dimanche 14 décembre 2008

OGMET 7


- Ah vous voilà ! dit Geneviève. Vous nous avez fait peur ! Non mais vous partez comme ça, bille en tête, sans prendre le temps de réfléchir ! Vos amis sont peut-être amphibies mais pas vous ! Ce n'était pas prudent !


- Écoute Maman ! répond Morgane. On était avec eux, la mer est calme et on sait nager : qu'est-ce qui aurait pu nous arriver ?


Tout en parlant, elle jette à ses amis un regard significatif.


- C'est vrai ! Il n'y avait pas de danger ! confirme Kévin en regardant à son tour les jumeaux.


- Nous avons dû rester un peu de temps pour que nos taches disparaissent, explique Lou.


- Vous voyez, nous n'en avons plus du tout, renchérit Rou.


- Bon, dit Charles. Votre pouvoir de voyager, il va bien falloir qu'on s'y fasse. On ne pourra pas vous interdire de vous en servir. Mais vous ne pouvez pas apparaître et disparaître comme ça, tout nus, n'importe où et n'importe quand. La prochaine fois, nous aimerions bien que vous nous en parliez d'abord !


- Promis mon Papa ! dit Morgane en lui passant les bras autour du coup pour lui faire un gros bisou câlin.


- Alors comme ça, sourit Geneviève, c'est bien sûr que ton père n'a plus rien à dire !


- Sois pas jalouse Maminou, reprend Morgane en lui faisant le même câlin. Tu sais que tu es ma Maman préférée !


Kévin la regarde faire avec un sourire où se mêlent amusement et tendresse.


- Chez nous aussi, les filles font comme ça, lui dit Rou en regardant sa sœur avec le même sourire.


- Mes parents ont toujours pas rappelé ? demande Kévin. Il faudrait qu'ils puissent voir Rou et Lou. Je suis sûr qu'ils seraient d'accord.


- Écoute, dit Charles. Ils doivent être en route en ce moment : tu ne t'imagines pas débarquant tout d'un coup sur la banquette arrière avec tes amis !


- Ce serait marrant ! dit Kévin.


- Mais super dangereux ! répond Morgane. Mets toi à la place de ton père !


- Allez ma puce, dit Geneviève. En attendant, va donc chercher le jeu de petits chevaux. Celui-là au moins ne pose pas de questions compliquées. À moins que vous préfériez aller jouer dans ta chambre ?


- Qu'est-ce que vous préférez ? demande Morgane à ses amis. Dans ma chambre on pourrait se mettre de la musique en même temps. Vous aimez notre musique ?


- Nous en avons entendu beaucoup, dit Lou. Quelquefois nous aimons et quelquefois non.


- Nous avons aussi de la musique, ajoute Rou. Elle ne ressemble pas beaucoup à la vôtre mais aussi quelquefois nous aimons et quelquefois non. Nous pouvons écouter celle que tu aimes.


- Elle joue du piano aussi et vachement bien ! dit Kévin, très fier de son amie. Mais ici il n'y en a pas.


- Kévin exagère : j'étudie depuis quatre ans mais … je travaille pas assez, c'est pas encore … Tiens, puisqu'on parle de ça, je vais vous faire écouter la Sonate au clair de lune de Beethoven. Il a écrit ça il y a à peu près deux cents ans. La musique qu'on fait maintenant, il y en a aussi que j'aime, bien sûr, mais ça, j'adore.


- Moi aussi, dit Kévin. Depuis que j'ai écouté avec Morgane. Avant j'écoutais pas vraiment bien alors j'aimais pas trop.


- Nous écouterons bien, promet Lou.


- Nos appareils pour écouter la musique ne ressemblent pas aux vôtres, remarque Rou, tandis que Morgane introduit le CD dans le lecteur.


Mais comme les premières notes retentissent, tout le monde s'assoit par terre et se tait pour écouter. Kévin a passé son bras autour des épaules de Morgane, qui laisse aller sa tête sur son épaule.


- Ce morceau-là, c'est celui qu'elle m'a joué quand je suis allé chez elle, à Pâques, explique-t-il à voix basse.


- Chut ! fait Morgane, un doigt sur les lèvres.


- Tu sais jouer ça ? s'étonne Rou., quand la musique s'arrête.


- Pas le dernier mouvement … euh la partie forte et rapide qu'on entend en dernier, mais le second, avant les vacances je travaillais dessus et le premier, ça va. Pas aussi bien que le disque, bien sûr, mais ça va à peu près.


- Moi je trouve que c'est aussi bien, proteste Kévin.


- Tu es trop gentil, dit Morgane en lui faisant un petit baiser sur la main.


- Dommage que ton piano soit pas là ! dit Kévin.


- Peut-être qu'on pourrait … risque Lou.


- Oui ! Ça c'est une super idée, s'enthousiasme Kévin. On demande la permission à tes parents cette fois. Là il n'y a vraiment pas de danger : chez toi il n'y a personne en ce moment, il n'y a pas de raison qu'ils disent non !


On ne peut pas dire que les adultes se montrent enthousiastes : manifestement, ils préfèrent avoir les enfants auprès d'eux. Mais, faute d'arguments convaincants à lui opposer, il se laissent finalement convaincre par l'offensive de charme de Morgane.


- Mais arrangez-vous pour arriver dans l'entrée pour déconnecter l'alarme avant d'aller plus loin, recommande Charles ! Tu te souviens du code ?


- Et appelle nous au téléphone pour nous dire si tout va bien, ajoute Geneviève.


- Oui pour le code et oui on appelle. Bisous, répond Morgane en reprenant les mains de Kévin et de Lou. L'entrée, la salle des armures, tu te souviens Kévin ? Allez, on y pense tous les deux ! …



- N'ayez pas peur, elles sont vides ! reprend-elle alors que les jumeaux regardent avec surprise les armures alignées debout contre le mur, particulièrement impressionnantes dans la demi-obscurité d'une salle que n'éclairent que deux étroites meurtrières, de part et d'autre de la porte fermée. C'étaient mes ancêtres qui mettaient ça, pour la guerre, au Moyen-Âge. Ça veut dire il y a entre six ou sept cents ans. Peut-être huit cents celle-là, ajoute-t-elle en s'approchant de celle derrière laquelle se trouve le boîtier de l'alarme. Voilà, on peut passer au salon


- Nous avons vu cela dans des films de votre télévision, dit Rou. Mais nous ne savions pas que c'était aussi ancien.


Kévin sourit en se souvenant de ces vacances de Pâques où, entrant pour la première fois dans le château de son amie, il a eu la surprise de le trouver exactement semblable à ce qu'il avait vu dans son rêve. Il se dirige tout droit vers l'un des lourds rideaux qui masquent les fenêtres du salon tandis que Morgane en ouvre un autre.


- Voilà, dit-elle. Comme ça on y verra assez.


- Tu dois appeler tes parents, dit Lou.


- C'est gentil de me le rappeler, dit Morgane en se dirigeant vers l'appareil à cadran habillé de velours posé sur un guéridon.


- C'est avec cela que tu appelles ? s'étonne Rou tandis qu'elle compose le numéro.


- Ben oui ! Ça, ça date pas du Moyen-Âge : le téléphone, ça existe seulement depuis à peu près cent ans, mais cet appareil-là, c'est vrai qu'il est pas jeune, mais il marche encore. Allo ! … Mamie ? Tout va bien, on vous embrasse ! … Vous voulez visiter ? enchaîne-t-elle pour les jumeaux en raccrochant. Suivez-moi.


Dix minutes plus tard, après une visite que Morgane a commentée comme une professionnelle, les voilà de retour dans le salon. Kévin s'est approché du piano, et en a découvert le clavier.


- Tu joues, Morgane ?


La fillette s'assoit sur le tabouret et ouvre sur le pupitre la partition qui y était restée et que les jumeaux regardent avec curiosité.


- La musique que je dois jouer est écrite là, explique-t-elle. Je ne la sais pas par cœur.


- Chez nous aussi on écrit la musique, dit Lou, mais pas comme cela. Et nous n'avons pas non plus d'instrument qui ressemble à celui-ci.


- Installez-vous comme vous voulez, reprend Morgane. Mais vous savez, je suis pas vraiment bonne et en plus c'est juste un piano droit, ça sonne pas comme un piano de concert ! Toi Kévin tu restes à côté de moi et quand je te dis tu tournes la page.


À nouveau les enfants se laissent envahir par l'atmosphère rêveuse de l'adagio, que Morgane interprète avec une jolie sensibilité. Kévin ne s'abandonne pas tout à fait, concentrant son attention pour obéir avec précision à l'ordre qu'il ne peut anticiper car il ne sait pas lire la musique. Mais dans cette attention, sa fusion avec son amie est telle qu'il lui semble presque participer à son jeu. Le silence qui suit les dernières notes témoigne que tout le monde est sous le charme.


- Je m'arrête là, dit enfin Morgane. Pour le deuxième mouvement je ne joue pas assez bien. Il faudra que je travaille encore.


- Nous avons des appareils dans le vaisseau, avec lesquels nous pouvons aussi faire de la musique, dit Rou. Mais toi, ce que tu sais faire avec tes doigts, c'est …


- C'est tellement beau ! enchaîne Lou. J'ai encore les larmes aux yeux.


