En approchant de la Sablière, quand on traversait des collines couvertes de chênes verts on pouvait déjà s'imaginer à quoi ça allait ressembler. Un mercredi, chez Claude, Hélène nous avait montré la vidéo et Léo nous avait donné des détails. On avait vu aussi le plan du mobil home et on avait décidé que Léo dormirait dans le lit pliant de la salle de séjour puisque c'était le seul garçon. Manon et moi, on avait demandé si on pouvait dormir dans le grand lit : comme on était plus petites, on se gênerait moins que les deux mamans et comme ça elles, elles auraient chacune le leur. Elles avaient été d'accord. Nous, on espérait bien pouvoir faire des cabrioles.
Vers cinq heures on est arrivés à l'accueil. Les mamans sont entrées dans le bâtiment pendant que nous les attendions dehors. J'étais un peu surprise de voir tout le monde habillé, mais Léo nous a dit que c'était parce que c'est juste l'entrée et que quand on serait vraiment à l'intérieur, là où on loge, tout le monde serait nu. Les mamans sont remontées dans la voiture et elles nous ont donné des bracelets en plastique vert avec marqué La Sablière en nous expliquant que tout le monde devrait les porter pour que les agents de sécurité puissent voir s'il y avait des gens qui n'avaient pas le droit d'être là. On a roulé quelques centaines de mètres sur une route goudronnée, puis on a pris un chemin de terre où on a croisé deux ou trois personnes nues et là, presque tout de suite, on a trouvé notre mobil home amandier, dans le quartier Pinson. À côté de chaque mobil home il y avait une place pour la voiture, et devant la porte une terrasse avec un parasol, une table et des chaises en plastique. C'était comme des toutes petites villas voisines mais bien séparées dans un bois de chênes verts.
Le temps d'entrer et d'ouvrir toutes les fenêtres pour qu'il fasse moins chaud, nous étions tous les cinq tout nus pour décharger la voiture et ranger les affaires dans les placards.
Hélène nous a dit :
- Bon. Le samedi soir il n'y a pas d'activités et la navette ne fonctionne pas. Le dimanche non plus d'ailleurs. Mais si vous avez envie de vous baigner tout de suite les piscines sont à moins de cinq minutes à pied. Pour la rivière, c'est nettement plus loin et surtout il faut remonter ensuite, mais tout le monde a des jambes ici, non ?
Manon et moi, nous avions vu les photos et Léo les avait commentées. Les piscines, elles avaient l'air d'être belles mais ce n'étaient que des piscines. La rivière, au pied de ses grands rochers où on pouvait grimper pour plonger, c'était plus excitant.
- Moi, il y a deux ans, je n'ai plongé que de trois mètres. J'avais que huit ans et demi, plus haut j'ai grimpé mais j'ai pas osé sauter. Mais Jessica non plus, pourtant il y avait des filles de son âge qui sautaient de six mètres et même une de huit. Cette année j'y vais, c'est sûr. Et vous ?
- Tu nous montreras si tu es capable et après, nous, … on verra, pas vrai Sandy ? a dit Manon.
- Ce qu'il fera, il n'y a pas de raison que vous ne le fassiez pas, a remarqué Claude. Les filles sont aussi courageuses que les garçons, non ?
Elle avait raison. Il n'était pas question que Léo me prenne pour une poule mouillée. J'ai dit :
- C'est vrai ça. Où tu iras, Léo, on ira.
- Donc, c'est la rivière, a conclu Hélène. Hé bien allons-y. De toutes façons, on passe devant les piscines alors si vous changez d'avis … Mais avant de partir, crème solaire pour tout le monde !
- C'est pas la peine, on est déjà bronzés ! a protesté Léo.
- Ce n'est pas suffisant comme protection a confirmé Claude. Nous allons même en emporter pour en remettre au besoin : Hélène et moi nous prenons des sacs. Vous les enfants, sandales, casquettes et serviettes. Les casquettes, vous aurez le droit de les enlever pour vous baigner mais pour la route, c'est mieux.
Et on a commencé à se tartiner. Léo m'a dit :
- Tu veux bien m'en mettre dans le dos ? Après je t'en mets.
Évidemment, je n'ai pas dit non. Manon m'a poussée du coude et en riant elle a dit :
- Et moi alors ?
J'ai vite dit :
- Attends Léo, je m'occupe de Manon et après c'est toi.
Je n'avais pas envie que ce soit lui qui passe la crème à Manon.
