
Pendant ce temps Kévin est arrivé à proximité de l'endroit où ils étaient tout à l'heure, sur la plage. De loin il aperçoit le Comte et la Comtesse. C'est drôle : depuis longtemps, à leur demande, il a appris à les appeler Charles et Geneviève, mais dans sa tête ils sont toujours comme au premier jour "le Comte et la Comtesse". Peu pressé d'aller répondre à leurs inévitables questions, il oblique discrètement vers les dunes, pour y récupérer le couffin. Facilement repérable, avec le paréo bleu et jaune qui en déborde, il est là, par terre, à l'endroit que les enfants ont quitté tout à l'heure et d'où on ne voit rien autour de soi que le sable. Mal à l'aise de s'y retrouver seul, il se hâte de revenir vers la plage quand la voix de Charles l'interpelle.
- Kévin ? D'où viens-tu et où est Morgane ? Tu avais promis que vous ne vous éloigneriez pas de la mer !
- Vous savez que nous vous défendons d'aller dans les dunes, renchérit Geneviève. On peut y faire de mauvaises rencontres. Où est Morgane ?
Pas moyen d'éviter l'explication. Par où commencer ? Les rassurer d'abord.
- Morgane est rentrée à la maison, ne vous inquiétez pas !
-Toute seule ? s'étonne Geneviève. Comment ça ? Et nous aurions dû la croiser en venant … Et comment se fait-il que son paréo soit dans le couffin ?
- Je vais vous expliquer, annonce Kévin, sans trop savoir comment il s'y prendra. En tout cas n'ayez pas peur : il ne nous est rien arrivé. Enfin…rien de mal. ... Je vais tout raconter de puis le début, je crois que ça va être plus facile comme ça.
- Tu sais bien qu'avec ces deux-là il faut s'attendre à tout, dit le Comte à sa femme. Allons, puisque Kévin te dit qu'il ne leur est rien arrivé de mal et que Morgane est à la maison, écoutons-le.
- On était en train de jouer au frisbee, commence Kévin, et il y a un garçon et une fille de notre âge qui nous ont demandé s'ils pouvaient jouer avec nous.
- Jusqu'à présent, rien d'anormal, constate Charles. Après ?
- C'est quand on est allé nager avec eux qu'on a remarqué qu'ils restaient longtemps dans l'eau sans respirer et alors on a demandé comment ils faisaient et ils nous ont dit qu'ils respiraient dans l'eau avec leurs cheveux et …
- Ils se sont moqués de vous ! intervient Charles. Tu sais qu'avec un bon entraînement on peut tenir plusieurs minutes ? En tout cas ça n'explique pas pourquoi et comment Morgane est rentrée sans toi ni…
- Laisse-le expliquer, Charles, coupe Geneviève. Continue Kévin.
- En réalité, reprend Kévin, ils viennent d'une autre planète, et ils sont amphibies comme les grenouilles et leur peau est végétale et …
- Attends, intervient à nouveau le Comte. Et comment ils en viendraient de cette autre planète ?
- Comme nous on est allés dans votre château l'été dernier, répond Kévin.
La référence à cette aventure incroyable et dont pourtant il ont bien dû accepter la réalité dissuade les parents de Morgane de toute nouvelle objection.
- Bon … et alors ? murmure la Comtesse.
- Le reste, ils vous l'expliqueront tout à l'heure, quand vous les verrez, reprend Kévin. Juste, on a voulu essayer si on pouvait se déplacer avec eux dans l'espace mais dans le présent. Alors on est allés dans les dunes tous les quatre pour pas que les gens nous voient disparaître, et Morgane et moi on a pensé très fort à la piscine de chez Mamie Gaby et on s'y est retrouvés tous les quatre, parce qu'on se tenait par la main. Seulement le couffin était resté ici alors je suis revenu le chercher.
- Logique ! reconnaît Charles, résigné. Donc en ce moment Morgane et tes Extra-Terrestres sont chez Mamie Gaby.
- Mon Dieu Bertrand ! s'inquiète sa femme. Tu crois qu'il ne risque rien ?
- Ils sont très sympas, affirme Kévin. Juste des enfants comme nous ! Des jumeaux. Et nés le même jour que nous en plus !
- Oui, dit Geneviève mais des microbes ! Ils ne vont pas nous apporter des microbes de leur planète ?
