vendredi 12 décembre 2008

OGMET 5


- Le premier voyage, c'est complètement par hasard, sans avoir fait exprès, commence Rou. C'est il y a deux années, un jour où nous étions un peu tristes. Quelquefois nous sommes un peu tristes de ne pas connaître autre chose que le vaisseau, même si il est assez grand, agréable, et si nous pouvons voir beaucoup d'images enregistrées de notre planète. Notre mère venait de nous raconter l'histoire de ses parents et …


- Nos parents nous racontent souvent des histoires de leur famille : ils pensent que c'est bon pour nous de les connaître et nous, nous aimons beaucoup quand ils racontent, explique Lou.


- Elle venait de nous raconter comment c'était chez eux quand elle était petite. Nous nous tenions par la main, Lou et moi, pour regarder une image d'eux qui avait été enregistrée à cette époque.


- Souvent nous nous tenons par la main quand nous sommes un peu tristes, ou bien vraiment heureux, dit Lou. Je crois qu'on partage mieux cela quand on se tient par la main. Et nous pensions très fort à nos grands-parents en regardant cette image et tout d'un coup nous nous sommes retrouvés en face d'eux. Ils étaient assis dans leur … je ne sais pas comment appeler : c'est comme une petite piscine pas profonde, nous avons cela dans la partie de notre maison où nous vivons habituellement. Et ils ressemblaient exactement à l'image.


- Nous pouvions les voir, dit Rou, les entendre se parler et nous promener dans la maison. Nous avons même vu la chambre de notre mère quand elle était petite. Et nous avons essayé de leur parler aussi mais ils ne nous entendaient pas et quand nous nous sommes approchés d'eux nous nous sommes rendu compte qu'ils ne nous voyaient pas non plus.


- C'est comme nous l'été dernier, dit Morgane. J'ai dit à Kévin : "Tu veux le visiter mon château ?" et comme je l'invitais je l'avais pris par la main. Et je regardais le château de sable que Papa avait fait mais je pensais très fort au vrai et je pensais très fort que si j'avais pu y aller à l'époque où le secret de la malédiction avait été perdu peut-être je pourrais le retrouver.


- Et moi j'y pensais pas, évidemment puisque je savais pas pour la malédiction. Mais c'est vrai que le château j'y pensais quand même parce que celui que ton père avait fait était vraiment comme dans mon rêve. Mais je me rappelle aussi que, de toutes façons, bien sûr quand tu m'as demandé si je voulais le visiter je pensais que c'était pour jouer, mais j'aimais bien comme tu jouais et je voulais bien faire comme tu voulais.


- Et nous, dit Rou, tout à l'heure nous ne connaissions pas votre maison et la piscine mais je pense que ça a marché parce que nous vous donnions la main et nous voulions aller là où vous vouliez.


- Et aussi parce que nous sommes nés le même jour, observe Lou. C'est cela la coïncidence bizarre. Nous sommes nés le même jour et nous avons le même pouvoir d'aller dans le passé si nous y pensons très fort.


- Bon, admettons, dit le Comte mais là nous sommes dans le présent et vous n'êtes pas invisibles.


- Nous devons continuer l'histoire dit Rou. Quand nous avons compris que les parents de notre mère ne pouvaient ni nous voir ni nous entendre nous avons eu envie de retourner chez nous, dans le vaisseau, et cela s'est fait immédiatement.


- Et quand nous avons dit à notre mère ce qui était arrivé, d'abord elle n'a pas voulu nous croire : elle a dit que nous avions toujours été devant elle. Mais quand nous avons décrit sa chambre avec des détails dont elle ne nous avait pas parlé elle a été bien étonnée, dit Lou.


- Et notre père qui était en train de surveiller les appareils a dit qu'il venait de constater une perturbation instantanée de l'espace-temps à partir du vaisseau et alors ils nous ont crus, dit Rou.


- Et le voyage dans le présent, reprend Lou, ça s'est encore passé alors que nous ne nous y attendions pas. Nous avions beaucoup parlé du premier voyage avec nos parents et notre mère nous avait dit que ses parents habitaient toujours la même maison. Rou et moi nous nous tenions encore par la main et nous avons pensé en même temps très fort à sa chambre où nous aurions bien aimé aller jouer, et tout d'un coup nous avons été là.


- Et cette fois nos grands parents nous ont entendus jouer dans la chambre et ils sont venus voir et ils nous ont vus, dit Rou. Ils nous ont reconnus tout de suite parce que nos parents leur avaient envoyé des images de nous.


- Ils ont pensé qu'il fallait prévenir nos parents que nous étions avec eux, dit Lou. Nous, nous pensions que ce n'était pas nécessaire parce que nous allions revenir dans le vaisseau comme l'autre fois. Mais ils ont quand même envoyé un message et quand la réponse est arrivée …


- C'était seulement le lendemain parce que la distance est grande, précise Rou.


