samedi 5 décembre 2009

Puzzle (3ème partie II - 2)

Pour commencer, tout se passe bien. Bruce dans son pyjama classique après sa douche et les filles dans leurs chemises de nuit après leur bain partagé se sont couchés dans la disposition prévue.

Bruce est enrhumé. Il a eu un peu de mal à s’endormir et selon la position qu’il prend en dormant, il ronfle. Les filles, elles, ont dormi tout de suite, mais entre les ronflements de Bruce et les pieds qui se rejoignent et se chatouillent, elles se réveillent tôt. Pieds contre pieds, on se chatouille encore, exprès cette fois, on pouffe de rire en faisant attention de ne pas réveiller Bruce, puis on s’assoit, face à face, chacune à son bout de lit et on pouffe de plus belle.

- On est comme dans la baignoire ! remarque Lisa à voix basse.

- Sauf que dans la baignoire on est touts nues chuchote Anaïs.

C’est seulement une retouche qu’elle apporte à l’image à ce moment, sans arrière pensée consciente. Mais du coup Lisa ôte sa chemise de nuit et regarde Anaïs en riant. Et bien sûr Anaïs fait de même. Elles sont là, assises face à face, les épaules nues et le reste sous la couette, qui figure assez bien le bain de mousse, et elles rient en silence. Lisa lance son doudou à Anaïs, qui le lui renvoie. Elles n’ont pas pris garde que les ronflements de Bruce ont cessé.

Le garçon descend soudain. Il voit les filles. Il grogne :

- Qu’est-ce que vous foutez, toute nues dans votre lit ?

- On n’est pas dans le lit, on est dans la baignoire ! rectifie Lisa.

Bruce voit rouge. Il hausse le ton :

- Ça va pas Anaïs ! Lisa elle se rend pas compte, mais toi, ça va pas de la faire jouer à se mettre toute nue ?

- Oh ! T’es malade ou quoi ? On fait rien de mal ! Et en plus ça te regarde pas !

Alertée par le bruit de la dispute, Ariane arrive, en peignoir, son bébé dans les bras.

- Qu’est-ce qu’il se passe ? Ne réveillez pas votre père, pour une fois qu’il peut dormir !

Puis elle voit les filles.

- Eh bien ! Qu’est-ce que c’est que cette tenue ?

- On s’était réveillées toutes les deux pendant qu’il ronflait, lui, explique Anaïs et on jouait à faire semblant d’être dans la baignoire, c’est tout ! C’est lui qui fait un scandale pour rien !

Ariane essaie d’analyser calmement la situation. Spontanément, elle donnerait raison à Bruce. Mais il est vrai que ces petites filles qui hier soir ont pris leur bain ensemble n’entendent sans doute pas malice à ce jeu, suggéré par leur position dans le lit. Il est certes bon de le leur interdire, mais sans dramatiser.

- Bruce n’a pas tort mes chéries. Dans la baignoire il faut bien être toute nue pour se laver, mais dans un lit ce n’est pas convenable. Il est normal que ça le choque !

- Et qu’est-ce qu’il en sait si on est toutes nues ? On est sous la couette, il nous voit que le haut !

Un point pour Anaïs. Qu’est-ce que ce garçon va imaginer après tout ?

Il proteste :

- T’as pas dit le contraire ! Puis je te connais ! Déjà un peu avant, mais maintenant, depuis que tu vois les Girard, tu penses qu’à te mettre toute nue !

Là, Ariane sursaute :

- Qu’est-ce que c’est que ces Girard ?

Il y a un silence. Anaïs aurait préféré ne pas en parler et Bruce se dit qu’il n’aurait peut-être pas dû : c’est un peu compliqué à expliquer. Puis ils s’y mettent tous les deux à la fois et comme ils ont tendance à ne pas présenter les choses de la même façon, c’est carrément confus. Ariane parvient à peu près à comprendre que les Girard sont des orphelins qui sont bien élevés mais qui vivent tout nus chez eux, ce qui lui paraît incompatible. Il faudra en parler à Charles, qu’il tire la chose au clair avec Fabienne. Pour l’instant, l’urgence est d’en finir avec cet incident, d’autant que le bébé s’impatiente.

