Quand je me suis réveillée, très tôt le dimanche matin, Manon était en travers du lit et la couette était étalée sur nous. En fait il faisait froid dans la chambre. J'ai appelé Manon pour lui dire de se coucher normalement. Elle l'a fait mais sans se réveiller vraiment : elle ne s'en est pas souvenue. J'ai arrangé le drap et la couette sur nous et je me suis rendormie.
Quand nous nous sommes tous levés, il faisait encore plutôt froid. Nous avons été obligés de mettre des tee-shirts et par la fenêtre on a vu passer des gens qui allaient vers les sanitaires eux aussi avec des tee-shirts et rien dessous.
Hélène nous a expliqué que quand le froid l'avait réveillée elle s'était levée pour nous couvrir. Elle a dit que Manon était en travers du lit, que nous allions risquer de prendre froid et que peut-être il vaudrait mieux que ce soit nous deux qui couchions chacune dans un petit lit et Claude et elle dans le grand. Et c'est comme ça qu'on a fait ensuite. On regrettait un peu : sur deux lits, même avec seulement trente centimètres entre les deux, on ne pouvait pas chahuter à trois, mais c'est vrai qu'Hélène avait raison et Claude était d'accord, alors …
Après le petit déjeuner, quand il a fait un peu plus chaud, nous sommes allés à la piscine. Des piscines il y en a trois séparées mais qui font comme un escalier sur la pente. Celle du haut n'est pas très grande mais il y a beaucoup de place autour et on a vu après que le bar est en dessous. Là, pour entrer il fallait bien enlever les tee-shirts qu'on avait gardés parce qu'il faisait encore frais. Parce qu'on est obligé de passer sous la douche. Mais le soleil était là et on n'avait plus froid. D'ailleurs après on a vu que beaucoup de gens jouaient à éviter la douche. Elle se déclenche quand on passe mais si on traverse d'un bond on va plus vite que l'eau. On laisse aussi ses sandales dehors avant d'entrer, c'est amusant de les voir toutes là, au pied de la grille.
- Si vous vous baignez tout de suite vous pouvez y aller comme ça, mais il va quand même falloir prendre un moment tout à l'heure pour mettre de la crème, a dit Claude.
Elle et Hélène ont commencé par là. Elles se sont allongées sur des canapés en plastique puis elles se sont aidées à se tartiner pendant que Manon, Léo et moi on plongeait dans la piscine.
En ressortant par l'échelle, j'ai vu passer devant moi une famille qui arrivait et je l'ai remarquée parce qu'il y avait une jeune femme enceinte, avec un ventre tout rond comme s'il y avait eu un gros œuf dedans. Elle avait l'air toute jeune, pas plus de vingt-cinq ans, et l'homme qui l'accompagnait pouvait avoir à peu près l'âge de mon père, trente huit ans. Avec eux il y avait deux filles sans doute un peu plus âgées que nous, surtout une : peut-être douze ans. La plus petite était une brune qui ressemblait beaucoup à la jeune femme, ça se remarquait tout de suite. La plus grande, je n'ai pas pu m'empêcher de la regarder un peu plus parce que je la trouvais vraiment belle. Elle était châtain clair et elle avait l'air un peu moins bronzée mais en même temps sa peau était plus mate. Ça m'a frappée parce qu'elle avait les yeux très clairs avec des cils très longs. En fait elle n'était pas beaucoup plus grande que l'autre mais c'était son corps plus formé qui la faisait paraître plus âgée. Tous les trois entouraient la jeune femme enceinte comme s'ils avaient voulu la protéger. Mais elle, elle avait l'air en pleine forme.
C'était la première fois que je voyais une femme enceinte nue. À la fois ça m'impressionnait et je trouvais ça magnifique. Manon la regardait aussi et je crois qu'elle ressentait la même chose. Alors quand les filles sont venues se baigner on a eu envie de leur parler. J'ai demandé à la fille brune :
- C'est ta sœur qui attend un bébé ?
Elle a ri et elle m'a répondu :
- Tout le monde croit ça ! Non, c'est ma mère ! Elle a pas l'air mais elle a trente ans !
Et l'autre fille a ajouté.
- Et le monsieur, c'est le papa du bébé et c'est aussi le mien.
- Mais pas le mien a complété la brune. Mais le bébé, ce sera notre petit frère à toutes les deux.
- Ou petite sœur a rectifié la blonde. Carine préfère avoir la surprise et moi ça m'est égal parce qu'un petit frère, j'en ai déjà un avec ma mère et mon beau-père.
- Mais pas moi, alors je préfèrerais mais si c'est une fille, on fera avec ! a conclu la brune en éclatant de rire. Moi c'est Chloé et elle Malaurie. Comment vous le trouvez notre numéro à deux ?
