Nouvel imprévu. Demain matin Marc devra s’absenter : le maire du chef-lieu de sa circonscription vient d’avoir la mauvaise idée de mourir et le député ne peut se dispenser d’assister aux obsèques. Après le petit-déjeuner que nous avons pris ensemble tous les trois, Loreleï s’attarde auprès de moi. Elle me parle de ses projets.
- Tu me permettras de venir te voir chez toi de temps en temps puisque je serai à Paris ?
- Bien sûr, avec plaisir ! Je t’aime beaucoup et je suis sûre que mon fils va t’adorer.
- C’est vrai ?
- Comment ne pas t’aimer ? Tu es belle, intelligente, gentille et bien élevée, jusqu’à présent je ne te vois aucun défaut.
- Hou là ! J’en ai des tas … Mais ne compte pas sur moi pour te dire lesquels, tu les découvriras bien assez tôt. J’en ai un en particulier : j’abuse sans scrupule de la gentillesse des gens. Ainsi avec toi … j’hésite encore un peu… quoique… je t’ai déjà fait faire une photo dont tu n’avais peut-être pas envie mais …
Je sais déjà que je ne refuserai pas.
- Dis toujours !
- La semaine prochaine, quand tu rentreras à Paris, je devrais y aller pour me trouver une chambre. Mon père tient à ce que je la choisisse moi-même après l’avoir visitée. Bien sûr ce qui est prévu c’est que je descende en attendant dans son pied-à-terre, sa garçonnière …
Elle s’arrête et me sourit avec malice :
- Je suppose que tu connais !...Mais lui ne peut pas être à Paris pendant cette période et moi, je n’ai pas envie de me retrouver toute seule dans ce studio que je n’aime pas, alors … Tu voudrais bien me recevoir chez toi pour quelques jours, le temps que je déniche ma chambre ?
Elle a pris ma main, dans une attitude de petite fille demandant une permission à sa maman.
- Dis oui ! Je t’en prie !
En fait si je n’ai pas répondu tout de suite c’est que je pense à Enzo, et à la configuration de notre appartement. Mais comment refuser quelque chose d’aussi naturel à une grande fille, presque une enfant encore, qui le demande si gentiment ?
- Il faut que nous en parlions à ton père … et que j’en parle aussi à mon fils. Tu sais, mon appartement n’est pas grand mais … Il y a un petit clic-clac dans mon bureau. Quand il invite un copain on le porte dans sa chambre. Tu pourrais y dormir. Et j’y pense, même, si tu préfères, en attendant qu’il revienne tu pourrais la lui emprunter, sa chambre !
- Comme ça j’aurais vraiment l’impression d’être ta fille ! Ce serait génial ! Tu crois que ça ne l’ennuierait pas ?
- Je vais le lui demander … Si ton père est d’accord ! Au fait, il ignore l’existence de ton père : je préfère. Au moins pour l’instant. Je lui parlerai d’une jolie grande fille de seize ans rencontrée en vacances. Il n’est pas du genre à en demander plus qu’on ne lui en dit.
Marc a paru surpris par cette idée, mais il l’a trouvée charmante « si ça ne devait pas trop nous déranger, mon fils et moi ». Enzo, lui, l’a qualifiée de « sympa ».
- Et elle peut dormir dans mon lit, ça ne me dérange pas. Juste quand je rentrerai j’aimerais bien récupérer ma chambre parce que j’y ai toutes mes affaires … Je te dirais bien qu’on peut la partager, ici on dort à quatre mais … Non, je plaisante : on se connaît pas et j’imagine bien que ça nous gênerait tous les deux ! Euh ! Pour ici, non, je ne plaisantais pas. On dort à quatre, Noémie aussi, et pas plus habillés la nuit que le jour ! Ça te la coupe ! Et t’en fais pas, tout ça est très convenable ! Tu sais … C’est comme si j’avais toujours été leur frère !
- À part que Noémie … Tu en es un peu amoureux ! Je me trompe ?
Il y a un silence, puis :
- Pas qu’un peu ! Et je crois qu’elle m’aime bien aussi mais je me rends bien compte que je suis trop petit pour elle… On en reparlera plus tard, quand un an de différence, ça ne comptera plus !
Je ne sais si c’est à cause de ce projet : l’atmosphère entre nous trois les derniers jours était devenue franchement familiale. Loreleï m’a dit :
- Tu n’as pas un diminutif ? Marie-Odile, c’est trop long à dire.
