Ce qui finit et ce qui commence
Dans la chambre où le store au trois quarts baissé entretient une pénombre moite, sur le lit découvert, les corps ruisselants de transpiration se séparent lentement et basculent pour se retrouver un instant côte à côte. Les regards convergeant vers le plafonnier éteint et les sourires paisibles témoignent de l'harmonie retrouvée entre des amants de naguère. Puis Mélanie roule à nouveau sur le côté pour venir caler sa joue sur l'épaule de Clément, dont le bras se replie pour envelopper ses épaules, dont les lèvres viennent chercher ses cheveux. Un moment de profonde tendresse.
Mais brusquement la jeune femme doit se jeter hors du lit, se précipiter vers les toilettes, sa main devant la bouche retardant la nausée. Clément s'est redressé. Assis au milieu des draps froissés, il la suit des yeux, malheureux de ne savoir quoi faire de son corps. Tandis qu'on entend Mélanie vomir, son regard fait le tour de la chambre, cherchant des souvenirs.
On entend des bruits de chasse d'eau, de robinet ouvert sur un lavabo. Mélanie revient et Clément dit simplement :
- Tu as changé les rideaux, non ?
- Tu es gentil ! sourit Mélanie. Oui, un caprice… Je suis désolée… C'est laid la maladie. Je n'aurais pas voulu te laisser ce souvenir-là !
- Ça me rappelle tes débuts de grossesse, ma chérie ! Ce n'est pas laid. C'est la nature, c'est tout ! Et tu vas guérir ! Des souvenirs, on s'en fera plein d'autres, si tu veux bien. Et en attendant… on s'en est quand même refait un beau, tu ne trouves pas ? Viens près de moi !
Mélanie est revenue dans ses bras.
- Ça me fait du bien de te retrouver. Même si ce n'est sans doute pas pour longtemps… Je sais, c'est moi qui t'ai viré, quand tu aurais peut-être eu besoin d'aide et maintenant que c'est moi qui vais mal je t'appelle au secours. Je ne suis pas vraiment fière tu sais. Mais c'était pour les enfants, tu comprends ? Tu les mettais en danger, rien d'autre ne comptait pour moi !
- Et maintenant que je m'en suis sorti et que tu ne peux plus les assumer seule, tu penses que c'est malgré tout moi qui peux le mieux me débrouiller pour qu'ils vivent comme tu les y as habitués. Et rien d'autre ne compte, non ?
Il y a une pointe d'ironie amère dans le ton, mais pas de rancœur. Elle hésite. À nouveau elle est sur le dos, les yeux au plafond mais la tête sur l'épaule de Clément. Elle parle d'une voix monocorde :
- Ce serait moche de tricher maintenant et… tu sais qu'au moins ce n'est pas mon habitude… pas consciemment en tout cas. Oui au départ, c'est pour ça que je t'ai fait cette lettre. Et même, si j'ai demandé à ta mère de ne te la donner qu'au bout de cette semaine, c'était pour vous laisser en profiter, c'est vrai, mais je dois reconnaître que c'était aussi pour ne pas te laisser le temps de réfléchir. J'avoue. Mais comprends moi : je ne savais pas comment tu étais prêt à réagir, si tu m'en voulais encore beaucoup. Alors c'est vrai que c'était un peu un piège où les enfants servaient d'appât. Mais c'est vrai aussi que c'est d'eux qu'il s'agit. Et puis…
Un silence dont il ne profite pas pour répondre. Elle reprend, plus bas.
- Depuis quatre ans, j'ai eu bien souvent envie de t'appeler. De te demander de revenir. Et pas seulement pour les enfants. Au début je m'en suis empêchée parce que je n'avais toujours pas confiance. Et puis après… l'orgueil ? La peur que tu refuses ? C'était pas facile de te dire que j'avais besoin de toi, après tout ce temps… D'ailleurs… Si je l'avais fait alors que j'étais en bonne santé, qu'aurais-tu répondu ?