Manon a dit :
- Attends, je crois que j'ai compris. La mère de Chloé et le père de Malaurie vont avoir un bébé ensemble.
- Elle est douée cette petite ! a dit Chloé. Non, je me moque pas, sois pas fâchée. Tu t'appelles comment ? Autant qu'on se présente parce qu'on vous a vus passer tout à l'heure : en fait on est voisins à Pinson alors on va forcément se revoir, nous on est là pour deux semaines.
- Moi c'est Manon, Sandy c'est ma meilleure amie, on est là avec ma mère et celle de Léo, pour deux semaines nous aussi. Tu crois qu'on va la déranger ta mère si on va lui dire bonjour ? Nous, nos mères ont pas eu d'enfants après nous, alors … Elle est tellement belle avec son ventre rond !
- Allez-y a permis Chloé. Ça lui fera plaisir ; quand on vous a vus passer tout à l'heure elle a trouvé que vous aviez l'air sympa tous les cinq.
Mais Léo, une femme enceinte, forcément, ça l'intéressait moins que nous. Ou peut-être que ça l'intimidait. Il nous a accompagnées pour dire bonjour mais il est tout de suite retourné à l'eau pendant que Manon et moi on restait un peu avec Carine et Guillaume. On ne savait pas trop quoi dire mais on ne se décidait pas à s'éloigner.
- Ça vous fait rêver, les filles ? a dit Guillaume. Les nôtres aussi. Je connais beaucoup d'hommes qui sont jaloux de ne pas connaître ça. Mais vous avez le temps d'y penser !
- Moi, pour la première, je m'y suis mise un peu trop tôt, a dit Carine. Mais quand je vois ma Chloé, je ne peux pas le regretter ! Ce bébé-là, c'est pour le mois prochain. Il ou elle aura la gentillesse d'attendre après nos vacances ici. Depuis qu'elles en rêvaient, les filles auraient été déçues si on avait dû y renoncer !
- Le bébé aussi on en rêvait, surtout moi ! a dit Chloé. Mais c'est vrai que les vacances ici … C'est la première fois qu'on vient dans un centre naturiste alors … Chez Papy et Mamie c'est bien mais quand même, un centre, on avait envie de connaître.
J'ai dit :
- Moi aussi, c'est la première fois. Et c'est grâce à Manon et Léo. Si on m'avait dit ça l'année dernière …
- Tes parents n'étaient pas naturistes ? a dit Malaurie. Les miens non plus. Il faudra qu'on se raconte ça toutes les deux.
Nous nous sommes raconté nos débuts de naturistes l'après-midi, à la rivière, à un moment où on s'était mis à l'ombre parce que le soleil commençait à nous cuire un peu trop. À la fin de la matinée Claude et Hélène avaient à leur tour fait la connaissance de nos voisins et quand Léo avait parlé de descendre à la rivière, Carine avait dit qu'elle attendrait le lendemain pour pouvoir remonter avec la navette. Du coup pour l'après-midi les quatre parents avaient choisi la piscine et le bar Eden-Roc, tandis que nous, les quatre filles, avions suivi Léo dans les sentiers qui descendaient.
Anna avait refait son numéro de présentation pour nos nouvelles amies et quand elle avait dit que Kévin était à moitié réunionnais, Malaurie avait dit :
- Moi aussi ! Ça c'est drôle ! Moi c'est ma mère et toi ?
- Moi aussi. Et elle te parle créole ?
- Non. Sauf des fois quand elle s'énerve et moi j'y comprends rien. Et aussi, mon petit frère elle l'appelle Ticaf.
- Moi aussi des fois ma mère elle m'appelle comme ça, depuis qu'elle a compris que ça m'énervait qu'elle m'appelle toujours "mon bébé". Ticaf, je sais bien que c'est un peu la même chose mais au moins les copains le savent pas !
Ensuite elles étaient montées avec nous sur les rochers et elles avaient à peine hésité à sauter, tandis qu'Anna ne se décidait toujours pas. On avait joué un bon moment comme ça. Kévin et Malaurie s'encourageaient en criant "Allez la Réunion" et Anna leur jetait des regards noirs.
C'est Malaurie aussi qui a remarqué que chaque fois qu'il sautait Kévin tenait dans sa main une chevalière qu'il portait en pendentif avec une chaîne autour du cou. Elle lui avait dit :
- Si tu as peur de la perdre, tu devrais pas la garder pour te baigner !
Et il avait répondu qu'il ne la quittait jamais parce que ça venait d'un ancêtre de Morgane et que s'il nous racontait ça on le croirait pas.
On avait un peu insisté mais il n'y avait rien eu à faire. Alors on avait continué à s'amuser sans plus y penser. Le soleil était voilé et on ne se méfiait pas, mais quand les nuages avaient disparu on s'était rendu compte qu'on commençait à cuire.
