis parce que quand on n'est pas tout nus, ça marche pas ton truc, pour venir ici, ajoute Kévin.
- Vraiment ? reprend le Chat. Et vous vous sentez à l'aise ?
Les enfants se consultent du regard.
- Pas vraiment conclut Morgane. Ici il ne fait pas chaud et j'imagine que personne n'est tout nu, alors… Avec ceux qui nous voient pas, ça va, on sait que c'est grâce à ça qu'ils peuvent pas nous empêcher de faire ce qu'on veut, mais…
- Il y a quand même les enfants et ceux qui ont une âme d'enfant qui peuvent nous voir, alors nous tout nus et eux habillés ça va nous faire drôle complète Kévin.
- Cela fait fort peu de monde ici, observe le Chat, cependant si vous en êtes ennuyés, on peut y remédier.
- Seulement si on est habillés tout le monde nous verra, reprend Morgane.
- Si peu ! dit le Chat. Il y a dans le couvent ici près des petits novices qui ne sont guère plus grands que vous. Avec leur froc et leurs sandales, tête baissée sous la capuche et mains croisées dans les manches, vous passerez inaperçus. Personne ne songera à vous dévisager. Je peux en envoyer quérir. Attendez moi un instant.
- Voilà qui est fait et nous aurons vos frocs tout à l'heure, reprend-il en revenant. Mais dites moi donc votre idée.
- Voilà qui n'est point sot, approuve-t-il après les avoir écoutés. Reste à organiser la chose. D'abord, aller voir mon m… ami. Il doit être à son cabinet, en train de travailler. Car il travaille, le brave garçon, pour se mettre au courant des affaires du royaume. Il lit avec application les rapports que le Roi lui a fait préparer, lui qui savait à peine lire. Notez bien que le Roi ne lit guère mieux. Il s'est informé au jour le jour en écoutant ses ministres. Mais il veut que l'époux de sa fille soit préparé à lui succéder et mon ami s'applique au point que la princesse se plaint parfois qu'il la néglige. Allons donc lui rendre visite. Ne craignez rien, nous ne rencontrerons point ici d'enfants et avant lui personne certes qui en ait l'âme. Il sera seul car il défend qu'on le dérange. Mais la défense ne vaut pas pour moi, naturellement.
Quand ils se sont vus habillés de frocs juste assez grands pour traîner presque par terre et cacher leurs pieds quand ils marchent, Morgane et Kévin ont éclaté de rire.
- Bonjour mon frère a dit Morgane en s'inclinant devant Kévin.
- Bonjour ma sœur a répondu Kévin de même.
- Attention ! a dit le Chat. Les adultes ordinaires ne vous entendent pas, ce qui n'est pas grave, car s'ils venaient à vous parler ils penseraient que vous avez fait vœu de silence. Mais si des enfants vous entendaient ils seraient surpris car les petits moines qui portent cet habit sont tous des garçons. Il vaudrait mieux que personne ne se pose de questions à votre sujet.
- Bonjour mon frère alors, rectifie Kévin en s'inclinant à nouveau.
Et Morgane éclate de rire.


Dans le couloir ils n'ont rencontré que des courtisans qui ont salué bien bas Messire Chat à son passage sans prêter aucune attention aux petits moines qui l'accompagnaient. Puis, arrivé devant la porte du cabinet où travaille Monseigneur le Marquis, gendre de Sa Majesté, le Chat Botté miaule, comme n'importe quel chat quand il veut qu'on lui ouvre, et presque aussitôt Monseigneur vient lui ouvrir.
- C'est toi ? dit-il – un peu sottement car qui d'autre miaulerait ? – Mais quels sont donc ces moinillons qui t'accompagnent ?
- Entrons d'abord nous expliquer, répond le Chat.
Et comme, sitôt la porte refermée, Kévin et Morgane rejettent en arrière leurs capuches,
- Les jolis enfants ! s'exclame le Marquis. Mais l'un d'eux a bien l'air d'une fille et l'on n'en reçoit pas d'ordinaire sous cet habit. Serait-ce un déguisement ? Est-ce encore l'un de tes tours ?
- Je vous l'avais bien dit qu'il a une âme d'enfant dit le Chat se retournant vers eux.