Puis on a fermé la maison et on a commencé à descendre. On a croisé quelques petits groupes. Il y avait deux filles qui devaient avoir dans les quinze ans, elles avaient un paréo noué sur les hanches et leurs serviettes autour du cou qui cachaient leur poitrine.
- Pas la peine de venir ici ! a dit Léo.
- Bah, c'est de leur âge, regarde ta sœur, a dit Hélène. Tu ne sais pas comment tu réagiras dans quelques années.
En fait les deux filles on les a revues souvent. À la piscine elles étaient toutes nues comme tout le monde et ça n'avait pas l'air de les gêner du tout, mais dès qu'elles repassaient la grille elles remettaient leurs paréos autour des hanches. Je ne sais pas pourquoi.
Ce premier soir, nous nous sommes arrêtés un moment au petit bout de jardin qui est arrangé sur la gauche pour regarder le paysage : on voyait la rivière verte en bas avec les gens qui se baignaient gros comme des fourmis. Nous sommes passés à côté des piscines sans nous arrêter et nous avons continué à descendre. Léo nous a fait prendre un raccourci dont il se souvenait. Ça ne raccourcissait pas beaucoup mais c'était plus agréable que la route goudronnée. Puis nous sommes passés devant le restaurant et la supérette, nous avons traversé le quartier "Mésange" et nous avons fini par arriver au bord de la Cèze.
Les grands rochers, sur l'autre rive, c'était magnifique. Il n'y avait pas trop de monde. Hélène a dit que c'était parce que c'était samedi : il y avait des gens qui étaient partis et d'autres qui n'étaient pas encore arrivés. Ça nous a permis de trouver un endroit à l'ombre pour étaler nos serviettes et nous sommes tout de suite allés nous rafraîchir dans la rivière. D'ailleurs c'est vrai qu'elle était plutôt fraîche, mais une fois dedans on n'y pensait plus.
Les mamans sont ressorties presque tout de suite. Nous, Manon, Léo et moi, nous avons regardé un moment ceux qui grimpaient sur les rochers pour plonger. C'étaient surtout des enfants à peu près de notre âge ou un peu plus. Il y en avait à plusieurs hauteurs. Certains se bouchaient le nez pour sauter et il y avait des garçons qui se tenaient le zizi. Ça nous a fait rire. Léo a dit :
- Regardez moi !
Il a traversé, grimpé sur un premier rocher pas très haut d'où des petites filles sautaient, puis grimpé encore par un sentier qui passait derrière un gros rocher. Il est ressorti un peu en dessous, sur la falaise d'où la plupart des enfants sautaient, à six mètres à peu près au-dessus de l'eau, et il a sauté à son tour sans hésiter.
J'étais fière de lui. Mais maintenant il allait falloir en faire autant et franchement, je n'en menais pas large. J'ai dit à Manon :
- On y va ?
Elle a répondu :
- Ben … Oui … On peut pas faire autrement !
On a rejoint Léo qui nous attendait dans l'eau au pied du rocher bas. Il était tout excité. Il nous a dit :
- C'est génial ! Quand on arrive en haut, ça fait peur, mais y a qu'à sauter debout sans regarder en bas comme si on était au bord de la piscine et l'impression pendant qu'on tombe !... Vous allez vraiment y aller ? Moi j'y retourne.
Mais là, pour monter sur le premier rocher, on a dû attendre notre tour parce qu'il n'y a pas beaucoup de place. Dans l'eau, une fille blonde et très claire de peau demandait à un garçon brun et mat de peau au contraire, qui était sur le rocher, de lui donner la main pour l'aider à monter. La fille était plutôt grande et très mince, mais ils avaient l'air d'avoir tous les deux à peu près le même âge que nous. Il l'a aidée puis ils ont sauté tous les deux à côté d'un petit garçon qui avait l'air d'être le petit frère de la blonde. Alors Léo est monté et nous a proposé de nous aider, mais on lui a dit qu'on n'en avait pas besoin. En fait, ce n'était pas difficile : la fille ne devait pas en avoir besoin non plus. Un peu plus haut dans le sentier, Manon est passée devant et quand Léo m'a tendu la main pour m'aider, je n'ai pas dit non.
En haut de la falaise, Manon a regardé en bas, puis elle s'est assise sur le bord pour sauter en poussant un cri. Quand elle est remontée à la surface, Léo lui a dit qu'elle avait triché. Puis il m'a reprise par la main et il m'a dit :
- À trois !