- Bon, ça va ! On en reparlera. Bruce, tu laisses les filles seules un moment, qu’elles se rhabillent. Dès que j’aurai fini avec Coralie je prépare le petit déjeuner. Et, les filles, vous vous souvenez désormais que toutes nues, c’est seulement pour se laver. Vu ?

- Oui Maman !

- Oui Ariane !

***

Ça, c’était le premier acte de la crise. Le second, c’est le soir, quand Charles ramène les enfants à Fabienne. Entre temps, il les a interrogés séparément et il a pu ainsi se faire une idée à peu près cohérente de « ce que c’est que ces Girard ». Et ça ne lui a pas plu du tout.

- Fabienne ! Il faut qu’on parle sérieusement.

- Brrr ! Tu m’inquiètes ! Les enfants, allez jouer dans vos chambres, Papa a besoin de me parler sérieusement.

Anaïs et Bruce obéissent.

- Alors ?

- Écoute, Fabienne, ta vie privée ne regarde que toi …

- J’aime à te l’entendre dire !

- Mais je n’admettrai pas que tu mêles les enfants à tes conneries !

- Mes conneries ? Et on peut savoir de quoi tu parles ?

- Des nudistes que tu leur fais fréquenter !

- Ah c’est donc ça ! Et qu’est-ce que tu as contre ces… naturistes – je préfère - qui sont des gens parfaitement convenables ?

- Mais enfin Fabienne ! Qu’ils soient … mettons un peu tordus, entre adultes ça les regarde, mais faire vivre leurs enfants tout nus chez eux, c’est scandaleux ! Et tu les reçois ! Et Bruce heureusement a du bon sens, mais la petite est influencée ! Son frère dit qu’elle ne pense qu’à se mettre toute nue ! Et en plus elle entraîne Lisa à faire comme elle ! Ce matin Ariane les a trouvées toutes nues dans leur lit : elles faisaient comme dans la baignoire, il paraît. Tu te rends compte !

- En effet ! Deux petites demi-sœurs de leur âge toutes nues dans leur lit, quelle horreur ! Je rougis rien que d’y penser !... Non mais tu entends ce que tu dis ? C’est pas plutôt vous, ta femme et toi, qui avez l’esprit tordu pour y voir du mal ? Moi, qu’Anaïs accepte son corps tout entier tel qu’il est, sans s’imaginer qu’il y en a un petit bout dont il faudrait avoir honte, ça me rassure, si tu veux savoir. Et je regrette bien de n’avoir pas pensé assez tôt à apprendre ça à Bruce : si son zizi l’obnubile maintenant, qu’est-ce que ça va être à la puberté ! Les petits Girard, ils sont vachement bien ces gosses ! Bien dans leur peau, bien élevés, qu’est-ce que tu crois ? Ils savent très bien que tout le monde n’a pas les mêmes idées, et ils ne se mettent jamais tout nus en présence de gens comme vous ! Il les a vus tout nus Bruce ? Non ! Alors ? Il fait des histoires parce que sa sœur s’en fout qu’il la voie, elle, sa petite sœur, sept ans tout juste ! S’il y a quelqu’un qui a une mauvaise influence sur lui, c’est vous, toi et ta femme !

- Décidément, c’est encore plus grave que ce que je pensais ! Méfie-toi, Fabienne ! Je ne suis pas prêt à admettre que tu pervertisses nos enfants et si tu persistes je pourrais remettre en cause nos accords sur leur garde !

- Quoi ? Monsieur le bourge bien pensant plaque sa femme et ses enfants pour en faire un autre à une gamine aussi bien pensante que lui et ça se permet de me donner des leçons de morale ? À moi qui ai accepté de divorcer gentiment pour limiter les dégâts dans l’intérêt des enfants, justement ! Tout ça parce qu’ils devraient absolument cacher le cul que le Bon Dieu leur a donné ! Parce que quand tu lui as fait un enfant, à ton Ariane, vous vous l’êtes pas montré, votre cul ! Vous éteignez la lumière quand vous baisez ?

