C’était un peu spécial, la Fête des Pères. Papa m’a emmenée en Vendée pour la passer avec Papy qui est malade. Il a dit que l’année prochaine il risque de ne plus être là.
Papy, il n’a jamais été du genre câlin. Quand j’étais petite il me faisait un peu peur et à Julie aussi. Mamie dit que ses fils lui ressemblent et c’est sans doute pour ça que je trouve toujours Papa un peu raide avec moi. Mais je sais bien que lui aussi il m’aime. Seulement il pense qu’il ne faut pas se laisser aller. C’est sa pudeur, à lui. Et ça doit être comme Maminou m’a expliqué pour Papa : pour lui, se mettre tout nu c’est du laisser aller.
Il était dans un fauteuil, bien pâle et bien maigre, lui qui partait faire des randonnées avec ses fils l’été dernier encore. J’avais mis ma robe bleue et il m’a regardée avec un sourire que je ne lui avais jamais vu. Il m’a dit :
- Tu ressembles vraiment à ta mère ! Un peu plus blonde pour l’instant mais tes cheveux commencent à foncer. Tu as de la chance : elle est très belle. Je l’aimais bien, tu sais. Elle ne doit pas s’en douter. Elle doit surtout se souvenir que je n’approuvais pas ses idées. Et pourtant je dois reconnaître qu’elle t’a bien élevée. C’est peut-être dommage qu’elle et ton père se soient séparés. Mais quoi ! Ça vaut sans doute mieux que de rester ensemble pour se disputer tout le temps. Comme ils n’étaient pas d’accord sur grand chose et que je ne vois pas bien lequel aurait pu céder … Je sais que tu les aimes tous les deux et c’est très bien. Comme dit l’Évangile « Il y a plus d’une demeure dans la maison du Père »
Il ne m’avait jamais parlé autant. Il sait qu’il va mourir, c’est évident. Et pourtant il n’a que soixante-cinq ans.
À un moment, Papa lui a parlé de leurs randonnées. Il a dit :
- Quand tu seras guéri, on remettra ça, tous les trois, avec Jean-Marie.
Et Papy a dit très doucement, en souriant :
- Voyons, mon petit, tu sais bien que je ne guérirai pas, je le sais aussi, ce n’est pas un drame, ma vie est faite, même si j’aurais bien aimé voir grandir encore un peu cette belle grande fille … et ne pas lâcher ta mère… Alors ne nous mentons pas, veux-tu ? Mentir, c’est manquer de respect, tu le sais bien !
C’était la première fois que je voyais Papa embarrassé.
Mamie ne montrait rien. Elle lui a proposé de boire quelque chose, il a accepté et elle m’a demandé d’aller chercher des glaçons à la cuisine. Mais quand elle l’a servi, sa main tremblait un peu.
On s’est tous embrassés très fort quand nous sommes repartis. Et dans la voiture nous n’avons pas beaucoup parlé.
J’ai raconté à Maman. Elle m’a dit qu’elle avait aussi beaucoup d’estime pour Papy Jérôme, que c’est un homme sincère et droit, et que ce qu’il a dit lui fait plaisir. Elle a dit aussi que Papa lui est très attaché et que ça va être dur pour lui de le perdre si tôt.
***
Je ne le reverrai pas. Il a dit qu’il ne voulait pas que ses petites-filles assistent à son enterrement, qu’elles auraient bien le temps d’en voir d’autres. Et voilà.
Nous irons quand même chez Mamie Brigitte au début de juillet, Julie et moi. Papa dit que, les premiers jours de deuil passés, ça lui fera du bien d’avoir ses petites-filles avec elle.
***
J’ai craqué. Ça m’énervait, cette comédie, entre Julie et moi et en plus je repensais tout le temps à Papy qui disait que mentir c’est manquer de respect. Alors quand elle m’a parlé de ses poils qui poussaient et qu’elle a voulu qu’on se les montre pour voir si c’était pareil, j’ai craqué. J’ai dit :
- Écoute, ça suffit ces simagrées ! Tu dors avec ta culotte et ton soutif sous ton pyjama alors qu’on est toutes seules dans la chambre et que des seins, t’en as presque pas, et maintenant tu veux qu’on se montre nos foufounes pour comparer nos poils. Alors quoi, tu peux pas penser à autre chose ? Je m’en fous, moi de savoir laquelle de nous deux a le plus de poils. J’y pense pas tout le temps, moi ! Ni pour les cacher ni pour les montrer ! Tu veux savoir ? On est naturistes, Maman, les poussins et moi. En vacances chez ses parents on est tout nus tout le temps et si je te l’ai jamais dit c’est que Mamie ne voulait pas. Alors toute nue tout le temps avec des gens tout nus, pas de problème, prendre mon bain avec toi comme avant, pas de problème et je ne sais pas pourquoi on ne peut plus, mais juste me déculotter pour montrer ma foufoune, non, ça c’est indécent, c’est obscène, tu peux pas comprendre ça ?