Kévin ne dit rien. Une fois de plus il a pris la main de Morgane, il regarde son profil qui se détache à contre-jour sur le rectangle de la fenêtre et c'est une véritable adoration qui se lit dans ce regard. Morgane le sent sur elle avec une telle intensité qu'à son tour elle tourne les yeux vers lui.


- Je t'aime ! glisse-t-elle à son oreille. Puis plus fort : tiens, il pleut dehors. On va faire un tour sous la pluie ?


- On peut ? s'étonne Rou. Il n'y a personne habillé ?


- Il n'y a pas beaucoup de terrain à nous autour du château, explique Morgane. Ma famille a été obligée de vendre presque tout. La route qui arrive devant est publique et une fois par semaine on fait visiter pour payer l'entretien. Mais dans le petit bois derrière il y a encore une partie à nous qu'on a clôturée. Avant on avait laissé ouvert mais les gens qui venaient pique-niquer laissaient des bouteilles et des sacs en plastique, alors on en a eu marre. Bien sûr, la clôture, c'est pas un mur, s'il y avait des gens juste à côté ils pourraient nous voir, mais quand il pleut en général il n'y a personne, alors on peut aller y faire un tour. Dans le bois sous la pluie, avec des vêtements qui collent à la peau j'aime pas mais en été, sans rien, j'adore. On a aussi fait une piscine, mais il y a du chlore dans l'eau, alors …


Par la porte de derrière, les quatre enfants sortent et gagnent le petit bois où Kévin, Lou et Rou ne tardent pas à se convaincre qu'ils ressentent tout à fait le même plaisir que la petite châtelaine.


- C'est comme ça aussi chez vous ? demande Kévin.


- D'après les images que nous avons vues il y a aussi des endroits comme celui-ci, répond Lou. Mais pas avec un château semblable. Et puis vous savez, nous n'avons pas passé longtemps chez nos grands parents et près de chez eux il y a des arbres, mais pas beaucoup ensemble comme ici.


- Courir parmi eux et s'amuser à s'accrocher aux branches avec l'eau qui nous tombe dessus, nous n'avions jamais fait cela, dit Rou. C'est …très agréable.


- Nous, on dit supergénial, précise Kévin en souriant.


- Mais nos parents nous disent qu'on dit ça pour n'importe quoi et que ça veut rien dire ! ajoute Morgane. Maman préfèrerait que nous parlions comme vous !


- Mais au fait, remarque Kévin, si vous êtes nés dans votre vaisseau et que vous ne l'avez presque pas quitté, comment ça se fait que vous nagez aussi bien ?


- Le vaisseau est plutôt grand, explique Lou, et il y a dedans … une sorte de grande piscine parce que nous avons besoin de vivre souvent dans l'eau. Rou et moi, nous y passons une grande partie de notre temps.


- Ça doit être … très agréable, dit Morgane.


- Supergénial ! rectifie Rou en riant. Il faut vraiment que vous veniez voir !


- Oh oui ! Il faut ! insiste Lou. Ne voulez-vous pas venir avec nous maintenant ?


- On n'a pas encore la permission de nos parents ! objecte Kévin.


- Nous n'avions pas non plus la permission des nôtres pour venir chez vous, répond Rou.


- Justement, dit Morgane. Peut-être qu'ils ne seraient pas d'accord pour qu'on vienne dans votre vaisseau !


- Nous pouvons aller leur demander la permission et revenir tout de suite ici avec vous, propose Lou.


- Et si nous ne revenons pas ce sera parce qu'ils nous le défendent, ajoute Rou.


- Peut-être qu'ils seront fâchés parce que vous leur avez menti, dit Kévin. Peut-être qu'on vous reverra plus !


- Je ne crois pas, dit Lou. Nos parents sont très raisonnables. Ils vont certainement nous réprimander, mais ils verront que nous sommes de retour sans accident. Donc ils sauront que nous pouvons revenir vers vous sans danger.


- Je pense que Lou a raison dit Rou. Ce serait bien que nous allions demander la permission. Et je pense aussi que s'ils nous permettent peut-être vos parents vous permettront aussi. Et je pense aussi que nous serions tristes de ne pas vous revoir.


- Et nos parents ne souhaitent pas que nous soyons tristes, dit Lou. Mais peut-être il faudra un peu de temps pour obtenir leur permission.


- On va vous attendre un peu ici, dit Morgane. Enfin … au salon, près du piano : pensez au piano pour revenir. Mais si ça dure un peu trop longtemps, on retournera chez Mamie. Si vous êtes décidés à partir, je voudrais vous faire la bise.


Les quatre enfants s'embrassent de bon cœur. Puis Rou et Lou se prennent par la main, ferment les yeux et disparaissent.


- Tu crois qu'on les reverra ? dit Kévin.


- Moi je crois dit Morgane. J'espère, alors je crois. Même si ça prend du temps, je continuerai à croire. On rentre ?


- On est tout mouillés, observe Kévin. On aurait dû préparer une serviette avant de sortir.


- Attends, il y en a peut-être dans le cagibi, près de la piscine.


- Au fait, la piscine, nous, on peut y aller !


Les deux enfants y jouent un moment, puis trouvent une serviette pour se sécher et retournent près du piano attendre leurs amis. Ils y arrivent juste à temps pour entendre sonner le téléphone. Morgane décroche.


- Oui Maman, tout va bien… On était sortis pour jouer sous la pluie dans le petit bois… Euh … On voudrait rester encore un moment … Lou et Rou ont envie de visiter le château et … c'est bien pour jouer à cache-cache … Faim ? Non. Mamie nous a fait manger tout à l'heure. Ah c'est vrai, Kévin était parti chercher le couffin. Tu as faim toi Kévin ?


- Pas vraiment, répond Kévin, conciliant.


- Il a dit "pas vraiment"… Oui, je sais … De toute façons il y a du pain d'épices dans le placard de la cuisine et je sais qu'il adore ça. … Écoute, quand tu veux vraiment qu'on revienne tu nous rappelles, d'accord ?


Morgane raccroche le combiné et enchaîne :


- Viens, on va chercher le pain d'épices.


- Pourquoi tu as dit que Rou et Lou veulent visiter le château et pourquoi tu as dit "je sais" ? interroge Kévin.


- Pour Rou et Lou … j'ai trouvé que ça aurait été trop compliqué à expliquer et …


- Alors quand c'est difficile à expliquer tu préfères mentir, toi ? Ben dis donc alors, quand est-ce qu'on peut te faire confiance ?


- Quand c'est grave ! répond Morgane. Quand c'est grave je mens pas. Mais toi aussi tu as bien menti tout à l'heure aux jeunes du jetski ! Et après, quand on a raconté aux parents …


- Euh ! Les jeunes, on pouvait pas leur dire la vérité ! proteste Kévin. Et pour tes parents, c'est toi qui as commencé !


- C'était pas la peine de les inquiéter, puisque finalement il nous était rien arrivé, plaide Morgane.


- Admettons ! Mais c'est vrai que ça m'arrive aussi des fois, seulement parce que c'est plus facile. Bon.Et pour "oui, je sais" ? C'est quoi que tu sais ?


Morgane rougit un peu.


- Je sais que tu es un amour et que des fois tu peux même un peu mentir pour me faire plaisir. C'est ça que Maman disait et là je mens pas. Tiens mange ! Je te sers un verre d'eau.


C'est au tour de Kévin de rougir un peu. Mais son émotion se dissipe vite dans le pain d'épices.


- Bon et maintenant qu'est-ce qu'on fait ? dit-il un peu plus tard en s'essuyant la bouche.


- On attend.


- Tu voudrais pas me jouer encore quelque chose que tu aimes, au piano ?


- Tu aimes vraiment quand je joue ?


- Vraiment et … je dis pas ça pour te faire plaisir ! ajoute-t-il en riant.


- Tiens écoute ça !


Morgane à mis en place une autre partition et joue, avec toute sa sensibilité, une partition qui a l'air toute simple. Debout près du piano, Kévin écoute, fasciné.


- Et maintenant écoute quand c'est vraiment bien reprend Morgane en introduisant un CD dans le lecteur. Viens !


Kévin la rejoint dans le grand canapé et, lovés l'un contre l'autre, les deux enfants écoutent Glenn Gould interpréter la variation Goldberg N° 25.


- Elle est pas difficile, dit Morgane en allant arrêter le disque, mais quand même, j'ai beau prendre modèle, lui c'est autre chose !


- C'est vrai : je peux pas dire le contraire. Mais quand même, quand c'est toi, je trouve que c'est drôlement beau.


- Et ça, tu aimes ?


Cette fois, ce sont les impromptus de Schubert que Morgane a glissés dans le lecteur avant de rejoindre Kévin dans le canapé et les enfants écoutent … jusqu'à ce que le téléphone sonne à nouveau.


- Oui Papa, d'accord, on arrive… Oui on range bien tout et on a refermé la porte de derrière. À tout de suite !


- Rou et Lou sont pas revenus : cette fois il va falloir expliquer, dit Kévin.


- Laisse-moi faire. C'est pas la peine de dire qu'ils étaient déjà partis tout à l'heure. Ferme le piano et éteins la chaîne s'il te plaît pendant que je vais étendre la serviette dans la salle de bain.


Un instant plus tard, ils se sont repris par la main.


- Dans le jardin ? propose Morgane.


- On y va ! répond Kévin.


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