- Je t’en prie Fabienne, ne sois pas vulgaire !

- La vulgarité, mon vieux, elle n’est pas forcément là où tu penses ! Mais méfie-toi à ton tour ! Ne crois pas que je vais me laisser faire cette fois, si tu veux aller devant le JAF on ira ! Et en plus il me semble que tu t’avances beaucoup : tu crois qu’elle serait d’accord, Ariane, pour avoir quatre enfants à plein temps ? Allez, rengaine ton flingue ! Tartufe ! Et fais-moi confiance : Anaïs, elle ne risque rien avec les Girard. Et en principe elle le sait très bien que chez vous il faut planquer son cul. Ça a juste dû déraper un peu avec Lisa parce que ces temps-ci elles prennent leur bain ensemble, si j’ai bien compris : ça m’étonnait d’ailleurs.

Charles s’est calmé, impressionné par une combativité dont il n’aurait pas cru son ex-femme capable. C’est d’un ton plus conciliant qu’il reprend :

- Ça va, calme-toi ! C’est vrai que l’incident n’était pas si grave. C’est vrai que sur le … naturisme, tu dis ? Tu es peut-être mieux informée que moi, il faudra que je me renseigne un peu mieux sur leurs théories. Mais en tout cas, Bruce, ça le met mal à l’aise ces histoires !

- Écoute : moi je découvre, et j’ai peut-être pris le virage un peu vite pour lui. Veux-tu qu’on convienne de quelque chose ? On finit l’année scolaire comme ça. D’ici l’été prochain on verra bien comment ça évolue. J’ai toujours dit que si à un moment donné les enfants voulaient vivre avec toi je ne m’y opposerais pas. Je ne pensais pas que la question se poserait aussi tôt mais si Bruce est mal à l’aise avec Anaïs et moi, s’il préfère vivre avec toi et si Ariane est d’accord, pour la rentrée prochaine où de toutes façons il entrera au collège, on pourra l’envisager. Il manquerait à Anaïs mais pour elle je ne crois pas que la question se pose.

En fait, bien qu’Ariane ait toujours entretenu des rapports affectueux avec ses enfants, Charles n’était pas du tout certain qu’elle serait d’accord pour les avoir à plein temps. La porte de sortie que lui offrait Fabienne l’arrangeait bien, et c’est donc ainsi que se termina le deuxième acte et la phase la plus aiguë de la crise.

***

Fabienne crut tout de même devoir une explication à ses enfants qui, bien qu’écartés de la pièce où elle avait eu lieu, avaient pu percevoir quelques échos de la dispute. Il était temps du reste, avec Bruce, de sortir de cet affrontement d’interdits et de permissions arbitraires et de lui présenter aussi clairement qu’il serait en mesure de la comprendre la divergence de deux points de vue également honorables.

Elle leur tint donc ce petit discours.

- Mes chéris, vous avez peut-être entendu que nous nous sommes disputés, votre père et moi, et vous vous doutez peut-être que c’est à propos de l’incident de ce matin. Alors je vais essayer de vous expliquer : nous nous sommes disputés parce que nous ne sommes pas d’accord sur ce qui est le meilleur pour vous. Et comme, évidemment, nous sommes tous les deux persuadés d’avoir raison et que c’est votre intérêt que nous pensons défendre, nous ne sommes pas prêts à changer d’avis.

Votre père et moi, nous avons tous les deux été habitués, quand nous étions enfants, à ne jamais rester tout nus. C’est pour cela que nous vous avons aussi habitués comme ça quand vous étiez petits. Mais quand même, tante Hélène et moi qui n’avons qu’un an de différence on faisait notre toilette ensemble et on dormait dans la même chambre, ça fait que ça ne nous a jamais gênées de nous voir toutes nues. Et même, quand on avait à peu près l’âge d’Anaïs, quelquefois en cachette, pendant que nos parents dormaient, on jouait toutes nues dans la chambre. Ça nous amusait justement parce qu’on pensait que c’était défendu !