- Ils ont dit que leurs parents ont fait des analyses et qu'on a les mêmes microbes. Il n'y a sûrement pas de danger, sinon ils seraient pas venus, dit Kévin.
- C'est vrai que le danger serait dans les deux sens, dit Charles. Soyons optimistes, espérons qu'il n'y a effectivement pas de problème de ce côté. Sinon, de toutes façons il est déjà trop tard.
- Rentrons quand même tout de suite, dit Geneviève en ramassant son paréo. Je veux voir Bertrand.
Tous trois repartent en direction de chez Mamie Gaby. En chemin, lambeau par lambeau, Kévin dit aux parents de son amie tout ce qu'il a retenu au sujet de Rou et Lou. Tout, sauf leur invitation à les accompagner chez eux : pour ça, mieux vaut attendre qu'ils aient fait connaissance ! Peu à peu Geneviève paraît se rassurer, tandis que son mari pense aux multiples questions qu'il compte poser aux Extra-Terrestres.
Lorsqu'ils poussent enfin le portail du jardin, le spectacle qu'ils découvrent n'a rien qui puisse surprendre des parents naturistes : sur la terrasse, assise à côté du berceau où dort le bébé, Mamie Gaby vêtue de son habituel poncho rouge et jaune regarde Morgane jouer au ballon avec deux enfants de son âge. Tous trois sont nus. La peau claire sous le bronzage et les cheveux blonds de Morgane contrastent avec la peau très foncée et les longs cheveux noirs des deux autres, qui ressemblent beaucoup à des Indiens du type dravidien. Rien de tout cela ne paraît anormal.
- C'est pourtant vrai qu'ils nous ressemblent, murmure Charles.
Les présentations faites, il renoue avec son idée.
- Kévin m'a déjà expliqué ce qu'il a compris, mais est-ce que je peux vous poser quelques questions ? demande-t-il aux jumeaux.
- Bien sûr, répond Rou. Mais vous savez, nous ne sommes que des enfants : nous ne pourrons peut-être pas répondre à toutes vos questions.
- Voyons, reprend Charles. D'abord d'où venez-vous ?
- Dans notre langue, nous appelons notre planète Pokan et notre soleil Blak. Mais nous ne savons pas quel nom vous leur donnez et nous ne saurions pas vous expliquer où ils sont dans votre ciel, même la nuit, dit Rou.
- Vous avez raison, reconnaît le Comte. Ma question était idiote. D'autant plus que je ne suis pas astronome. Donc je crois qu'en fait la question qui commande toutes les autres est celle-ci : qu'est-ce que c'est que cette grande mutation dont vous avez parlé paraît-il ?
- Tous les enfants de notre planète apprennent cela, dit Lou. Mais nos parents nous ont dit que c'est une explication simplifiée pour que nous puissions comprendre. Il y a très longtemps tous les habitants de notre planète étaient tout à fait semblables à vous. D'ailleurs il en reste qui n'ont pas muté : on les appelle les primitifs. Mais nous avons produit beaucoup trop du gaz que vous appelez CO2 et il paraît que notre vie a failli ne plus être possible. À ce moment des scientifiques ont trouvé le moyen de modifier notre code génétique et les enfants qui sont nés ensuite ont été comme nous. Avec notre peau végétale, nous avons besoin de moins d'oxygène et de plus de CO2. Et comme nous avons compris que, à votre tour, vous produisez trop de CO2 nous avons pensé que notre solution pourrait vous servir.
- Et en plus vos cheveux vous permettent de respirer dans l'eau, intervient Kévin que cette possibilité intéresse décidément beaucoup.
- En somme vous êtes un peu ce que nous appelons des OGM, s'amuse le Comte. Des Organismes Génétiquement Modifiés pour répondre à la modification de votre milieu naturel. Mais si c'est cette mutation qui vous a permis de survivre sur votre planète, comment se fait-il qu'il y reste ce que vous appelez des "primitifs" ? Comment survivent-ils, eux ? Et comment pouvez-vous vivre dans notre atmosphère ?
- Je crois que depuis la grande mutation on produit aussi moins de CO2, répond Rou. Actuellement dans notre atmosphère il y en a plus que dans la vôtre, mais pas beaucoup plus. Les primitifs peuvent la respirer et nos parents disent qu'ici, puisque les plantes vivent sur le sol et les algues dans la mer nous pouvons vivre aussi.