- Quand j’étais petite on m’appelait Didi, mais j’ai horreur de ça. Le père d’Enzo, lui, m’appelait Mario, Marie-O, quoi.
- Un peu masculin, non ? Une homosexualité refoulée ?
J’ai ri.
- Lui ? Ah non ! Ça vraiment pas, ou alors refoulée très profond ! Non, c’était commode et ça l’amusait, justement, cette ambiguïté.
- D’autant que, quand on te voit il n’y en a vraiment aucune ! a observé Marc.
- Moi, tu peux m’appeler Lorie si tu veux. Tu sais que mon vrai prénom est Laure ! Mais j’aime bien Loreleï et ce n’est pas vraiment plus long à prononcer.
- Et ça te va bien, je trouve.
- Belle et dangereuse ? Attention ! plaisante Marc.
- Attention toi-même ! relève Loreleï avec un demi-sourire. Tu vas faire peur à Mario et elle ne va plus vouloir de moi chez elle !
- Je prends le risque, dis-je, feignant la gravité.
Nous avons pris la route en fin de matinée et nous voilà chez moi. Pendant le trajet nous avons bavardé de tout et de rien comme des camarades. Un peu de ses études, un peu de littérature et de philo aussi, superficiellement car je devais me concentrer sur la circulation, mais sa présence rendait la chose moins ennuyeuse.
Nos bagages à peine déposés, les siens dans la chambre d’Enzo, elle m’a demandé la permission de prendre une douche.
- Mais tu en as peut-être envie aussi, s’est-elle reprise.
- Vas-y, je peux attendre ! Je vais te donner une serviette. Pendant ce temps je vais nous préparer quelque chose à manger.
J’ai entendu couler la douche, longuement. Puis elle est ressortie et s’est dirigée vers la chambre, nue, ses vêtements sur le bras et la serviette faisant un énorme turban pour ses cheveux mouillés. Devant mon expression étonnée elle a dit :
- Oh pardon ! Je ne te choque pas j’espère : je pense mettre juste une tunique pour la soirée et j’ai oublié de l’emporter dans la salle de bain.
- Non, bien sûr ! Tant que nous ne sommes que toutes les deux ça n’a aucune importance !
Je n’étais pas tout à fait sincère. Certes nous avions été nues ensemble pour cette photo. Pour autant, en dehors de cette circonstance particulière, la nudité pour moi n’allait pas de soi. Mais en face d’elle je n’osais pas le lui dire. Il me suffisait de la regarder, si belle et si naturelle, pour me persuader que c’était elle qui avait raison. Cette fois encore je me suis souvenue des vestiaires réservés aux filles du club de sport ou de la piscine publique. Loreleï était simplement moins pudique que moi. Qu’elle fût ainsi à l’aise en ma présence, je n’avais qu’à m’en réjouir comme d’une marque de notre affection réciproque.
- Tu es un amour. Quand ton fils sera là je ferai attention. Promis !
Elle m’avait répondu depuis la chambre et c’est sa tunique à la main qu’elle est venue m’embrasser avant de l’enfiler.
Nous avons dîné, puis je suis allée prendre ma douche à mon tour.
- Vu l’heure, je crois que je vais passer directement au pyjama. Pas d’objection ?
Question purement formelle : il était évident qu’elle n’en ferait pas.
Nous avons donc passé la soirée, elle dans sa longue tunique de lin et moi dans mon pyjama de soie, tout bêtement devant un divertissement télévisé de samedi soir. Puis nous avons décidé d’aller nous coucher. Nous nous sommes brossé les dents ensemble puis, depuis la chambre d’Enzo dont elle avait laissé la porte ouverte elle a appelé en prenant une voix de petite fille :
- Mario ! Tu viens me faire un bisou dans mon lit pour que je fasse dodo ?
À nouveau, sous la couverture légère elle était apparemment nue. À nouveau mon étonnement dut être perceptible car elle expliqua :
- J’ai abandonné le pyjama depuis … Tiens, juste après la photo où tu m’as vue avec ma copine Fatou. Je trouve ça plus agréable. Il est vrai que les miens n’étaient pas en soie !