Anaïs rit et Bruce lui-même sourit. Fabienne continua.

- Je le sais bien qu’on a toujours un peu envie de faire ce qui est défendu ! Mais quand même il faut réfléchir : la plupart du temps quand c’est défendu c’est parce que c’est dangereux. Mais là justement, je ne vois toujours pas où était le danger. D’ailleurs nos parents ne nous l’avaient pas vraiment défendu. Ils disaient juste que toutes nues c’était seulement dans la salle de bain.

- Comme Ariane ! remarque Anaïs.

- Voilà ! Ariane pense comme mes parents et votre père aussi. Mais moi, surtout depuis que j’ai vu comme les enfants étaient à l’aise à la Sablière, j’ai réfléchi. Je trouve qu’on n’est pas obligé non plus de faire comme Thibaud et Zoé, qui vivent tout nus chez eux, et que si quelqu’un n’a pas envie de se mettre tout nu c’est son droit, mais quand même… Je ne vois pas de vraie raison pour que ce soit un problème. Je veux dire qu’Anaïs et moi on peut très bien prendre un bain ensemble, et qu’Anaïs peut très bien dormir ou jouer toute nue quand elle en a envie. C’est très bien qu’elle sache, comme Thibaud et Zoé le savent d’ailleurs, qu’on ne se met pas nu n’importe où et avec n’importe qui, mais qu’il n’y a pas de mal à être nu là où ça ne gêne personne. Et toi, Bruce, je comprends bien que comme tu as dix ans et que tu as toujours été habitué à cacher ton zizi – on va peut-être dire ton sexe, c’est moins bébé ! – je comprends bien que tu n’as pas envie qu’on le voie. Mais je trouve que tu y attaches trop d’importance. Par exemple si tu es obligé d’être tout nu devant le docteur – quelquefois on ne peut pas faire autrement pour te soigner – tu vas en être malheureux comme tout, alors que ça n’en vaut pas la peine. J’ai l’impression que même quand tu es tout seul tu penses que ce n’est pas bien d’être tout nu. Je me trompe ?

- Non, avoua Bruce.

- Pourtant c’est comme ça que tu es en réalité : tu n’es pas né avec une culotte ! Alors moi, ce que je voudrais, c’est que tu sois à l’aise avec ton corps, pour que tu sois plus heureux. Je ne te demande pas de te montrer tout nu, mais au moins essaie de penser que toi, comme tu es vraiment puisque c’est comme ça que tu es né, c’est quand tu es tout nu. Et donc que quand tu es tout seul, si tu es tout nu c’est complètement normal. Disons qu’être tout nu ou avoir un caleçon, si tu es seul ce n’est pas important. Tu me comprends ?

- Je comprends ce que tu dis. Je vais réfléchir, répondit Bruce, un peu pour mettre fin à cette conversation, mais tout de même un peu aussi parce que le discours de sa mère l’avait ébranlé.

- Alors voilà : on va dire qu’Anaïs fait comme elle veut quand elle est toute seule mais qu’elle se souvient que toi, pour l’instant, tu n’aimes pas trop la voir nue, et que toi, tu fais aussi comme tu veux mais tu essaies de réfléchir comme tu m’as dit.

Elle hésita à conclure …

- Et que d’ici cet été, si tu as l’impression que tu serais plus heureux chez ton père tu as le droit de le dire et on peut y réfléchir aussi. Voilà : c’est là-dessus qu’on a fini par se mettre d’accord, votre père et moi.

Et cette fois Bruce fut vraiment convaincu qu’il allait falloir réfléchir.

Le soir même, se remémorant le discours de sa mère, il avait du mal à s’endormir. Une demi-heure après s’être couché, il se releva et, seul dans sa chambre, ôta son pyjama pour s’obliger à jouer nu un moment avec ses transformers. Au bout de cinq minutes il trouva que « ça ne rimait à rien » et le remit avant de se recoucher.

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