vendredi 19 juin 2009

Un orage d'avril (1)

La petite fille s’appelait Fleur.

Elle habitait dans la montagne avec sa grand-mère qu’elle appelait Mamie et son gros chien qui s’appelait Chien.

Devant leur chalet il y avait une grande prairie et au printemps beaucoup de petites fleurs dans la prairie. Et la petite fille qui s’appelait Fleur aimait beaucoup faire des galipettes dans l’herbe et se rouler dans les fleurs des champs. Chien la regardait faire en remuant la queue. Quelquefois elle roulait au bas d’un talus et elle avait du mal à remonter. Alors Chien passait derrière elle et il la poussait sous les fesses avec sa grosse tête ronde pour l’aider. Et quand elle était arrivée en haut, elle lui faisait une grosse bise sur le museau pour le remercier et Chien lui léchait les mains en remuant la queue.

Au bas de la prairie commençait la forêt. Un torrent la traversait et une route longeait le torrent. Des gens y passaient en voiture pour aller au village d’en haut, où l’on faisait du ski l’hiver et des grandes promenades l’été, mais au mois d’avril il ne passait presque personne.

Au mois d’avril, il y a déjà des fleurs dans les prairies et toute l’après-midi, Fleur s’était roulée dedans, sous la surveillance de Chien. Mais il y a aussi parfois de gros orages avec du vent très froid dans la montagne. C’est pour cela qu’il ne passe presque personne sur la route. Et le soir il y en a eu un vraiment terrible. D’énormes grêlons dégringolaient comme une pluie de cailloux sur le toit du chalet. L’électricité était tombée en panne et dans la cheminée, le feu faisait danser des ombres sur les murs. Mais le tonnerre grondait tout près à chaque instant et en même temps les éclairs faisaient une lumière si forte aux fenêtres qu’on y voyait comme en plein jour.

Fleur était sur les genoux de sa grand-mère et s’accrochait à son cou. Chien, lui, était allé se cacher sous la table.

Et tout d’un coup, à la lumière des éclairs, on a vu des gens qui traversaient la prairie en courant, le dos courbé sous la grêle. Ils sont venus taper à la porte. Chien a aboyé une fois, parce que c’était son travail, puis il s’est tu quand il a vu que Mamie allait ouvrir.

Il y avait un monsieur qui abritait dans ses bras, sous sa veste, un bébé d’environ un an et demi et une dame qui tenait par la main un garçon grand à peu près comme Fleur.

Mamie a dit à Fleur d’aller chercher des bougies. Quand elle les a allumées, tout de suite le chalet est devenu plus rassurant, mais c’est surtout parce que l’orage se calmait.

Le monsieur a expliqué que leur voiture ne pouvait plus ni monter ni descendre parce que des arbres étaient tombés sur la route, et qu’en plus ils avaient eu peur de rester dedans parce qu’il y avait des éboulements et que le torrent grossissait. Et puis, à la lueur des éclairs, ils avaient vu le chalet.

En courbant bien son dos, le papa avait réussi à bien abriter son bébé. C’était une petite fille de dix-neuf mois nommée Léa qui a tout de suite couru voir Chien, sous la table. Mais lui, la maman et le petit garçon étaient trempés jusqu’aux os : ça faisait des flaques à leurs pieds, et ils claquaient des dents.

- Il faut vous déshabiller et faire sécher vos vêtements, a dit Mamie en tendant une corde devant le feu. Voyons, pour vous, Madame, je vais vous prêter ma robe de chambre. Monsieur ... je vais vous chercher une couverture dans l’armoire. Là. Je vous mets ce qu’il faut dans ma chambre avec des serviettes, vous n’aurez qu’à y aller pour vous changer. Fleur, prends celle-ci et conduis donc le garçon dans la tienne, tu lui prêteras ton peignoir : on te l’a pris grand, il devrait lui aller. Prends une bougie, sinon vous n’y verrez rien !

- Tu viens ? a dit Fleur. Comment tu t’appelles ?

- Je m’appelle Quentin et j’ai huit ans, a dit le garçon en la suivant.

- Moi sept et demi, a dit Fleur. Tiens, voilà mon peignoir. Tu crois qu’il va t’aller ?

- Ben … il fait un peu fille ! a dit Quentin en commençant à se déshabiller, mais la taille, ça a l’air.