- Nos parents disaient qu'ils étaient contents de l'avoir reçu parce que nous avions disparu depuis plusieurs heures et ils étaient inquiets, continue Lou. Ils disaient aussi à nos grands parents que puisque nous étions là ils étaient contents que nous puissions les connaître, et aussi nos autres grands parents et un peu notre planète.


- Alors nous sommes restés cinquante journées et quand nous avons été tristes de ne plus voir nos parents, cette fois nous avons essayé exprès de penser au vaisseau en nous donnant la main et nous avons tout de suite été de retour auprès d'eux après cinquante journées, dit Rou.


- Bien, dit Charles, résigné à tout admettre. Voilà donc comment vous avez découvert vos dons pour voyager et comment vous êtes venus ici. Mais si ce ne sont pas vos parents qui vous y ont envoyés, pourquoi y êtes-vous venus ?


- Comme nous avons dit à Morgane et Kévin, dit Lou, nos parents ont été envoyés en mission dans le vaisseau pour observer votre planète parce que nos scientifiques pensaient qu'elle ressemblait beaucoup à la nôtre. Et ils ont vu que les habitants ressemblaient beaucoup aux primitifs de chez nous alors ils ont observé encore plus. Avec nos appareils nous pouvons vous voir comme si nous étions très près et nous pouvons recevoir les ondes qui portent vos communications et les traduire dans notre langage. Nos parents disent que cela intéresse beaucoup les scientifiques de chez nous qui étudient notre passé ancien.


- Et l'année dernière ils ont observé une perturbation de l'espace-temps qui ressemblait à la nôtre à partir d'un endroit au bord de la mer près d'ici, dit Rou. Et ils ont trouvé que c'était des enfants de notre âge, alors ils ont pensé que ça nous intéresserait de les observer avec eux.


- Les enfants, c'était Morgane et Kévin, dit Lou. Et nous deux, quand nous avons vu que comme nous ils ne portaient pas de vêtement pour jouer dans l'eau, nous avons pensé qu'ils ne seraient pas étonnés en nous voyant alors nous avons tout de suite eu envie de venir jouer avec eux. Nous en avons parlé avec nos parents et ils ont dit qu'ils y réfléchiraient mais que nous devrions d'abord apprendre à parler votre langue.


- Je crois que peut-être ils pensaient que nous ne pourrions pas faire le voyage mais qu' observer les deux enfants et apprendre leur langue serait une bonne occupation, dit Rou. Nous les avons entendus en parler. Ils disaient qu'apparemment il n'y avait aucun danger mais que peut-être ceux qui contrôlaient leur mission ne voudraient pas.


- Puis Morgane et Kévin ne sont plus venus à la plage et ils n'étaient plus ensemble et ils portaient tout le temps des vêtements, mais nos parents ont dit que peut-être ils reviendraient et nous avons continué à apprendre votre langue, dit Lou.


- Nous pouvions continuer à les observer parce que nos parents avaient bien identifié leur signal, dit Rou.


- Et leur signal est beaucoup plus fort quand ils se donnent la main et qu'ils ne portent pas de vêtement, continue Lou. Notre père dit que c'est aussi parce qu'ils sont comme nous un garçon et une fille nés le même jour. C'est pour cela que nous les avons tout de suite retrouvés il y a sept journées quand ils ont de nouveau été ensemble sans vêtement à un autre endroit. Mais ils étaient toujours avec beaucoup d'autres personnes. Et même si ces personnes ne portaient pas non plus de vêtement nous ne pouvions pas apparaître près d'eux tout à coup sans être remarqués.


- C'est pour cette raison que ce matin, quand nous avons vu qu'ils étaient sur la plage avec pas beaucoup de gens et que nous pouvions nous approcher sans être remarqués si nous arrivions dans l'eau pas trop près du bord, nous sommes venus tout de suite sans demander la permission à nos parents, conclut Rou. Ils ne doivent pas être inquiets, même si nous avons dit que nous allions ailleurs : ils savent identifier notre signal et celui de Kévin et Morgane, donc certainement ils savent que nous sommes ici ensemble et en ce moment ils nous observent.


- Et maintenant nous sommes venus chez vous et nous avons visité et mangé et bu comme vous et joué avec Morgane et Kévin, et ce serait à leur tour de venir chez nous.


- Pas si vite ! s'exclame le Comte. À vous écouter je vous trouve terriblement normaux et sympathiques. J'ai l'impression d'entendre raisonner ma fille ! Mais tout de même, l'autoriser à vous accompagner dans votre vaisseau, et peut-être sur votre planète …


- Sans compter que Kévin nous a été confié par ses parents, il ne nous appartient pas de lui donner une telle autorisation ! ajoute la Comtesse.