La pauvre ! Elle en avait les larmes aux yeux !
- Pourquoi tu te fâches contre moi ? C’est pas de ma faute si on m’a habituée comme ça et toi autrement. La culotte et le soutif sous le pyjama, j’ai pris l’habitude l’été dernier en colo : presque toutes les filles faisaient comme ça, à part les petites pour le soutif, alors moi, bien sûr … Après, j’ai continué même toute seule. Je pensais que c’était plus correct. Et pour le bain c’est vrai qu’on n’a plus l’habitude mais je trouve qu’on aurait pu continuer, on était comme des sœurs, c’est pas moi qui ai décidé. Alors toi tu es naturiste ? Ça alors ! Mais… Ça te gêne vraiment pas de te montrer toute nue devant tout le monde ?
« Me montrer toute nue devant tout le monde » ! Pourquoi pas faire un strip-tease ? Il a fallu que je lui explique tout.
Elle m’a écoutée attentivement, en me posant des questions. À la fin elle a dit :
- Je comprends. J’ai même l’impression que tu as peut-être raison. Mais moi, devant tout le monde, je crois pas que je pourrais. Et voir des hommes tout nus, ça me gênerait : je n’oserais pas les regarder. Mais avec toi, bien sûr, c’est pas pareil. Et si tu préfères, on n’en parlera pas à Mamie, mais tu dors comme tu veux. Si tu as l’habitude toute nue et que tu préfères, moi ça me dérange pas et … peut-être que j’essaierai de faire comme toi … quand on aura éteint la lumière.
On s’est fait la bise. Pas pour se dire bonsoir, ça entre nous ce serait un peu nunuche, mais pour montrer qu’on n’était plus fâchées.
Et ce matin j’ai vu qu’elle dormait juste en culotte. Elle m’a dit :
- Comme toi, j’ai essayé mais … je ne suis pas à l’aise : je me sens toute nue !
On a bien ri toutes les deux et on a mis nos maillots avec des tee-shirts par-dessus pour aller déjeuner. On n’a pas fait attention de se cacher et on ne s’est pas regardées non plus.
En ce moment elle est partie au marché avec Mamie : moi j’ai dit que j’avais envie de rester un peu seule pour écrire mon bloc-notes. En fait j’en ai aussi profité pour me baigner deux minutes sans le maillot. On peut : la maison d’à côté est fermée, il n’y a personne. Et c’est drôle, traverser le jardin toute nue pour aller de notre chambre à la piscine et retour ça me faisait un drôle d’effet. C’est certainement parce que d’habitude, ici, c’est interdit.
***
Finalement c’est bien que j’aie craqué, l’autre jour. Déjà on a tout de suite été mieux ensemble, Julie et moi. Puis dans la piscine, on a commencé par enlever le soutif. C’est elle qui a commencé et Mamie n’a rien dit. J’en ai profité pour en faire autant. Alors elle m’a demandé si ça ne m’ennuyait pas qu’elle lui parle de notre conversation, j’ai dit que non et elle a dit à Mamie :
- Tu sais Mamie, je sais pourquoi Noémie a pas de marques. Moi je suis allée à la plage une seule fois et regarde, j’en ai déjà !
Mamie a répondu :
- Ah oui ? Il fallait bien que tu le saches un jour ou l’autre, et les cachotteries entre cousines c’est un peu bête. Mais il vaudra mieux ne pas en parler à tes parents, ils risqueraient de lui en vouloir.
Et Julie a continué :
- C’est plus joli sans marques. Tu crois qu’elles vont s’effacer, les miennes ?
J’ai dit :
- Normalement elles vont s’atténuer si tu restes au soleil comme ça, mais il restera une différence. Pour que ça disparaisse, ce serait un peu compliqué.
- Parce que tu as une solution ? a demandé Julie.
- Il faudrait mettre une crème indice au moins trente partout, sauf là où c’est blanc. Là tu pourrais en mettre un peu quand même si tu as peur des coups de soleil, mais une pas forte.
Mamie a souri :
- Un vrai travail de précision !
Et Julie a dit :
- On essaye ? Tu veux bien me la mettre Noémie ?
Avec la permission de Mamie on a commencé à faire comme ça pour le haut. Les limites des marques étaient bien nettes, c’était amusant. Puis Julie a dit :
- Mes fesses aussi sont blanches ! On fait pareil ?
Nous avons regardé Mamie toutes les deux. Elle a d’abord secoué la tête et puis elle a dit :
- Tu exagères, Julie !... Tes fesses, personne ne les voit !