- Je te mets la serviette sur le lit. Tu veux que je te laisse ?

Quentin, qui grelottait encore, a pris la serviette pour la mettre sur son dos en répondant :

- Moi, ça me dérange pas si tu restes. Surtout si tu veux bien me frictionner le dos !

Et il a fini de se déshabiller. Fleur était un peu étonnée mais c’est vrai qu’avec la grande serviette, c’était comme quand on se change à la plage.

Alors Fleur l’a frictionné, comme sa grand-mère lui faisait quand elle sortait de la douche. Il a dit :

- Merci ! T’es super ! Ça va drôlement mieux.

Et il a enfilé le peignoir. Puis il a ramassé ses vêtements et les deux enfants ont rejoint les autres dans la grande salle où les parents étaient déjà en train d’étendre les leurs devant la cheminée.

Mamie disait que la route n’allait pas être dégagée avant le lendemain midi et qu’il allait donc bien falloir qu’ils restent pour la nuit. Elle organisait les choses :

- Vous allez dormir dans ma chambre avec votre petite fille et moi je prendrai le divan qui est ici. Non, ce n’est pas la peine de discuter, c’est ça le plus pratique, alors c’est moi qui décide. Votre fils pourra dormir avec Fleur. Il n’y a qu’un lit, mais il est assez grand pour deux enfants de leur âge. Par contre on ne pourra pas faire de douche : sans électricité le chauffe-eau ne marche pas. Les convecteurs non plus dans les chambres, mais elles ne vont pas se refroidir tout de suite et sous les couettes ça ira. En attendant, je vais faire un gros plat de pâtes : tout le monde aime les pâtes je pense !

- Oui ! ont crié en chœur les deux enfants.

Les parents, eux n’en finissaient pas de remercier Mamie.

Puis on s’est mis à table. Fleur regardait Quentin, qui était en face d’elle. Il avait l’air gentil, solide, pas compliqué, il lui plaisait bien.

Après le repas, comme les grands continuaient à bavarder, Fleur a emmené Quentin jouer dans sa chambre. Elle lui a montré ses albums et ses poupées, et il n’a pas eu l’air de trouver ça nul. Puis est venue l’heure de se coucher. Pendant qu’il était aux toilettes elle a mis son grand tee-shirt de nuit qui lui descendait jusqu’aux genoux et, faute de pyjama à sa taille, elle lui en a prêté un autre, qu’il a enfilé à son tour pendant qu’elle se brossait les dents. Quand elle est revenue il a dit en riant :

- Ça me fait drôle ! J’ai jamais dormi avec un truc comme ça ! Je dois avoir l’air d’être ta sœur !

La bougie éteinte, ils ont bavardé longtemps avant de dormir. Fleur a expliqué qu’elle habitait avec sa grand-mère tout le temps, pas seulement pour les vacances de printemps comme Quentin l’avait cru, parce que ses parents et son grand père avaient été emportés par le torrent où ils faisaient du canyoning à cause d’un orage imprévu, trois ans plus tôt. Pour l’école, le car la prenait au bord de la route, juste en face, et l’emmenait au village d’en haut, où il n’y avait que deux classes : une pour les maternelles et les CP et une pour les autres. Avec elle, en CE1, il n’y avait que trois filles et deux garçons. Mais ils habitaient tous assez loin et elle ne les voyait qu’à l’école. Sauf une fois où elle avait dormi chez une copine qui l’avait invitée pour son anniversaire. Quentin, lui, habitait un appartement en ville avec ses parents et sa petite sœur et dans l’école où il allait il y avait quinze classes, du CP au CM2. Il avait quelques copains avec qui il jouait au foot le mercredi. Quand il était plus petit, il allait souvent chez sa cousine, qui avait l’âge de Fleur, et elle chez lui. Mais depuis bientôt deux ans ses parents avaient déménagé en Australie et ils ne s’étaient pas revus.

- Elle a dû te manquer… a commencé Fleur.

Elle voulait lui dire qu’elle aussi avait habité en ville quand elle était petite et qu’elle aussi avait des cousins, et même un qui avait à peu près son âge mais qu’ils habitaient une autre région et qu’elle ne les voyait presque jamais. Mais elle s’est endormie au milieu d’une phrase et Quentin n’a pas tardé à en faire autant.

