
Cela ne dura-t-il que dix minutes, comme Ily l'avait prévu ? En tout cas, ça m'a paru une éternité. Il ne fallait pas que je me retourne. Le chasseur de vampires était-il en train de s'approcher sans bruit ? Allait-il se jeter sur moi avant que j'aie perçu sa présence ? Me prenant pour Ily, il ne me ménagerait pas. C'était seulement maintenant que j'y pensais. Il est vrai qu'il devait normalement passer à travers les planches avant de m'atteindre. Mais tout de même, je n'en menais pas large.
Et tout à coup la voix d'Isy :
- Attention Had !
Aussitôt il y eut un craquement, puis un cri de colère lancé par une voix d'homme. Je me retournai en jetant la burqa au jugé.
- Oui ! cria Iz en lançant sa corde sur le paquet noir qui se débattait, à demi coincé dans le plancher brisé.
Déjà le Zodiac se ruait sur la plage, et Nadia nous rejoignait pour nous aider à ligoter notre prisonnier, aveuglé par la burqa dans laquelle il s'entortillait.
- Il était en train d'enjamber les planches pourries, et il arrivait sur toi, expliquait Isy, toute excitée. Alors j'ai crié, et en se retournant il a marché dessus. Et c'est comme ça qu'on l'a eu. Finalement, il était quand même bon, ton plan !
Nadia parla à son père dans leur langue, et il cessa de se débattre. Alors sous la corde, elle écarta un peu la burqa pour dégager sa tête, sans cesser de lui parler. L'homme était âgé, mais manifestement solide.
- Maintenant nous allons parler en français, continua-t-elle. Nos amis doivent pouvoir comprendre ce que nous disons. Nous allons rentrer dans la maison, et tu vas faire la connaissance de ton petit-fils. Parce que c'est ton petit-fils, ne l'oublie pas.
- C'est un vampire ! Il n'y a rien d'autre à savoir !
Nous avions atteint le chalet. Nadia en referma la porte.
- Viens dans sa chambre, dit-elle ... Voilà. Regarde le. Le soleil le brûlerait, et il est allergique à l'ail, entre autres. C'est tout ce qu'il a de commun avec un vampire. Quant à boire du sang, il n'a seulement jamais mangé de viande de sa vie. D'ailleurs, son père non plus ne tuait pas, puisque je suis vivante !
Ily et son grand-père se regardaient intensément, évidemment bouleversés.
- Je veux bien te croire, mais il a les gênes d'un vampire, reprit le prisonnier. Je connais les lois de la génétique : cela peut sauter des générations, mais un de ses descendants peut être un vrai vampire.
- Tu as raison, grand-père, répondit doucement Ily. Cela se pourrait. Mais moi non plus je ne le veux pas. Je n'aurai pas de descendants : il suffit d'une opération, c'est facile !
- Tu renoncerais à avoir des enfants ? demanda Isy.
- Je suis peut-être déjà stérile naturellement ! C'est une possibilité que j'ai déjà envisagée. Qu'est-ce qu'on fait dans ce cas ? La fécondation artificielle, avec les banques de sperme, tu en as certainement entendu parler. S'il se trouve une femme pour partager ma vie d'infirme, elle pourra avoir des enfants, continua-t-il en lui prenant la main. S'ils sont les siens, ils seront les miens.
- Tu es quelqu'un de bien, petit, reprit le vieil homme. Et moi, je ne suis qu'un vieux fou, qui n'a jamais connu que la violence. Les vampires semaient la mort, autrefois, en Transylvanie. J'ai passé ma vie à les exterminer, tout en affirmant qu'ils n'existaient pas, parce qu'ils n'entraient pas dans les schémas du Parti. Il le fallait. Peut-être ton père n'était pas mauvais. Je ne pouvais pas savoir. Peux-tu me pardonner, petit ? Et toi, ma fille ? ... Je t'aime, tu sais. Rappelle-toi : j'ai tout fait pour te sauver ! C'était un autre monde ... Tu ne sais pas comme tu m'as manqué depuis seize ans !
Sans rien dire, Ily passa derrière lui pour défaire les nœuds. Puis il le regarda dans les yeux et l'embrassa sur les deux joues.
- On ne peut pas embrasser un homme attaché, dit-il en souriant.
- Tu m'as manqué aussi, dit Nadia en l'embrassant à son tour.
Le vieil homme se retourna vers Isy et moi, qui nous étions reculés avec le sentiment d'être de trop dans cette scène de famille.
- Et dire que sans vous j'aurais pu le tuer ! Il a bien de la chance d'avoir des amis comme vous. Vous permettez que je vous embrasse aussi ?
Isy pleurait, et moi ... je ne valais guère mieux.
- C'est pas tout ça, dis-je pour changer de ton. On a promis des explications à Maman. Qu'est-ce qu'on lui dit ?
- Que mon père, que je n'avais pas vu depuis seize ans, venait de nous annoncer son arrivée, répondit Nadia. Et que je vous avais demandé de l'attendre avec nous. Ça colle avec ce que vous lui aviez dit ?
Ça collait. Et ce n'était même pas tout à fait un mensonge !
Vous voulez un épilogue ?
Il n’y a pas eu de problème avec Maman quand nous sommes rentrés. Et les vacances ont repris leur cours heureux comme si rien ne s'était passé. Il y avait seulement en nous, en moi en tout cas, la fierté d'être sorti vainqueur de cette aventure et de la garder secrète. Mais au bout de quelques jours nous avons tout de même eu quelques scrupules à la cacher à nos parents. À moins que ce ne soit l'envie de nous vanter de nos exploits.
Nous leur avons donc tout raconté un soir, sur notre terrasse et je pense qu'ils ne nous auraient jamais crus si Nadia n’avait pas été là pour confirmer. Ils sont restés un peu assommés un petit moment, puis Papa a dit :
- C’est sympa d’avoir voulu nous révéler votre … secret. Nous y sommes sensibles mais au bout du compte … ça ou le xeroderma, qu’est-ce que ça change ? Allez les enfants, allez donc vous baigner !
J'y ai couru, plus léger d'avoir tout dit à nos parents. Les deux amoureux me suivaient en se donnant la main. Leur bonheur leur donnait une sorte de sérénité … qui ne les empêchait heureusement pas de jouer dans l'eau avec moi, savourant ce moment de totale liberté de nos corps que la nuit autorisait Ily à partager.
Les derniers jours de vacances ont été merveilleux. Puis nous avons regagné la ville et je me suis mis à écrire notre histoire.
Ily et Nadia habitent toujours au bord du lac et le père de Nadia est venu vivre avec eux. Comme il n’y a qu’une heure de route, Papa veut bien nous amener les voir assez souvent. Iz attend ces jours-là avec une impatience évidente. Ily aussi, sans aucun doute. À sa grande joie elle mincit et elle est enfin débarrassée de son appareil dentaire : si elle continue comme ça elle va devenir carrément jolie.
C’est peut-être le dedans qui commence à se voir de dehors.
1 commentaire:
On se laisse entraîner à découvrir la vie étrange de ce garçon. Une fois de plus, le naturisme accueille la différence...
J'aime bien ces récits positifs avec, en filigrane, une histoire d'amour !
F.
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