Et là, Julie a dit :
- Mais moi, je le sais. Et puis, mes seins non plus personne ne les voyait jusqu’à maintenant. Après tout, puisque Noémie a l’habitude, pourquoi on enlèverait pas aussi le bas ? On n’est rien que nous deux avec toi ! Moi j’ai envie d’essayer.
Et Mamie a dit :
- Tu en as vraiment envie ? Après tout, c’est vrai qu’entre nous il n’y a pas de mal, puisqu’il n’y a plus d’homme à la maison…
En disant ça, évidemment elle a eu un sourire triste. Puis elle a continué :
- Faites comme vous voulez. Mais ne dites rien à vos parents : ils me gronderaient !
Depuis, pour essayer de faire partir ses marques, Julie ne met plus de maillot pour se baigner ni pour s’étaler un moment au soleil après la baignade, moi non plus évidemment, et c’est moi qui lui passe la crème comme il faut. Pour l’instant, ce qui était blanc est plutôt rose mais pas trop. Et nous refaisons notre toilette ensemble mais elle garde toujours sa culotte pour dormir. Et la plupart du temps nous sommes en tee-shirt ou en robe d’été. On est vraiment redevenues copines comme quand on était petites : on rit pour un rien comme des folles et Mamie nous regarde en souriant.
***
Nous revoilà à Paris, Papa et moi. On dort chez lui ce soir en attendant de prendre l’avion demain et je repense à Mamie.
C’est bizarre à dire : nous savons bien, Julie et moi, qu’elle aimait très fort Papy et qu’elle a eu un énorme chagrin quand il est mort, mais en même temps c’est comme si elle était libérée. Elle est plus cool avec nous. C’est peut-être aussi parce que nous grandissons mais … Je sais que Papy était quelqu’un de bien, mais c’est quand même vrai aussi qu’il était un peu raide et on dirait qu’elle s’obligeait à être comme lui. Maintenant elle ne s’oblige plus. Elle devient même un peu comme complice avec nous par rapport à cette raideur que Papy a transmise à nos pères.
Elle nous a raconté que quand elle était petite elle vivait à la campagne avec sa sœur qui avait un an de plus qu’elle. Elles étaient inséparables et jusqu’à treize ou quatorze ans quelquefois, l’été, elles allaient se baigner dans le ruisseau voisin en cachette des parents, là où personne ne pouvait les voir. Et elles se baignaient toutes nues pour pouvoir revenir à la maison avec tous leurs vêtements secs. Elle n’avait jamais raconté ça à Papy parce qu’elle savait qu’il aurait trouvé que ce n’était pas convenable.
Papa et son frère c’était différent : ils ont cinq ans de différence, alors quand Papa est né l’oncle Jean-Marie se lavait déjà tout seul et quand Papa a commencé à en faire autant, mon oncle était déjà habitué à ne jamais se montrer tout nu.
Nous deux, comme on avait le même âge personne n’a protesté quand elle nous a baignées ensemble, toutes petites, puis quand nous avons continué, du moment que nous n’étions jamais toutes nues ailleurs que dans la salle de bain. Jusqu’au jour où Papy a vu un film à la télé où deux sœurs faisaient … elle a dit « des choses vicieuses » ensemble. Julie a dit : « Elles faisaient l’amour quoi ? » Et Mamie a dit : « Ben oui, on peut dire ça comme ça, mais deux filles ensemble, et deux sœurs en plus … Enfin votre grand père a été très choqué, surtout qu’en plus elles finissaient par assassiner leur patronne et sa fille, et il a trouvé que vous commenciez à être trop grandes pour prendre votre bain ensemble. Mais moi, quand je vous vois là toutes les deux, pour moi c’est comme j’étais avec ma sœur… Il n’y a pas de mal ! »
Je sais qu’il y a des femmes qui font l’amour ensemble et même des filles, même à notre âge, qui s’embrassent et qui se touchent en cachette mais franchement, je ne m’imagine pas faisant ça avec Julie. Ni avec personne d’ailleurs pour l’instant, fille ou garçon.
Quand j’y repense, j’ai l’impression que Julie, quand elle voulait qu’on se montre nos foufounes, ce n’était peut-être pas si clair que ça : elle avait un drôle de regard. Mais depuis qu’on a pu rester toutes nues ensemble à nager ou à bronzer et même à se passer la crème solaire sans se cacher c’est oublié. On est vraiment comme des sœurs … normales !
Et ça nous a bien amusées, quand Papa est venu me chercher de nous baigner en bikini comme si de rien n’était en faisant des clins d’œil à Mamie.
Et maintenant je vais faire ce voyage en Italie avec lui. Je vais sûrement voir des tas de choses intéressantes et je sais qu’il va tout m’expliquer très bien. Mais je pense à Maman, aux poussins, à Patrick et Enzo qui vont bien s’amuser ensemble… J’ai hâte de les retrouver.
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