C’est elle qui s’est réveillée la première. Il y avait quelqu’un d’autre dans son lit. Il lui a fallu quelques secondes pour se rappeler pourquoi. À la couleur de la mince raie de lumière que les volets fermés laissaient passer, on voyait bien que le soleil était en train de se lever juste en face de la fenêtre et qu’il faisait beau. Elle a essayé de sortir du lit tout doucement, mais Quentin s’est réveillé quand même. Lui aussi il lui a fallu quelques secondes pour se rappeler où il était, et qui était cette petite fille qui avait dormi avec lui, et pourquoi il portait un grand tee-shirt pareil au sien qui lui remontait sous les fesses.

Il ne faisait pas chaud dans la chambre. Fleur a dit :

- Attends : on n’a qu’un seul peignoir alors je vais le mettre pour aller te chercher tes habits qui doivent être secs. Reste sous la couette en attendant.

Mamie avait déjà rallumé le feu et elle était en train de déjeuner avec la maman de Quentin pendant que son papa était sorti pour aller voir dans quel état était leur voiture. Fleur a fait une bise, et elle a rapporté ses affaires à Quentin. Il s’est habillé sous la couette, puis tous les deux sont allés déjeuner en se tenant par la main.

- Regardez comme ils sont mignons, a dit la maman. On dirait deux amoureux !

Fleur a un peu rougi. Et pour qu’on arrête de la regarder elle a dit :

- Il n’y a que moi qui suis en peignoir ? Attendez : je vais m’habiller.

Un moment plus tard, le papa est revenu. La voiture avait juste été un peu cabossée par la chute d’une pierre et il y avait déjà des ouvriers au travail. Le courant allait bientôt être rétabli et la route serait dégagée dans la matinée.

- On peut aller jouer dehors ? a demandé Fleur, le petit déjeuner terminé.

- Bien sûr, a dit Mamie. Mets ta doudoune, il fait encore frais, et ne te roule pas dans l’herbe, elle est trop mouillée !

- Je vais montrer le lac à Quentin, a dit Fleur. Tu viens avec nous, Chien ?

Chien était toujours prêt à aller se promener avec Fleur.

Derrière le chalet, la prairie montait encore un peu, puis elle redescendait vers une sorte de cuvette naturelle, au milieu de laquelle il y avait un lac. C’était un petit lac, pas beaucoup plus grand qu’un terrain de football, qui brillait au soleil du matin.

- C’est géant ! a dit Quentin. Il est à toi ? Et on peut se baigner dedans ?

- Pas maintenant, a dit Fleur, il fait trop froid !

- Bien sûr ! a dit Quentin.

- Mais l’été oui, avec Mamie on se baigne. Il est pas vraiment à nous : seulement ce bout de plage. Mais il ne vient presque jamais personne, parce qu’il y en a un plus grand près du village, alors on est bien tranquilles, Mamie et moi avec Chien.

- Qu’est-ce que j’aimerais habiter ici ! Tu sais nager ?

- Oui, Mamie m’a appris, et toi ? Vous avez qu’à revenir nous voir quand il fera chaud !

- Moi j’adore nager. J’ai appris à la piscine avec l’école. Et puis l’été dernier on a été en camping au bord de la mer. Mais ce serait cool de revenir te voir et qu’on puisse se baigner ensemble !

Ils ont fait le tour du lac en bavardant et en jouant avec Chien. Il adorait courir après les bouts de bois que les enfants lui lançaient pour les leur rapporter. Et s’ils couraient avec le bout de bois à la main sans le lancer, Chien les poursuivait en aboyant joyeusement, les dépassait puis s’arrêtait et attendait en remuant la queue.

Vers la fin de la matinée, les parents de Quentin l’ont appelé. La route était dégagée et ils allaient pouvoir rentrer chez eux, après avoir remercié encore Mamie.

- Déjà ! s’est exclamé Quentin.

- Il faudra revenir nous voir, a dit Mamie. Regardez comme ces enfants ont l’air heureux d’être ensemble !

- C’est promis ! a dit le papa. Si ça ne doit pas vous déranger !

- Pas du tout ! Ça nous fera vraiment plaisir ! a dit Mamie.

Et tout d’un coup, Quentin a eu une idée. Ça valait le coup d’essayer.

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