Je me suis penchée pour un bisou semblable à celui que me réclamait encore souvent Enzo. Elle a jeté ses bras autour de mon cou pour me retenir, et me le rendre près de l’oreille en y murmurant :
- J’adore ton eau de toilette !
Pourquoi étais-je troublée ? Machinalement j’ai dit :
- Bonsoir ma chérie.
Elle a répondu :
- Bonne nuit ma Mario.
Alors que je cherche le sommeil des souvenirs me reviennent : ceux d’une tendre amitié commencée dans l’enfance avec une fille de mon âge, devenue un peu trop tendre peut-être avec l’adolescence et avec laquelle, d’instinct, nous avons l’une et l’autre pris quelque distance en flirtant avec des garçons. Dans les vestiaires du club de tennis que nous fréquentions ensemble, les boxes de douche étaient munis d’un rideau plastifié que l’on fermait ou pas. Contrairement à moi, Béatrice ne prenait presque jamais la peine de le tirer. À un âge où la pulsion sexuelle naissante est encore ambiguë, le spectacle de sa nudité sous un ruissellement de mousse me troublait et il me fallait un effort pour en détacher mon regard. Pourquoi ces images me reviennent-elles quand je pense à Loreleï ? Elle est la fille de Marc. Elle pourrait être la mienne … ou presque. Si j’avais été mère très jeune … Après tout elle n’a que cinq ans de plus qu’Enzo et si elle voit en moi la remplaçante d’une mère dont son adolescence a été privée, quoi de plus touchant que sa tendresse ?...
Je me suis endormie avec cette pensée et ce qui me réveille au petit matin est la vague sensation d’une caresse sur mon sein. J’ouvre les yeux, à demi inconsciente encore : il m’a toujours fallu du temps pour sortir du sommeil. Loreleï est là, son visage au-dessus du mien, me souriant dans la pénombre. Je réalise lentement que la veste de mon pyjama est ouverte et que, du bout d’une longue mèche de cheveux qu’elle tient dans sa main, elle caresse doucement mon sein. Avant que j’aie réussi à réagir son visage se rapproche du mien, sa main glisse plus bas, sous le pyjama. Je m’efforce de me dégager mais elle m’enjambe et, à califourchon sur mon ventre, ses mains emprisonnant mes poignets sur l’oreiller, - « comme la noire sur la photo », l’idée me traverse l’esprit -, elle se penche davantage, ses seins effleurant les miens, sa bouche mon oreille.
- Chut ! Ne résiste pas ! Laisse moi faire ! Ne me dis pas que tu n’en as pas envie, tu sais bien que ce serait un mensonge !
Son murmure aussi est une caresse. Il ne faut pas ! Mais mon corps ne m’obéit pas. De mon oreille, ses lèvres ont glissé aux miennes que sa langue écarte et, malgré moi, j’accepte son baiser, je le lui rends. Alors sa main gauche lâche mon poignet, glisse le long de mon corps, que sa caresse dénude un peu plus. Ma main libérée caresse ses cheveux. Libérant l’autre, allongée su moi elle achève de me déshabiller… Et je l’y aide …
Mais en même temps que mon corps lui obéit, mon esprit achève de sortir du sommeil. C’est une étrange dissociation et que je n’ai jamais connue. Jusqu’à Marc, cette vigilance de l’esprit restait dominante, et interdisait au corps de s’abandonner sans réserve au plaisir. Marc m’a appris à le faire et, parce que de lui j’avais décidé d’accepter qu’il me guidât, je suis parvenue dans ses bras à me défaire de cette lucidité. Mais dans ceux de sa fille ma conscience refuse de se taire, alors que ses caresses expertes ont totalement pris possession de mes sens. Et après la soumission passive, après la participation involontaire, voici que cette révolte impuissante se mue en une sorte de rage. Contre moi, contre elle, je veux cesser de subir, je veux à mon tour lui faire perdre cette maîtrise avec laquelle elle me conduit, qu’elle devienne aussi folle que moi, puisqu’elle m’a rendue folle !...
Je ne sais pas laquelle de nous deux s’est endormie la première. Quand je me réveille il fait jour dans la chambre malgré les persiennes fermées. Loreleï dort auprès de moi, à demi couverte. Son visage a retrouvé une expression presque enfantine. Est-ce possible ? Elle suce son pouce ! Est-ce l’enfant ou l’amante que j’ai une folle envie d’embrasser. Avec tendresse. Seulement avec tendresse quand je regarde son visage. Mais ses seins raniment en moi d’autres sentiments.