- Écoutez, plaide Kévin. D'accord ils sont venus sans la permission de leurs parents mais voyez : il ne font de mal à personne et il ne leur arrive rien de mal ! Il n'y a pas de raison que ce ne soit pas pareil si on va chez eux ! On resterait pas longtemps !


- Ça, c'est vite dit ! reprend le Comte. En admettant que personne ne veuille vous en empêcher, qu'est-ce qui prouve que vous pourriez revenir ? Eux, ils avaient déjà fait un aller-retour au présent sur leur planète. Donc ils pensent que ça devrait marcher pour ici. Bon. Mais vous ?


- On est venus ici depuis la plage, dit Morgane.


- Oui, mais avec eux ! objecte Geneviève. Suppose qu'ils puissent vous emmener avec eux dans leur vaisseau mais que vous ne puissiez pas revenir !


- Ils pourront sûrement, affirme Rou.


- Et de toutes façons nous n'aurions qu'à les raccompagner, dit Lou.


- Vous ne trouvez pas que ça vous fait beaucoup de voyages, objecte Mamie Gaby. Ça a l'air d'une sorte de pouvoir magique : vous n'avez pas peur qu'il s'use à la longue ?


- Non, pourquoi ? dit Lou. Nos parents imaginent que cela pourrait ne plus exister quand nous serons … comment dites-vous cela ? … en train de devenir adultes.


- Adolescents ? risque la Comtesse.


- Oui je crois, dit Rou. Ils disent que le signal magnétique des enfants change avec … ils disent les modifications physiologiques, je crois, quand ils deviennent capables de se reproduire. Mais nous n'avons que dix ans et demi : cela n'arrivera pas pour nous avant plusieurs années. Nos parents disent sans doute deux ou trois pour Lou et un peu plus pour moi.


- C'est comme chez nous alors, dit Morgane. Vous deux, vous êtes comme nous deux. Et vos parents, est-ce qu'ils sont aussi comme les grands d'ici ?


- D'après ce que nous avons vu, oui, à peu près, dit Lou. Il y a quelques différences comme entre vous et nous.


- Ah oui, c'est vrai ! se reprend Morgane. Votre peau végétale, vos cheveux qui respirent dans l'eau, j'avais oublié !


- J'ai une idée, dit soudain Kévin qui depuis un moment réfléchissait en silence. On pourrait aller voir mes parents, Morgane et moi. Comme ça on saurait si on est capables de voyager sans Rou et Lou, et on pourrait demander la permission d'aller chez eux.


- Oh oui ! s'enthousiasme Morgane. Ça c'est une bonne idée. Mais tu sais où ils sont en ce moment ?


- C'est samedi, dit Kévin, donc c'est aujourd'hui qu'ils rentrent à la maison. À cette heure-ci ils sont peut-être déjà en route. Mais je crois plutôt qu'ils vont seulement partir cet après-midi pour profiter encore un peu des vacances à la Sablière. De toutes façons il n'y a qu'à leur téléphoner : Papa s'est décidé à avoir un portable.


- Va prendre le mien sur ma table de nuit, propose le Comte, se disant probablement que tant qu'il ne s'agit que de téléphoner il n'y a pas de danger immédiat. Le numéro de ton père y est dans les contacts : tu sais t'en servir ?


- Bien sûr ! répond Kévin en disparaissant dans la maison.


Pendant ce temps le bébé s'est réveillé et, au grand émerveillement de tous les présents, Geneviève s'est mise en devoir de nettoyer son petit derrière avant de lui donner le sein.


- C'est beau ! dit Lou, comme en extase.


C'est bien l'avis de Morgane, et les paroles de Lou lui font tellement plaisir qu'impulsivement elle l'embrasse. C'est sous ses lèvres le contact de sa peau, pas désagréable mais différent de celui d'une peau humaine, qui lui rappelle que Lou n'est pas une petite copine comme les autres.


- Excuse-moi, dit-elle. Nous, on fait ça aux gens qu'on aime : ça te dérange pas ?


- Nous aussi, répond Lou. Je t'aime aussi. Je peux ?


Et Lou rend son baiser à Morgane.


- C'est sur messagerie, dit Kévin en ressortant de la maison.


- C'est peut-être parce que ton père est en train de conduire, dit Morgane.


- Il aurait pas éteint puisque Maman est avec lui répond Kévin. Je crois plutôt qu'ils sont à la piscine, ou à la rivière. J'ai laissé un message pour qu'ils nous rappellent.


- Ce qu'il faudrait, c'est juste savoir s'ils vont repasser à la tente, dit Morgane. Parce que pour aller les voir sans que personne nous voie arriver, à l'intérieur ce serait bien, on n'aurait plus qu'à les attendre !


- Ben oui ! approuve Kévin. Et même, si on y allait maintenant ? On pourrait aller voir s'ils sont à la rivière : si des gens nous voient sortir de la tente, ça va pas les étonner !


- Oui, mais s'il y a déjà quelqu'un d'autre dedans … objecte Morgane.


- Tu as raison. Il vaut mieux attendre qu'ils rappellent, reconnaît Kévin. À quoi on joue en attendant ?


- Au badminton ? Enfin… au volant quoi, propose Morgane. On en a quatre, des raquettes, Mamie ?


- Est-ce que nous pouvons d'abord nous baigner un moment ? demande Rou. Nous avons besoin de mouiller notre peau.


- Comme ça, ça va ?


Kévin s'est emparé du tuyau d'arrosage et en dirige le jet en pluie sur les jumeaux qui s'approchaient de la piscine.


- Ça va ! répond Rou. Et toi ?


En un clin d'œil il a pris le pistolet des mains de Kévin et l'a retourné contre lui. Kévin veut le lui reprendre et, après quelques secondes de lutte, ils se retrouvent complices pour arroser les filles qui rient aux éclats.


- Arrêtez maintenant, dit Mamie Gaby, riant elle aussi, au bout d'un court moment. Vous allez finir par arroser le bébé ! Si c'est de l'eau que vous voulez, allez jouer dans la piscine !


Ils y sont depuis quelques minutes lorsque le téléphone sonne.


- C'est pour toi ! dit Charles en l'apportant à Kévin.


- Merci … Bonjour. Oui, j'avais quelque chose à vous demander. Euh…on a rencontré des nouveaux amis, Morgane et moi. Est-ce que je peux aller chez eux ?... Ben, c'est un peu compliqué à vous expliquer. Vous êtes où ? … Dans la tente ? Vous êtes seuls ?... Bougez pas, on arrive !


Et Kévin, rendant le téléphone à Charles, médusé, prend la main de Morgane en lui disant :


- Dans la tente, d'accord ? On y va ?


Les parents de Kévin n'ont pas eu le temps de s'étonner de l'annonce faite par leur fils que les deux enfants surgissent dans leur dos.


- Ayez pas peur, tout va bien ! dit Kévin.


Le temps de reprendre leurs esprits, les deux adultes, muets encore de saisissement, implorent du regard une explication.


- Vous savez bien ce qu'il nous est arrivé l'année dernière ? dit Kévin. Ben c'est pareil, faut pas vous affoler !


- C'est pareil sauf qu'on est pas invisibles et que le temps passe normalement, c'est tout, confirme Morgane.


- Et on sait ça parce que les copains qu'on a rencontrés c'est pareil sauf qu'eux ils viennent d'une autre planète, ajoute Kévin.


- Enfin d'où ils viennent c'est une soucoupe volante, c'est là qu'ils sont nés, mais la soucoupe, elle vient d'une autre planète, précise Morgane


- Et pour l'instant ils sont chez Mamie Gaby, mais ils nous invitent à venir chez eux, alors on est venus demander la permission, conclut Kévin.


Comme ceux de Morgane, les parents de Kévin ont dû se résigner l'été précédent à admettre qu'à eux deux leurs enfants ont des dons un peu particuliers, mais ils n'étaient pas pour autant préparés à cette nouvelle aventure.


- Mes enfants, dit enfin la maman, ayez un peu pitié de nous s'il vous plaît. Vous voulez bien nous expliquer tout ça calmement, avec des détails, que nous ayons le temps de suivre ?


Et Kévin et Morgane, fréquemment interrompus par les questions des deux adultes, recommencent à deux voix le récit de leur matinée.


- Bon, dit enfin la maman. Nous sommes bien obligés de vous croire. Mais pour ce qui est de vous autoriser à accompagner vos Extra-Terrestres chez eux, vous admettrez que ça demande réflexion.


- Il n'en est pas question ! tranche son mari.


- Claude ! Avoue que tout ça nous dépasse ! Il ne faut pas se braquer tout de suite. Il faut prendre le temps de réfléchir, et d'en parler avec les parents de Morgane. Vous deux, je suppose que vous allez retourner à Marseillan comme vous en êtes venus ?


- Ben oui !


- Bon. Nous, il faut que nous prenions la route : Mons-en-Barœul, ce n'est pas la porte d'à côté … même si c'est beaucoup plus près que votre planète. Dans l'après-midi, quand nous ferons une halte, nous téléphonerons à tes parents, Morgane et nous en parlerons ensemble. Allez, bisous !


Les deux enfants lui sautent au cou et l'embrassent comme du bon pain.


- Doucement ! sourit-elle. Je n'ai pas dit oui !


- Et moi ? grogne le papa. Je sens le pâté ?


Les enfants l'embrassent à son tour de bon cœur, puis ils se reprennent par la main et … disparaissent.

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