Là, si on n'avait pas sauté ensemble on aurait pu se faire mal, alors, pas question d'hésiter. Et à trois on a sauté tous les deux en se donnant la main. C'est vrai que c'était génial. Depuis j'ai un peu pris l'habitude, mais cette première fois en tenant la main de Léo …
En bas Manon nous a dit :
- Vous êtes trop mignons. Allez, on recommence ?
Pendant ce temps la fille blonde et le garçon brun étaient montés jusqu'à la falaise de six mètres. Le garçon a sauté, puis la fille nous a dit :
- Allez y, moi j'attends un peu.
Cette fois c'est à Manon que j'ai donné la main. Puis nous sommes tout de suite remontés tous les trois, derrière le garçon brun. En haut, Léo a dit à la fille :
- Toujours pas décidée ?
C'est comme ça qu'on a commencé à se parler. C'est surtout elle qui avait l'air d'avoir envie de bavarder. Elle nous a dit :
- Nous on est Chtis. Enfin, moi et mon petit frère Chtis à moitié Polaks, moi c'est Anna, et Kévin Chti à moitié Réunionnais, c'est pour ça qu'il est brun comme ça. Ça fait depuis la maternelle qu'on est dans la même classe. Là on va entrer en sixième, on sait pas. On est dans une tente près d'ici, à Mésange. On vient d'arriver. Nous on est déjà venus l'année dernière et c'est mes parents qui ont dit à ceux de Kévin de venir ici.
Alors Kévin a ajouté :
- Mais ils nous rejoignent que la semaine prochaine avec Morgane qu'ils vont prendre en passant. On est nés le même jour elle et moi. Après je repars avec elle chez sa grand-mère à Marseillan. En attendant je suis avec les parents d'Anna. Marseillan, c'est à côté du Cap d'Agde, il y a une plage libre et c'est là que j'ai rencontré Morgane l'année dernière. Vous verrez : la première fois que je l'ai vue j'ai trouvé qu'elle ressemblait à la fée Clochette. Mais c'était à cause de la queue de cheval et de la robe verte. Depuis, j'ai revu le dessin animé, la fée Clochette, elle a un gros derrière. Morgane non. Et en plus elle a changé depuis l'année dernière.
- Et c'est mes parents qui vous avaient dit d'y aller pour voir si ça vous plairait d'être tout nus. Nous on avait essayé l'année d'avant, a coupé Anna.
- Morgane, elle, elle avait déjà l'habitude, a dit Kévin.
- On est là pour deux semaines, a repris Anna. Et vous ?
Alors on s'est présentés aussi, bien sûr. Après on a continué à jouer ensemble. Léo aimait bien creuser des ports dans le sable, au bord de la rivière, et avec le petit Bogdan on s'y est mis à six. Anna était redescendue par le sentier : elle ne s'était pas décidée à sauter.
Les jours suivants, même quand il y a eu plus de monde et d'autres enfants de notre âge, on a beaucoup joué ensemble. C'est vrai qu'il y en avait beaucoup qui ne parlaient pas français.
Vers sept heures les mamans nous ont appelés et nous sommes remontés chez nous. Les mamans ont fait à manger et on a mis la table sur la terrasse. Elles nous ont dit d'aller prendre notre douche aux sanitaires collectifs qui étaient à même pas cent mètres parce que dans le mobil home il y avait bien une douche, mais la salle de bain était toute petite et de toutes façons il aurait fallu attendre son tour. Tandis qu'aux sanitaires on s'est retrouvés une dizaine de tous les âges à prendre la douche ensemble. Il y avait aussi des cabines individuelles mais presque personne n'y allait. Après dîner on a joué au Monopoly sur la table du séjour, parce que dehors il commençait à faire frais et qu'on n'y voyait pas assez clair. Puis les mamans ont décidé qu'il était temps d'aller se coucher. La salle de bain a juste servi pour se brosser les dents.
Léo a dit que ce n'était pas la peine de déplier son lit et qu'il pouvait dormir sur la banquette. À l'intérieur il faisait encore chaud et on pensait que les jolies couettes qu'on avait trouvées en arrivant allaient rester dans les placards. On pensait aussi qu'on allait pouvoir chahuter un peu tous les trois sur notre grand lit avant de dormir, mais en fait Léo est tout de suite retourné sur sa banquette et Manon je ne sais pas mais moi je me suis endormie très vite.
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