Elle s’éveille, me sourit et vient poser sa joue sur ma poitrine. Tendrement… Qu’avons-nous fait ? Et qu’allons-nous faire ?
C’est en caressant ses cheveux sur son épaule que je lui dis mon désarroi.
- Pourquoi tu te poses des problèmes ? me répond-elle. On n’est pas bien, là, toute les deux ?
- Mais enfin, tu ne te rends pas compte ma chérie ! Mon amant me confie sa fille de seize ans et moi …
- Toi, ce n’est pas ta faute ! Tu ne m’as pas violée ! Ce serait plutôt le contraire, non ?
- C’est vrai… Mais je n’ai guère résisté ! Tu avais raison : je ne voulais pas me l’avouer, en fait je n’y pensais même pas, je n’avais jamais fait ça tu sais… Mais c’est vrai que j’en avais envie.
- Depuis le premier instant mon amour ! Toi tu ne le savais pas parce que tu n’avais jamais fait ça, justement, mais moi je le sais depuis le premier instant. Que j’en ai envie et que tu en as envie.
- Parce que toi …
Que je suis sotte ! Évidemment pour elle ce n’est pas la première fois ! Elle a beau n’avoir que seize ans, en matière de caresses elle semble être aussi experte que son père. Je me reprends :
- Toi, tu vois tout cela avec une tranquillité … N’empêche que je trahis ton père !
- Mon père ? C’est envers lui que tu as des scrupules ? Que tu es naïve ! Mon père, il sait très bien pourquoi je suis ici et ça ne le dérange pas du tout, ce serait même plutôt le contraire… Seulement cette fois il a tout faux.
- Tu veux dire que … ? Quelle conne ! Vous m’avez manipulée tous les deux ! Et moi qui m’attendrissais sur l’orpheline cherchant une mère de substitution !
- Ce n’est pas faux non plus ! Ce n’est pas si simple les sentiments ! Ne me dis pas que tu crois ça ! Manipulée … oui, bien sûr ! Tout le monde manipule tout le monde même dans les relations affectives les plus sincères… Même … Peut-être surtout ! Tu ne me manipulais pas, toi, en croyant m’adopter comme fille ? D’accord, j’ai triché : j’ai joué l’ingénue que tu voulais voir en moi pour te séduire. Mais sois sincère, ne triche pas, toi : avec les autres tu ne sais pas très bien le faire mais avec toi-même, tu es championne. Si je t’avais dit de but en blanc le premier jour « Je suis amoureuse de toi. Tu viens faire l’amour ? », qu’est-ce que tu aurais fait ?
- Je ne sais pas … Je n’arrive pas à imaginer la situation. En tout cas j’aurais certainement refusé.
- Tu vois ! Et tu crois que je pouvais prendre ce risque ? … J’ai eu l’idée de la photo. C’était un test et je suis sûre que mon père ne s’y est pas trompé. Il a été mon complice et … Je n’ai plus eu de doute. Restait à manœuvrer …
Piégée ! J’ai été piégée, je n’ai rien vu venir et maintenant je n’arrive même pas à en vouloir à Loreleï. À Marc, en revanche …
- Mais enfin quel homme est donc ton père ? Quelle est cette complicité perverse entre vous ?
- Ça, c’est une longue histoire, ma pauvre Mario. Je vais te la raconter parce qu’il faut que tu saches. Que tu saches tout : je n’ai plus envie de jouer la comédie avec toi. Tu vaux mieux que ça. Mais j’ai faim. Tu n’as pas faim, toi ? On se ferait pas un bon petit-déjeuner ?
Si belle, si calme, si sûre d’elle. De nous deux c’est elle l’adulte alors que j’ai deux fois son âge. Et tout en me le reprochant, je ne sais que lui céder en tout.
Nous nous étions endormies nues et nous le sommes encore. Pour me lever je voudrais remettre mon pyjama, mais elle m’arrête.
- S’il te plaît ! Tu es belle ! Laisse-moi te regarder vivre un peu, avant de te cacher !
Nous préparons ensemble le petit-déjeuner et j’attends sagement qu’elle se décide à raconter cette histoire, qui est peut-être un nouveau mensonge, mais peut-être pas. Au point où elle m’a menée elle n’a plus besoin de mentir et elle le sait.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire