mardi 16 décembre 2008

OGMET 9


- Soyez les bienvenus, enfants de la Terre.


Ils sont bien tels qu'on pouvait imaginer les parents de Lou et Rou, jeunes et beaux, et ils sourient aux arrivants en venant vers eux, du fond d'un étrange jardin où toutes sortes de plantes poussent comme dans une serre.


Morgane et Kévin regardent autour d'eux. "Une sorte de grande piscine", avait dit Lou. En fait ils sont arrivés sur une plage de sable, au bord de quelque chose qui ressemblerait plutôt à un petit étang bordé de plantes aquatiques et sous la surface ensoleillée duquel on distingue des algues. Le soleil, il trône parmi les étoiles dans le ciel noir. Un immense dôme transparent semble en effet coiffer l'ensemble du vaisseau, filtrant sans doute sa lumière car elle arrive comme sur la Terre, éclairant sans éblouir, chauffant sans brûler. Quelques arbres aussi y baignent leurs racines, surplombant l'eau de leurs ramures. Au fond du jardin, derrière les deux adultes qui approchent, on aperçoit une zone qui paraît différente.


- Je m'appelle Gali, dit la jeune femme. Puis-je vous embrasser ?


- Je m'appelle Rokou, dit son compagnon. Nous aimons ceux qui aiment nos enfants. Et comme nous vous observons depuis longtemps, nous savons que vos gestes d'affection ressemblent aux nôtres.


Comme leurs enfants, Gali et Rokou s'expriment en français comme des étrangers qui l'ont bien étudié mais n'en ont pas l'habitude. Pendant les échanges de bises, Lou et Rou ont couru dans l'eau et commencé à s'éclabousser en riant.


- Vous venez ? appelle Rou.


Morgane et Kévin interrogent Gali et Rokou du regard.


- Nous pouvons jouer tous ensemble un moment, dit Gali. Nous parlerons des questions sérieuses ensuite.


Une grande récréation à six commence alors. On nage, on plonge, on se poursuit, on s'éclabousse. Lou et Rou s'accrochent aux lianes qui pendent des arbres pour y grimper et sauter dans l'eau depuis leurs branches. Quoique manifestement moins entraînés qu'eux à cet exercice, Morgane et Kévin partagent leur plaisir en les imitant. Les parents participent aux jeux, servant de montures pour des joutes et même de plongeoirs et, d'abord un peu intimidés, les enfants de la Terre sont bientôt aussi à l'aise avec eux que les leurs. Puis on regagne la plage.


- Elle est pas un peu salée, l'eau ? demande Kévin en passant la langue sur ses lèvres.


- Comme la mer sur notre planète, dit Rou. Moins que sur la vôtre mais un peu quand même. C'est ce qui nous convient le mieux.


- J'aurais pas cru que ce soit si grand, dit Morgane. Mais au fait, votre planète, ça fait plus de dix ans que vous n'y êtes pas retournés alors ?


- Presque douze ans, dit Gali. Quand nous sommes partis, la mission était prévue pour durer dix ans, incluant le temps du déplacement. Mais comme pour l'instant nos enfants peuvent y aller quand ils veulent nous avons accepté une prolongation de cinq ans. L'observation de votre planète est très intéressante pour nous.


- Alors vous repartez dans trois ans ? dit Kévin.


- Un peu moins : il y a le temps de déplacement, dit Gali. Nous avons tout de même envie de revoir notre famille. Et nous pensons qu'à ce moment nos enfants ne seront plus capables d'y aller instantanément parce que normalement Lou sera pubère.


- C'est vrai, dit Morgane. Et moi aussi. Ils nous avaient dit ça.


- Bien. Et que voulez-vous savoir maintenant ? demande Rokou.


- Papa a dit : "tout ce que vous pourrez nous dire sur cette fameuse mutation", dit Morgane.


- Bien, dit Rokou. Pendant que nos enfants vont vous montrer ce qu'est notre vie quotidienne à bord de ce vaisseau, nous préparerons pour vous un document qui explique l'histoire de notre population. Il a été fait pour l'enseigner aux enfants de votre âge à peu près, mais les nôtres ne l'ont pas encore vu et nous devons nous préparer à traduire pour vous les commentaires.


- Venez, dit Lou. Nous allons vous montrer.


Suivant Lou et Rou, Morgane et Kévin traversent le jardin et pénètrent dans une zone aménagée à la façon d'une villa dont la partie appartement s'ouvrirait largement sur sa terrasse.


- Il n'y a pas besoin de murs puisque la température est la même dans tout le vaisseau et que personne ne peut venir nous déranger, explique Rou. À part cela, l'aménagement a été fait pour que nous puissions vivre comme si nous étions sur notre planète.


- C'est pour cela aussi que le conseil a choisi un couple qui allait avoir des enfants pour cette mission, commente Lou. Il paraît qu'ils font toujours comme ça quand les missions sont longues, pour que les … vous dites "astronautes" je crois, soient bien dans leur tête.


- Tu dis "un couple qui allait avoir des enfants", observe Morgane. Ils savaient déjà que vous étiez deux ?


- Chez nous les enfants naissent presque toujours par deux, dit Lou. Et en fait notre mère n'était pas encore enceinte quand le vaisseau est parti, mais elle et notre père s'étaient choisis, ils avaient fait les contrôles médicaux et donc ils étaient certains qu'ils pouvaient avoir des enfants ensemble. Et le vaisseau a été prévu pour cela.