- C'est fort aimable à vous, gentils enfants de prendre soin de mon bonheur, conclut le Marquis après les avoir écoutés. Mais Chat, mon ami, si c'est pour cela que tu me demandais de réfléchir, j'aurais pu sans attendre dire la vérité à ma Princesse. Sans nul doute elle a gardé son âme d'enfant, malgré les intrigues au milieu desquelles elle a grandi, car cette âme est la plus belle qu'on puisse rencontrer.
- Vous le pensez, mon ami, car vous l'aimez, dit le Chat. Mais on apprend le mensonge aux princesses et l'amour est aveugle. C'est pour la grande fortune que je vous ai fait hériter de l'ogre magicien que le Roi vous a voulu pour gendre. Et peut-être la Princesse ne fait-elle que feindre pour lui plaire. Pourquoi refuser l'épreuve ? Craindriez-vous la vérité ?
- En aucune façon, répond le Marquis qui commence à pratiquer le beau langage. Mais il faudra que nous la rencontrions seule, car elle a auprès d'elle, en ses appartements, quelques très jeunes filles qui elles aussi paraissent pures comme les enfants qu'à peine elles ont cessé d'être, et tout ceci n'est point pour être ébruité. Cependant on sait à la cour que nous aimons, la Princesse et moi, nous promener seuls dans le jardin qui est sous cette fenêtre. Veillez y donc, et quand vous nous y verrez, venez nous y rejoindre s'il vous plaît.

- Il est sympa ton m…marquis, dit Kévin quand il est sorti.
- Sympa ? s'étonne le Chat. Qu'est-ce à dire ?
- Tu vois, toi aussi des fois tu comprends pas nos mots ! observe Morgane. Sympa ça veut dire… qu'on l'aime bien. Que les gens doivent avoir envie de l'aimer.
- Sans doute, sans doute. Mais la princesse… La princesse adore ses petits chiens. Comment peut-on adorer des petits chiens ? Alors moi, je me méfie !
Les enfants éclatent de rire et le Chat a l'air vexé. Le silence s'installe.
- C'est long, dit Kévin au bout de cinq minutes.
- Les enfants manquent toujours de patience, remarque le Chat d'un air pincé. Dès qu'ils seront dans le jardin, ça va aller très vite. Nous y allons, la princesse vous voit … ou ne vous voit pas, de toutes façons votre mission est accomplie et vous vous retrouvez chez vous !
- Sauf que … Il y a un autre conte dont on voudrait changer la fin, dit Morgane.
- Oui, explique Kévin. Le Petit Poucet !
- On voudrait pas que l'ogre tue ses filles, précise Morgane.
- Vous préférez qu'il mange le Petit Poucet et ses frères ? s'étonne le Chat.
- Non, bien sûr, mais qu'il tue pas ses filles insiste Morgane. Il les aime. Peut-être que si elles lui demandaient gentiment de pas tuer les sept garçons il accepterait. Moi, mon père…
- Mais ton père n'est pas un ogre, voyons !
- Ben… un peu quand même plaide Kévin. Et il est très gentil.
- Nous réfléchirons à cela tout à l'heure… si vous êtes encore là, coupe le Chat. Les voilà seuls dans le jardin. C'est à nous. Ou plutôt à vous.

Tandis qu'une haie les cache encore à ses yeux et à ceux de la princesse, les enfants entendent le marquis lui demander :
- Ma princesse, m'aimeriez-vous encore si je vous avais menti ?
- M'aimez-vous, mon doux ami ? répond la princesse gravement.
- Plus que ma vie en vérité.
- J'ai grandi entourée de mensonges et cette vérité-là seule m'importe.
- Je peux donc tout vous dire et point n'est besoin de ces gentils enfants, triomphe le Marquis, les voyant s'approcher.
- Ils sont bien jolis en effet, dit la princesse alors qu'ils rejettent leur capuche. Mais que fait donc une fillette sous cet habit de moine et pourquoi nous les amenez-vous Messire Chat ?
- Me croirez-vous ma mie si je vous dis qu'ils viennent d'un autre monde pour m'aider à ne plus vous mentir ? reprend le Marquis.
- Il faut bien que je vous croie puisque vous voulez ne plus me mentir. Mais qu'était-ce donc que ce mensonge dont vous me parliez ?
- Me pardonnerez-vous ma princesse ? Sachez que je ne suis point né marquis mais le fils d'un meunier et que c'est aux tours de Messire Chat que je dois ma fortune.
- N'est-ce donc que cela ? Et qu'ai-je donc fait pour naître fille de roi ? Et qu'avait fait mon père avant que de l'être ? Vous travaillez à devenir ce qu'il attend de vous et si vous m'aimez comme je vous aime, qu'ai-je à vous pardonner ?
- Princesse, intervient le Chat, vous êtes aussi sage que belle d'âme et de visage. Pardonnez-moi d'en avoir douté. Mais il vaut mieux qu'on ne sache rien à la Cour de tout cela, car d'autres s'en serviraient pour vous faire du mal.
- Messire Chat, sourit la princesse, je hais le mensonge. Mais élevée en ce pays j'ai appris qu'il est parfois sage de mentir aux menteurs.