C'est à ce moment qu'on s'est mis à l'ombre et qu'on s'est raconté comment on était devenus naturistes.
- Moi, en fait, je l'ai toujours été depuis ma naissance, a dit Manon.
- Moi aussi , ont dit en chœur Chloé et Léo.
Moi j'ai raconté ce que je viens de vous raconter, à partir du moment où, sous la douche, je m'étais aperçue que Manon n'avait pas de marques de maillot, en résumant, bien sûr.. Et Malaurie a dit :
- C'est drôle, pour Chloé et moi ça a un peu commencé comme ça aussi. Carine et mon père ne se connaissaient pas. Mon père devait m'emmener au ski mais il s'est cassé la jambe et Chloé et Carine m'ont invitée à venir avec elles. Et mes parents ont voulu les connaître avant de me permettre. Il y avait déjà longtemps qu'ils étaient divorcés. C'est comme ça que Carine et mon père se sont rencontrés. Ensuite à l'hôtel, quand Chloé m'a proposé de prendre notre bain ensemble, j'ai dit oui mais j'étais surprise. Puis encore plus quand j'ai vu qu'elle s'amusait dans la chambre sans se presser de se rhabiller. Parce que ma mère m'avait pas habituée comme ça.
- J'avais pas réalisé, a expliqué Chloé. Du moment qu'elle était d'accord pour le bain, pour moi il n'y avait plus de problème. J'ai fait comme d'habitude sans penser que ça pouvait la choquer.
- Me choquer, pas vraiment, a repris Malaurie, ça m'a surprise, ça oui. Mais le lendemain j'ai commencé à faire comme elle, d'abord à l'hôtel, puis quand j'allais dormir chez elle, parce que je me suis tout de suite sentie bien. Puis Papa et Carine ont pris un appartement ensemble et aux vacances de Pâques Chloé et moi on a été chez ses grands parents qui ont une piscine. Et là elle m'a dit qu'on mettait pas de maillot pour se baigner, ni eux non plus, qu'ils étaient tous naturistes. Et Papa était d'accord et moi ça m'a vraiment plu tout de suite.
C'est là que Chloé l'a encore interrompue avec un air malicieux :
- Surtout qu'il y avait Jérémy qui venait se baigner avec nous !
- Oui, bon, Jérémy, c'était comme Léo pour Sandy, a repris Malaurie. C'est ça, non ?
Et là Léo, qui était assis à côté de moi, a passé son bras sur mes épaules et m'a fait un bisou dans les cheveux. Elle a souri et elle a continué.
- Sauf qu'il me faisait pas des câlins comme ça…
- Pas encore … a glissé Chloé;
- … et qu'il n'a pas pu venir avec nous ici malheureusement. Mais le problème c'était avec ma mère et mon beau-père. Surtout Julien, mon beau-père. Le naturisme, il trouvait ça malsain. Mais finalement ils ont accepté de venir une fois chez les grands-parents de Chloé et ça s'est arrangé. Enfin … ils ne sont pas devenus naturistes mais ils ne sont plus contre. Ça, c'était l'année dernière. Depuis, ils se sont bien décoincés. Au début de cet été, quand il a fait très chaud j'ai même réussi à les persuader de laisser Matthieu tout nu dans la maison. Matthieu, c'est mon petit frère. Il commençait juste à marcher.
J'ai demandé :
- Et toi ?
- Moi chez eux je ne reste pas toute nue dans la maison, mais dans la petite piscine hors sol, quand les voisins ne sont pas là, oui. Ils veulent bien. Même quelquefois Maman aussi. En fait il n'y a que Julien qui n'est jamais tout nu. Mais ça ne le gêne plus de me voir.
- Sinon, a repris Chloé, chez nous non plus on ne reste pas tout le temps tout nus. C'est comme chez Manon d'après ce que tu nous a raconté.
- Chez nous aussi, a dit Léo. Et encore moins depuis que ma sœur ne veut plus.
- Chez nous c'est pareil depuis l'été dernier a dit Kévin. À Marseillan on était dans un camping textile mais on allait toujours à la plage libre. En plus, moi j'étais souvent avec Morgane chez sa grand-mère et là on restait tout nus tout le temps. Mes parents aussi quand ils ont été invités. Ça fait que quand on est rentrés, comme on dormait tout nus et qu'il faisait encore chaud, quelquefois en se levant on restait comme ça tant qu'on n'avait pas besoin de sortir. Mais après, quand il a commencé à faire froid on a arrêté. Et de toutes façons, quand on rentre à la maison, on reste habillés. On se déshabille pas exprès pour être tout nus. Et Morgane m'a dit que chez elle c'était pareil. Chez elle, j'y suis jamais allé en vrai parce qu'elle habite en Bourgogne. Et à Noël ses parents l'ont laissée venir chez moi quelques jours, mais forcément il faisait froid.