- Sur les primitifs nous ne savons pas beaucoup de choses, dit Lou. Nous avons toujours vécu dans le vaisseau, presque pas sur notre planète. Il faudrait poser ces questions à nos parents, ou à nos grands-parents.
- Mais, reprend Le Comte, si vos parents vous ont envoyés ici pour nous faire connaître votre grande mutation, comment se fait-il que vous n'ayez que ces informations un peu vagues, convenez en, et aucun document pour nos scientifiques ?
- Des documents, ils ne pouvaient pas en emporter, intervient Morgane, puisque le couffin est resté dans les dunes tout à l'heure ! Le voyage, ça marche pour nos corps mais rien d'autre !
- C'est vrai, admet son père. Mais c'est bien dommage que vous ne soyez pas mieux informés : si nous racontons ça à nos scientifiques, ils ne pourront pas en faire grand-chose !
- C'est pour cela qu'il faudrait que Morgane et Kévin viennent avec nous pour rencontrer nos parents dans le vaisseau, et peut-être nos grands-parents sur notre planète. Ils pourraient leur poser les questions auxquelles nous ne savons pas bien répondre.
- C'est donc cela votre mission ! s'exclame Geneviève. Vous devez les ramener avec vous ! Et qui sait ce que vous allez faire d'eux ? Vous croyez que nous allons vous laisser les emmener ? Pourquoi vous ferions-nous confiance ?
- Maman ! dit Morgane. S'ils avaient voulu ils auraient pu déjà nous emmener ! Tout à l'heure, dans les dunes, nous leur avons fait confiance : ils nous ont dit de penser très fort à l'endroit où nous voulions aller et nous sommes arrivés ici. S'ils avaient voulu, pendant que nous nous donnions la main tous les quatre, ils avaient qu'à ne rien nous dire et eux penser très fort à leur vaisseau et en ce moment nous y serions ! Nous avons dit que nous voulions faire un essai et vous demander la permission d'aller chez eux et ils nous ont dit comment faire. Vous voyez bien qu'on peut leur faire confiance !
- À eux, d'accord, admet Geneviève. Mais à leurs parents ? Et s'ils se servaient d'eux pour vous faire venir sans leur dire la vérité ?
- Cela n'est pas possible, parce que …
Rou interrompt brusquement la phrase qu'il avait commencée et regarde sa sœur.
- Je crois qu'il vaut mieux dire la vérité, Rou, dit-elle
Et elle continue pour tous :
- Cela n'est pas possible parce qu'en réalité ils ne nous ont pas envoyés en mission. Peut-être ils savent que nous sommes ici, parce qu'ils observent Morgane et Kévin. Mais nous avions dit que nous allions chez nos grands-parents.
- Charles ! s'inquiète Geneviève. Si leurs parents ne voulaient pas qu'ils viennent c'est peut-être qu'ils ne sont pas vraiment sûrs que ce n'est pas dangereux pour eux. Ils craignent peut-être nos microbes et peut-être qu'en ce moment ces enfants nous contaminent avec les leurs ! Il me semble que pour les astronautes qui sont allés sur la lune il y a eu une quarantaine au retour, non ?
- N'ayez pas peur Madame, dit Rou. Nous n'avons pas dit à nos parents que nous allions sur votre planète aujourd'hui, mais nous sommes certains qu'il n'y a pas de danger parce que nous en avions parlé beaucoup depuis l'année dernière.
- Vous parlez de ça comme si le voyage n'était qu'une formalité, dit Charles. Ce n'est pourtant pas si évident. J'ai beau être obligé de croire que ma fille et son ami ont fait l'année dernière une incursion instantanée dans notre château à l'époque de la Révolution…
- Et tout à l'heure un déplacement instantané avec eux de la plage ici ! l'interrompt Morgane.
- Si tu veux. J'ai beau être obligé de croire à cela, j'ai du mal. Vous avez l'air d'être sincères …même si vous avez menti à vos parents, mais … Kévin nous a dit que ce n'était pas votre premier voyage de cette sorte : j'aimerais bien que vous nous racontiez tout cela. Pour essayer de comprendre un peu mieux.
- Nous pouvons raconter si vous le souhaitez, dit Lou.
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