Un orage d'avril (3)

- Tu vois Maman, on s’est bien amusés sous la douche avec Fleur, j’ai bien fait de lui proposer, a dit Quentin pendant le dîner.

- C’est tant mieux, a dit Bruno. Mais tu as eu de la chance, ça aurait pu la choquer ! Elle aurait pu penser que tu avais des drôles de manières, et sa Mamie aurait pu regretter de nous l’avoir confiée.

- De toutes façons, si j’avais pas voulu on lui aurait pas téléphoné et elle aurait rien su, a dit Fleur. Moi, j’étais pas sûre qu’elle dirait oui parce que Quentin, c’est quand même un garçon, mais j’étais sûre qu’elle serait pas fâchée parce que … bien sûr elle m’a appris à pas me mettre toute nue devant n’importe qui, mais… À l’école, l’année dernière il y a des parents qui ont demandé qu’on mette des séparations entre les cabinets des petits qui sont dans la même pièce et elle, elle disait que ce serait de l’argent gaspillé parce que pour des petits enfants il y a quand même pas de quoi en faire toute une histoire.

- Tu vois papa ! a dit Quentin. On pourrait lui dire !

- Me dire quoi ? a demandé Fleur.

- C’est malin, ça, Quentin ! a dit Bruno.

- Écoute, a dit Jenifer. Quentin a envie qu’on te dise quelque chose, mais je ne crois pas que ce soit raisonnable sans en avoir parlé d’abord avec ta grand-mère. Je te promets qu’on verra ça en te ramenant.

Fleur n’a donc pas insisté mais quand elle a de nouveau été seule dans la chambre avec Quentin la curiosité a été la plus forte.

- C’était quoi, que tu voulais me dire ?

Comme Quentin en avait autant envie qu’elle, il n’a pas résisté. Il a quand même pris ses précautions :

- Tu me jures que tu feras pas semblant que je te l’ai dit ? Avec personne ? Sinon moi je vais drôlement me faire engueuler !

- Je te le jure sur la tête de Chien !

Quentin aurait mieux aimé sur la tête de Mamie. Mais au fond, si Fleur avait préféré dire Chien, c’est qu’elle ne jurait pas n’importe comment, donc, c’était plutôt mieux.

- Ben … Nous on est naturistes.

- C’est quoi naturistes ?

- Ça veut dire que nous on trouve que c’est normal d’être tout nus quand on en a envie. On le dit à personne, parce qu’il y a plein de gens qui trouvent pas ça normal et qui nous feraient des histoires, mais où on va en vacances tout le monde est tout nu.

- Tout le temps ?

- Ben oui, à part quand il fait froid bien sûr.

Fleur essaye de s’imaginer. Ça doit être bizarre. Mais Quentin et ses parents n’ont pas l’air de gens bizarres et en plus si Quentin n’avait pas parlé de prendre la douche ensemble, elle n’aurait rien su. Et la douche avec Quentin, elle a bien aimé. Au bout de même pas une minute elle ne pensait même plus que ce n’était pas une fille.

- Maintenant je comprends pourquoi tu es pas gêné d’être tout nu ! C’est pas seulement avec Flora ! Et elle ? Ses parents aussi ils sont … Comment tu dis ? Naturalistes ?

- Naturistes. Non, eux non. Mais ils savent pour nous et ça les embêtait pas pour Flora. Bon. Maintenant mes parents vont expliquer ça à ta Mamie et lui demander si ça l’embête pas. Ça devrait pas, puisqu’elle t’a permis pour la douche. Mais surtout, quand elle t’en parlera, oublie pas de faire semblant d’être étonnée !

- J’oublierai pas. Tu sais, je suis pas menteuse mais quand il faut je sais ! J’aurai l’air d’être étonnée, et puis je dirai que moi, prendre la douche avec toi je trouve ça amusant mais que c’est pas tes parents, qui voulaient et que de toutes façons eux, je les ai pas vus tout nus. Mais je crois pas que Mamie va être fâchée parce que je me rappelle maintenant, une fois, l’été dernier, on était allées se baigner dans le lac et en face, il y avait une famille qui jouait au ballon et qui se baignait. Et au début j’avais pas remarqué parce qu’ils étaient quand même assez loin, mais à un moment je me suis aperçue qu’ils étaient tout nus. Et quand je l’ai dit à Mamie elle a répondu : « Ah bon ? » Tu sais de loin elle voit pas très bien. Puis elle a dit :

- Ma foi, si ça leur plaît, ça fait de mal à personne. Ils font comme ils veulent et nous on fait comme on veut. Ça te gêne toi ?