J'ai bien remarqué qu'il avait dit "en vrai" et ça m'a étonnée mais je n'ai pas eu le temps de lui demander pourquoi, parce qu'Anna a dit tout de suite :
- Nous oui. Depuis qu'on a été à Marseillan, il y a deux ans, on a tellement aimé ça qu'on reste tout nus tant qu'on peut. On s'habille seulement pour sortir ou quand il y a des gens qui viennent à la maison. Sauf s'ils sont naturistes.
- Ben oui, confirme Kévin. Pour nous, ils ne s'habillent pas. Alors quand on va chez eux, si c'est pour rester par exemple plusieurs heures, on fait comme eux. Ils font marcher le chauffage autant qu'il faut. Ça nous dérange pas mais on trouve quand même ça bizarre. Sauf pour jouer avec Anna et Bogdan. Là je trouve plutôt ça sympa, on est à l'aise. Mais si c'est eux qui viennent chez nous à part en été tout le monde reste habillé parce que nous on chauffe pas beaucoup.
- Nous au début on était tout fiers d'oser pas faire comme tout le monde, a repris Anna. Maintenant on est habitués, on pense plus à ça, c'est juste que ça nous plaît. Mais bien sûr on le dit pas aux autres. À l'école, on sait bien qu'ils nous regarderaient comme des Martiens.
- Et du coup si ça se trouve vous avez d'autres copains qui sont naturistes et vous vous en doutez pas, a remarqué Léo. Nous, si on s'était pas rencontrés à la piscine on aurait pu passer l'année ensemble sans le savoir. - C'est quand même bête d'être obligés de se cacher a dit Manon. Regardez ça, tout ce monde tout nu au bord de la rivière, comment on peut penser que c'est pas normal ?
- Mais il y a quand même des garçons qui se mettent pas tout nus a remarqué Léo. Regardez.
Un groupe de garçons d'une quinzaine d'années était monté sur les rochers. Ils étaient tous en bermuda.
- Wouaouh ! a fait Chloé. Ils montent haut et … regarde celui-là ! Il saute pas, il plonge ! Gonflé !
- D'accord, a repris Léo. Mais ils devraient pas être en bermuda. S'ils veulent pas être tout nus ils ont qu'à pas venir ici.
- Tu as raison, a dit Malaurie. Mais je les ai vus arriver tout à l'heure. Ils étaient avec une dame qui a l'air d'être leur grand-mère et deux enfants plus petits. Ils sont là à côté et eux ils sont tout nus, tous les trois. Regarde : les enfants c'est ceux qui jouent avec Bogdan au bord de l'eau. Ils ont sûrement envie d'être ensemble et ce serait dommage que la mamie et les petits puissent pas venir ici à cause des grands.
- Et quand t'auras un gros zizi plein de poils, peut-être que toi non plus tu voudras plus le montrer ! a dit Manon pour le taquiner.
- Mouais ! a fait Léo, à moitié convaincu. Malaurie a peut-être raison, j'avais pas pensé à ça. Mais pour moi, Manon, …
Il a regardé son zizi en riant et il a continué :
- Ça a pas l'air d'être pour tout de suite. Et si tu vois que je deviens bête quand j'aurai leur âge, tu me préviens, hein Sandy !
Il disait ça comme si c'était sûr qu'on serait toujours ensemble. Ça m'a fait chaud dans la poitrine. J'ai posé ma tête sur ses genoux et j'ai dit :
- Promis !
- Ils sont pas mignons ces deux-là ? a dit Chloé.
À la fin de l'après-midi, Anna, Bogdan et Kévin sont restés en bas puisque c'est là qu'ils logeaient, tandis que Malaurie, Chloé, Manon, Léo et moi remontions à Pinson. En remontant, Chloé a dit à Malaurie :
- Tu as vu comme Anna te regardait quand tu étais avec Kévin ?
- Ben quoi ? C'est à cause de la Réunion ! Moi, j'ai Jérémy et Kévin … j'ai l'impression qu'Anna le colle un peu mais que lui il ne pense qu'à Morgane : elle n'est même pas là et il en parle tout le temps.
- Oui mais ce qu'il y a de sûr c'est qu'Anna est jalouse ! D'ailleurs quand on a parlé de Jérémy, ça a eu l'air de la rassurer un peu.
1 commentaire:
Toutes les illustrations sont délicates, simples — le trait de crayon sûr révèle l’essentiel. Une simplicité et une beauté que je mets en rapport avec les valeurs naturistes.
Pour moi, la palme des illustrations revient à cet épisode, avec cette sublime femme enceinte nue…
F.
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