- Donc il y a une partie laboratoire où nos parents travaillent, reprend Rou, une partie cuisine où ils préparent les repas en utilisant les produits du jardin, une partie pour être ensemble, une à eux pour être seuls, avec des cloisons autour, et une aussi à nous pour être seuls. Vous dites des chambres, je crois.


- Pas de salle de bains ? s'étonne Kévin.


- Notre peau se lave seulement à l'eau, répond Lou. Et nous sommes souvent dans l'étang. Mais voyez : nous avons quelque chose un peu comme chez vous pour évacuer les déchets de notre corps, avec un petit jet d'eau pour nettoyer l'endroit où ça sort.


Morgane et Kévin échangent un regard. Il dit que le naturel avec lequel Lou parle de ces choses les surprend un peu, mais aussi qu'ils l'approuvent.


- Venez voir notre chambre, continue Lou qui n'a rien remarqué.


Isolée seulement par des sortes de rideaux constitués de plantes grimpantes, elle n'est pas très grande. Une sorte de baignoire large et basse où des algues flottent dans quelques centimètres d'eau en occupe une partie.


- C'est notre lit, dit Rou en en faisant la démonstration.


- On peut essayer ? demande Morgane.


- Bien sûr, dit Lou.


Les deux Terriens s'y roulent ensemble un instant.


- Pas désagréable, conclut Kévin. Avec les algues, finalement c'est encore assez confortable mais quand même, nous on préfère dormir au sec ! Vous dormez ensemble ?


- Oui, dit Rou. Nous avons toujours dormi ensemble.


- Et là, reprend Lou en montrant la paroi verticale rigide qui constitue le fond de la pièce, on peut avoir toute les images qu'on veut.


- Par exemple un film de quand on était chez nos grands parents, dit Rou en s'approchant d'une console.


La paroi semble s'ouvrir sur un salon dont le centre est occupé par un petit bassin au bord duquel un couple d'âge mûr se détend dans des fauteuil revêtus de quelque chose qui ressemble à de la mousse. Puis on voit deux enfants, apparemment Lou et Rou un peu plus jeunes, venir s'installer sur leurs genoux, tandis qu'une musique douce aux timbres étranges baigne la pièce. Un peu plus tard, les images montrent l'extérieur de la maison. C'est un chalet entouré d'un petit jardin donnant sur un canal. Le canal tient lieu de chaussée, et des véhicules, les uns ouverts, les autres fermés, y glissent rapidement et en silence. Entre cette voie d'eau et le jardin, ce qui tient lieu de trottoir est une sorte de piscine peu profonde, où des gens se déplacent soit en marchant soit en nageant.


- C'est comme ça partout sur votre planète ? demande Morgane


- Nous ne sommes pas allés partout, répond Lou. Chez nos autres grands parents cela ressemble, mais il y a aussi des quartiers avec des grosses maisons, comme chez Kévin.


- Mais entre les maisons c'est toujours des canaux, ajoute Rou.


- Je crois qu'il y a aussi des villes comme ça sur la terre, dit Kévin. On a vu des images de Venise et près de chez moi, à Bruges aussi il y a beaucoup de canaux.


- Nous avons vu Venise, dit Rou. Nos parents nous ont montré parce que ça ressemble plus à nos villes. À part les maisons qui ne sont pas du tout pareilles.


- Comment vous faites pour voir sur la terre ? demande Lou. Vous pourriez nous montrer ?


- Il faudra demander à nos parents, dit Lou. Et ils pourront aussi vous faire voir d'autres images de notre planète, mais pas la regarder directement parce qu'elle est trop éloignée. Sur notre planète il n'y a pas de grands continents comme sur la vôtre avec des montagnes très hautes, reprend Lou. Seulement beaucoup d'îles. Les villes sont toutes au bord de la mer.


- Je crois qu'il y a quelques personnes qui habitent dans les parties plus hautes de certaines îles, dit Rou, mais c'est moins facile pour elles à cause de l'eau qu'il n'y a pas partout.


- Je crois qu'il y a aussi des îles plus grandes avec des montagnes qui sont habitées seulement par des primitifs, parce qu'ils ont moins besoin d'eau que nous, dit Lou. Nos parents nous ont montré des images. Tous les jours ils s'occupent de nous pour nous instruire : ils nous montrent des images, ils nous ont aussi appris à lire notre écriture parce qu'ils disent qu'on apprend mieux à penser avec les mots qu'avec les images et que c'est plus facile de penser avec des mots écrits.


- Mais on voit les mots sur la paroi, comme les images, dit Rou. Ils nous font aussi faire des choses avec nos mains pour réfléchir dessus et nous les aidons aussi pour s'occuper du jardin.


- Le reste du temps nous jouons, dit Lou. Nous avons des jeux où il faut réfléchir, ou construire des choses, comme chez Kévin, mais nous jouons surtout dans l'eau, comme tout à l'heure.


- Tu as parlé de primitifs, dit Kévin, et ce matin vous aviez dit qu'ils nous ressemblaient beaucoup. Est-ce que vous vivez ensemble ? Est-ce que vous pouvez avoir des enfants ensemble ?


- Nous ne savons pas bien, avoue Rou. Quand nous avons habité chez nos grands parents nous en avons vu quelques-uns mais pas beaucoup Il faudra demander à nos parents.


Justement Gali vient les chercher.

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