lundi 23 mars 2009

Le prince qui ne savait pas jouer


En commentaire, j'ai expliqué à Didier pourquoi je n'écrivais plus depuis quelque temps. Mais sa demande m'a donné le courage d'écrire, ce matin, ce petit conte. J'espère qu'il vous plaira et que vous m'excuserez de ne l'avoir pas illustré.



Il était une fois un petit prince qui ne savait pas jouer. Ses parents étaient morts tous les deux alors qu’il était tout petit et officiellement c’était lui le roi. C’est pour cela qu’autour de lui il n’y avait que des grandes personnes. Sa grand-mère, qui dirigeait le royaume en attendant qu’il soit grand, veillait à ce qu’on lui apprenne des tas de choses qui lui seraient utiles et à ce qu’on lui fasse faire assez d’exercice physique pour être robuste et en bonne santé, mais aucun adulte ne peut apprendre à s’amuser à un enfant et à huit ans le petit roi ne savait pas.


Un jour, comme un grand médecin passait par là, la reine douairière lui fit demander de l’examiner pour avoir son avis sur sa santé. Et le grand médecin trouva que Sa Majesté était en bonne santé mais semblait triste. Il ajouta qu’il n’était pas vraiment normal à son avis qu’un enfant de l’âge de Sa Majesté ne sache pas s’amuser. La reine douairière lui demanda comment on pourrait lui apprendre et le médecin dit que seuls d’autres enfants de son âge ou à peu près le pourraient. La reine ordonna donc à tous les gens qui vivaient à la cour d’amener leurs enfants de huit à dix ans s’ils en avaient auprès du petit roi.


Il y en avait une douzaine. Pour les conduire auprès du petit roi on leur mit leurs plus beaux vêtements de cérémonie et on leur recommanda de se montrer très respectueux envers Sa Majesté. Les douze enfants firent donc une profonde révérence puis se tinrent bien droits à quelques mètres du petit roi en attendant ses ordres.


- Apprenez moi à m’amuser, ordonna-t-il.


Mais les enfants, qui savaient pourtant s’amuser un peu chez eux, ne savaient pas comment on peut apprendre à le faire à un roi. Ils restèrent donc là, à se regarder sans se décider à faire quelque chose et au bout d’un quart d’heure le petit roi leur dit tristement :


- Je vous remercie. Vous pouvez disposer.


La reine réunit leurs parents et leur dit :


- Vos enfants ne doivent pas savoir assez bien s’amuser pour l’apprendre à Sa Majesté. Est-ce que quelqu’un parmi vous a déjà vu des enfants s’amuser vraiment ? Le médecin dit qu’ils devraient beaucoup bouger et rire.


Et l’un des courtisans répondit :


- Dans le village qui est au bord de la rivière, un jour où je passais seul à cheval, j’ai vu des enfants qui semblaient s’amuser. Les uns étaient dans l’eau et les autres auprès, et ils bougeaient beaucoup et ils riaient.


- Qu’on aille chercher ces enfants et qu’on les amène auprès du roi, dit la reine.


Et les gardes du palais allèrent chercher tous les enfants du village qui s’amusaient au bord de la rivière. Ils dirent à leurs parents que tous ceux qui accepteraient de venir au château auraient des habits neufs. Les parents ordonnèrent alors tous à leurs enfants d’y aller et les gardes les amenèrent, vêtus de neuf, devant le petit roi. Mais les enfants étaient effrayés. Les gardes avaient eu beau leur dire qu’on ne leur ferait aucun mal et que s’ils apprenaient à s’amuser à Sa Majesté ils seraient récompensés, ils étaient mal à l’aise dans ce château où ils n’étaient jamais entrés. Et pas plus que les enfants des courtisans ils ne surent quoi faire. Tout de même, une petite fille de six ans qui avait moins peur que les autres parce qu’elle n’avait pas encore l’âge de raison osa dire :


- Ici on peut pas ! Nous, c’est dans notre village qu’on s’amuse !


On ramena donc les enfants dans leur village et on décida que Sa Majesté irait le visiter.


On dressa un trône sur une estrade au bord de la rivière, à la sortie du village. Leurs Majestés y arrivèrent en carrosse et s’y installèrent, entourées de leurs gardes. Les gens du village avaient été groupés autour, à distance respectueuse. On fit venir les enfants devant le petit roi et sa grand-mère et on leur dit de s’amuser. Mais devant tout ce monde qui les regardait, les enfants n’osaient pas. C’est encore une fois la petite Margot qui avait moins peur que les autres parce qu’elle n’avait pas encore l’âge de raison qui osa dire :


- On peut pas s’amuser quand il y a tous les grands qui nous regardent.


Alors le petit roi, qui n’était pas bête, dit à sa grand-mère qu’il fallait le laisser seul avec les enfants. La reine douairière accepta et, malgré les protestations du capitaine de la garde qui craignait pour la sécurité de Sa Majesté, on fit en sorte que plus un seul adulte ne puisse voir le roi et les enfants.


Et les enfants commencèrent à s’amuser un peu, mais ils n’étaient pas encore vraiment à l’aise. Et la petite Margot dit :


- C’est sûr que ça va pas ! Avec nos habits neufs, on peut pas se rouler par terre, ni se baigner dans la rivière !


Alors elle et ses deux frères se regardèrent pendant trois secondes, puis tous les trois ensemble ils se déshabillèrent et coururent dans l’eau pour s’y rouler. Et les autres enfants les regardèrent, regardèrent le petit roi et, comme Sa Majesté ne disait rien, ils les imitèrent.


Une minute plus tard, les enfants du village s’amusaient dans l’eau et dans l’herbe de la berge, s’éclaboussant et se roulant par terre en jouant à se battre pour rire comme ils en avaient l’habitude. Et le petit roi les regardait en souriant, mais il n’osait pas quitter son trône. Et c’est encore la petite Margot qui, oubliant le protocole, dit à Sa Majesté

- Viens avec nous !


Le petit roi n’hésita pas plus d’une seconde. Il descendit du trône, se déshabilla et courut à la rivière.


Un quart d’heure plus tard, le vent qui avait tourné apporta jusqu’aux oreilles de la reine les cris de joie et les rires des enfants. Alors elle ordonna au capitaine des gardes d’aller voir discrètement ce qu’il se passait. Et le capitaine lui rapporta :


- Madame, je crois que Sa Majesté est en train de s’amuser avec les enfants du village.


- Comment ça vous croyez ? dit la reine. Vous n’en êtes donc pas sûr ?


- C’est, dit le capitaine, qu’elle n’est plus sur le trône et que si elle est au milieu des enfants il est difficile de la distinguer sans s’approcher : ils sont tous tout nus !


- Laissez moi y aller seule, dit la reine.


Quand les premiers enfants la virent, ils cessèrent de jouer, mais elle dit :


- Ne faites pas attention à moi, je voudrais seulement parler à mon petit-fils.


Et le petit roi revint vers sa grand-mère tout essoufflé, rouge et décoiffé. Et elle lui dit :


- Mon petit roi, je vois que vous savez désormais vous amuser.


- Oui, mais ici, avec eux, répondit le petit roi.


- Je crois que j’ai compris dit la reine.


À partir de ce jour il y eut un grand secret entre la cour du roi et le village, car pour la sécurité de Sa Majesté il ne fallait pas qu’on le sache. Chaque fois que le petit roi en avait envie, ses gardes l’accompagnaient jusqu’à l’entrée du village où ils l’attendaient, et ils le laissaient aller tout seul s’amuser avec ses copains.

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