J’ai dit non et on n’a plus fait attention à eux.

- Et ils sont plus revenus ?

- Si, deux ou trois fois, mais on n’a plus fait attention. C’est vrai qu’ils étaient quand même loin. On peut rejouer à Eye-Toy ?

Fleur se rappelle d’autres choses, mais elle n’a pas envie d’en parler. Pas maintenant en tout cas. En fait, après avoir dit que non, ça ne la gênait pas ces gens tout nus à cent ou deux cents mètres, elle a continué :

- Il me semble que quand j’étais petite moi aussi je me baignais toute nue.

Et Mamie a répondu :

- C’est vrai. Mais la dernière année, avant leur accident, tes parents t’avaient mis un maillot, alors j’ai continué. J’ai pensé que c’était pour t’habituer, pour quand vous iriez ailleurs, d’autant plus qu’au début tu voulais tout le temps l’enlever ! Sinon, quand nous étions entre nous ça aurait pu attendre.

Fleur ne se souvenait pas de ça et ça l’a amusée. Elle s’est demandée ce que ça lui ferait maintenant d’être toute nue dehors. Alors elle a quand même attendu que les nudistes soient partis et elle a dit, en prenant une petite voix :

- Dis, Mamie, ze peux l’enlever le maillot ?

- Si ça t’amuse mon bébé ! a répondu Mamie en riant.

Fleur l’a enlevé. Et, toute surprise de se retrouver toute nue dehors, elle est allée se cacher dans l’eau. Puis elle est ressortie et s’est enveloppée dans sa serviette pour s’asseoir sur la berge, à côté de Mamie et même sous la serviette, ça lui faisait drôle de se sentir toute nue dehors. Elle a remis son maillot.

- Alors ? Tu n’aimes pas ? a demandé Mamie.

- C’est pas ça, a dit Fleur. Mais j’ai plus l’habitude !

- Tu vois, a dit Mamie, c’est comme ça : quand tu avais l’habitude de te baigner toute nue tu n’aimais pas avoir un maillot et maintenant c’est le contraire.

Et Fleur s’était promis d’essayer une autre fois, pour voir si c’était juste une question d’habitude, mais là-dessus il y avait eu plusieurs jours de pluie et elle n’y avait plus pensé.

Et maintenant elle se disait qu’il faudrait qu’elle essaye à nouveau, seule avec Mamie, mais tout ça était trop compliqué à expliquer à Quentin.

Ils ont donc rejoué à Play Toy et au bout d’un moment ils avaient très chaud. Tout naturellement, Quentin a ôté son haut de pyjama. Fleur en aurait bien fait autant mais elle, c’était une chemise de nuit qu’elle portait, et rien dessous car Mamie lui avait toujours dit que c’était plus sain de laisser un peu la peau respirer pour la nuit. Alors elle n’a pas osé.

Elle a bien pensé que si elle mettait une culotte elle pourrait, mais d’habitude on ne se met pas non plus en culotte devant un garçon. Même un garçon avec qui on vient de prendre sa douche et qui passe ses vacances avec des gens tout nus ? Après tout …

Elle a fait comme ça. Quentin était occupé à regarder l’écran et quand il s’est retourné il n’a rien dit du tout.

Quand Jenifer est venue avec Léa, qui voulait leur faire la bise avant de dormir, elle a dit en souriant :

- Eh bien ! Vous aviez chaud on dirait !

Comme Fleur était déjà aussi rouge qu’essoufflée, personne n’a pu la voir rougir.

- Nous aussi on va bientôt se coucher, a dit Quentin.

- Alors je vous fais la bise tout de suite, a dit Jenifer. Vous allez dire bonsoir à Papa, qui regarde la télé ? Et puis n’oubliez pas de vous laver les dents !

Quentin y est allé comme il était, mais Fleur a préféré remettre sa chemise de nuit. Elle a demandé à Quentin :

- Ça fait rien que j’étais en culotte quand ta maman est venue ?

- Ben non ! Tu as bien vu ! Si on avait été tout nus elle aurait compris que je t’avais parlé à propos du naturisme. Mais là, non ! Ça lui a juste fait plaisir que tu sois à l’aise !

- Ben ! On allait pas jouer à Eye Toy tout nus, quand même !

- Pourquoi pas ? Moi, quand je suis tout seul je joue souvent tout nu si j’ai chaud.

Fleur n’en revient pas. Et pourtant, c’est vrai qu’elle ne sait pas quoi répondre à son « pourquoi pas ? »

- J’ai dit qu’on va dormir mais si tu n’as pas envie tout de suite on peut jouer encore un peu ! a dit Quentin quand ils ont regagné la chambre.