Les enfants n'ont rien perdu de ce dialogue.
- Gagné ! dit Kévin.
Et dans leur enthousiasme, ils improvisent une ronde endiablée qu'ils terminent par une paire de gros bisous. Puis ils s'arrêtent soudain.
- On est encore là, constate Morgane.
- C'est peut-être à cause des habits, observe Kévin.
Ils les quittent prestement, mais les remettent aussitôt car cela n'a aucun effet.
- Alors c'est qu'on a encore quelque chose à faire. Messire Chat peux-tu nous aider ? demande Morgane.
- Ah oui, l'ogre ! Hé bien je pourrais vous enseigner où il demeure : les soldats du Roi y seraient déjà allés l'arrêter s'il ne leur échappait à tous coups avec ses bottes de sept lieues. Ah, ces maudites bottes ! Il n'était point méchant avant de les avoir. Peut-être suffirait-il qu'il ne les ait plus pour que cessent ses crimes et peut-être est-ce là ce que vous avez à faire. Mais le chemin est long et la forêt touffue. Vous sentez-vous capables de la traverser ?
- On va essayer ! répond Morgane. De toutes façons on n'a pas le choix, si on veut retourner sur la plage !
- Je vais donc vous enseigner le chemin, dit le Chat. Il est malaisé, mais point difficile à retenir

Le chemin est simple en effet : il suffira de remonter la petite rivière qui traverse la ville. Au soir, dans la forêt, ils trouveront près d'une source pure une cabane de charbonniers où ils pourront dormir. Dans les vastes poches de leurs frocs, la princesse aura mis des galettes pour leur nourriture. Le lendemain, après avoir marché quelques heures encore, ils arriveront en un lieu où la rivière, qui n'est plus qu'un torrent, forme un large bassin sous une cascade. Du haut de la cascade part un petit canal qui mène l'eau à la maison de l'ogre. Et quand ils seront là … à eux de trouver comment le séparer de ses bottes, et si possible les détruire afin qu'il ne les retrouve jamais.
- Mais si on y arrive, s'inquiète Kévin, est-ce que les soldats du Roi vont l'arrêter ?
- Sans nul doute, dit le Marquis. Afin de le punir pour tous ces petits enfants qu'il a dévorés.
- Ça ne va pas, dit Morgane. Bien sûr, ce qu'il a fait, c'est abominable. Mais le Chat l'a dit : ce n'est pas sa faute, ce sont les bottes qui l'ont ensorcelé. Et nous, on pense qu'il n'est pas complètement méchant puisqu'il aime ses filles. Mais si les soldats du Roi l'arrêtent, il ne les verra plus, et les petits enfants qu'il a mangés, ça ne va pas les ressusciter !
- Va savoir ! dit Kévin. On est bien là, nous !
- C'est vrai, reconnaît Morgane. En tout cas il faudrait nous promettre que si l'ogre ne fait plus de mal à personne on le laissera tranquille avec sa femme et ses filles.
- Promis, dit la princesse. Je me charge de convaincre le Roi. Car lui aussi, il aime sa fille, ajoute-t-elle en souriant.
Là-dessus, la princesse et le Marquis les embrassent très fort et leur souhaitent bonne chance, puis le Chat les conduit jusqu'à la grille du château.

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