- C’est comme tu veux.

- Ou alors regarder une cassette depuis nos lits ?

- Pas trop longtemps alors, dit Fleur. J’ai quand même un peu sommeil.

- Alors on dort, a décidé Quentin en se mettant au lit.

- Tu remets pas ton pyjama ? s’est étonnée Fleur.

- Quand j’ai chaud je le mets pas. Le bas non plus d’ailleurs. Moi j’aime bien dormir tout nu. Pas toi ?

- J’ai jamais essayé. Tu sais, dans ma chambre il fait pas aussi chaud qu’ici !

- Même en été ?

- Oui. Mamie dit que c’est parce qu’on est à la montagne.

Il y a un moment de silence où on regarde le plafond. Puis Quentin se retourne vers son amie.

- Tu es bien ?

- Oh oui ! Et toi tu étais bien hier soir ?

- Oui, mais c’était pas pareil quand même, on se connaissait pas encore ! Je … Je te trouve géniale comme fille.

- Autant que ta cousine ?

- Elle c’est pas pareil, c’est ma cousine. Mais toi, tu es vraiment super cool. Allez, j’éteins la lumière, bonne nuit Fleur !

- Bonne nuit Quentin … Moi aussi je suis bien avec toi.

Les yeux au plafond, dans l’obscurité, Fleur se remémore tout ce qui lui est arrivé depuis l’orage de la veille. Quelle aventure ! Comme ils sont gentils et sympathiques, ces gens qu’elle ne connaissait pas ! C’est drôle qu’ils soient … comment déjà ? Ah oui ! Naturistes. Pourvu que Mamie ne soit pas fâchée ! Ce serait bien que Quentin revienne dormir au chalet ! Au bruit de sa respiration, il doit déjà dormir, tout nu sous sa couette. Et si elle essayait ? Comme tout à l’heure en traversant le couloir, après la douche, elle a cette curieuse impression de faire quelque chose d’un peu fou et que, pourtant, il n’y a rien de mal. Est-ce Quentin qui a des idées bizarres, ou bien les autres ? Ça fait drôle de sentir les draps directement partout sur la peau. D’habitude, on ne le sent pas qu’on a une peau, tandis que là …

Quand elle ouvre les yeux un peu de lumière filtre à travers les stores. Son premier étonnement est de se retrouver toute nue dans le lit. Puis elle se souvient. Elle s’est donc endormie tout de suite ? En tout cas elle a vraiment bien dormi. Et Quentin ? Il dort encore, à moitié découvert. Tout de même, à l’idée que ça aurait pu être lui qui la voie comme ça, elle est un peu gênée. Instinctivement, elle remet sa chemise de nuit, tout en se disant qu’elle est un peu bête.

Lorsque Quentin se réveille, il ne cherche même pas à se recouvrir. Les deux enfants bavardent un moment, puis ils décident d’aller déjeuner. Alors seulement Quentin remet son pyjama.

Toute la journée, ils ont trouvé merveilleux d’être ensemble à jouer dans la chambre de Quentin ou dans le jardin public voisin où, avec les parents, ils sont allés promener Léa. Le soir, pour la douche ils ont fait comme la veille et Fleur n’a eu aucune hésitation à se déshabiller. Et si elle a dormi avec sa chemise de nuit, c’est seulement parce qu’elle avait envie de faire comme d’habitude. Comme Quentin, qui faisait selon la sienne. Et le dimanche après-midi, la famille de Quentin l’a ramenée chez Mamie.

C’est dommage de se quitter, mais on s’est bien promis de se revoir bientôt, si Mamie veut bien. Laissant les parents bavarder, Fleur et Quentin accompagnés de Chien sont retournés voir le lac. Le soleil d’avril est encore haut dans le ciel, on a l’impression qu’il chauffe bien et ses reflets sur l’eau donnent envie. Mais il ne fait quand même pas si chaud. Après quelques minutes de jeu déchaîné avec Chien, Quentin veut se mettre torse nu, mais Fleur le gronde :

- T’es pas fou ? Tu vas attraper mal ! Allez, remets ton pull.

Quentin obéit : il sait bien qu’elle a raison. Il regarde l’eau :

- Tu crois qu’elle est froide ? dit-il en se déchaussant.

- Tu veux quand même pas te baigner !

- Juste les pieds ! assure-t-il en ôtant tout de même son jean pour ne pas risquer de le mouiller.

- Ouh ! Elle est glacée !

Le voilà prestement rhabillé et rechaussé et ses efforts pour faire comme si on était déjà en été s’arrêtent là.