- Je ne sais pas. Il y a eu des moments où je serais revenu sans hésiter… Surtout quand je venais de passer quelques jours avec les enfants : c'était dur de les quitter. Pourquoi essayer de faire le tri ? Ce sont nos enfants : quand nous pensons toi à moi, moi à toi, on ne peut pas ne pas penser à eux en même temps. Il y a eu aussi des moments où je m'étais installé dans ma vie de célibataire et… Ma peau avait oublié la tienne. J'acceptais que tu ne m'aimes plus et je me persuadais que je ne t'aimais plus. C'était assez confortable. Je ne sais pas si j'aurais été prêt à y renoncer. La vie avec toi…
Il sourit :
- Confortable n'est pas vraiment ce que j'en dirais mon amour !... Mais c'est quand même con d'avoir perdu tout ce temps ! Maintenant…
Il l'attire tendrement contre lui et elle se laisse aller, les yeux fermés.
- Dès que je t'ai sue en danger. Mais surtout dès que je t'ai vue, dès que je t'ai touchée… Tout à l'heure est-ce que nous pensions aux enfants ? Ne meurs pas mon amour. Je veux qu'on vive ensemble encore !
- Même si ce n'est pas confortable ?
- Je dois être un peu maso !
Pour la première fois depuis que Clément est arrivé, ils rient ensemble.
- Sérieusement, reprend-il, je crois que j'ai un peu mûri, un peu compris ce qui m'était arrivé. Je ne suis pas très solide, ce n'est pas un scoop. Toi tu es forte. Ça a commencé par m'arranger. Toi aussi peut-être : tu prenais les décisions pour nous deux, puis pour nous quatre. Moi je t'admirais. Mais tu connais l'histoire de Monsieur Perrichon, l'admiration, c'est comme la reconnaissance, il faut un peu de générosité pour en être capable longtemps. J'ai commencé à t'en vouloir. C'est contre toi que j'ai bu… Toi, tu m'as viré. Ne te le reproche pas, c'est le meilleur service que tu pouvais me rendre. Pour retrouver… ma dignité, il fallait que je m'en sorte seul. Enfin… De l'aide il m'en a fallu. Mais surtout pas la tienne. Et ça non plus il ne faut pas te le reprocher. C'était pas ta faute si tu étais trop bien pour moi !
- Pourquoi tu te dévalorises ? Tu es qui tu es, ce n'est pas ta faute non plus. Je t'ai aimé comme tu étais. Je t'aime encore, bien plus que je ne croyais. Me dis pas que c'est pour le plaisir de te dominer… Dans l'état où je suis !
- Tu vas t'en sortir ! Ne pars pas battue, ça ne te ressemble pas !
- Je voudrais bien tu sais ! J'ai envie de vivre avec toi. Qu'on rattrape le temps perdu tous les quatre ! Mais quant à ce qui me ressemble tu sais, j'ai encore appris une chose de cette saloperie de maladie, c'est que ce que nous appelons notre caractère, notre personnalité, notre moi profond, dépend terriblement de l'état de notre cerveau ! Ça rend modeste… T'aurais pas une petite faim toi ?
Il sourit :
- Tu te souviens ?
- Je vais nous préparer quelque chose.
- Je t'accompagne.
***
La voiture roule vers Bron. Clément est au volant.
- Tu me laisseras devant l'entrée, dit Mélanie.
- Je ne peux pas t'accompagner jusqu'à ta chambre ?
- Je préfère pas. Dès que j'aurai passé la porte, je serai une patiente qu'on va opérer.
Elle sourit.
- Tu te souviens ? Pour les Grecs il y avait trois sortes d'humains : les vivants, les morts et ceux qui vont sur la mer. Quelqu'un qu'on va opérer c'est aussi la troisième catégorie. Dans la voiture, j'ai encore l'illusion d'être vivante. Je veux que ce soit cette image-là que tu gardes.
La voiture s'est arrêtée devant l'entrée de Pierre Wertheimer. Ils se sont embrassés longuement, puis elle est descendue, elle a ouvert la portière arrière pour prendre sa mallette sur la banquette, l'a refermée et s'est éloignée sans se retourner. Quand il ne l'a plus vue, il a redémarré.
Il a ramené la voiture montée de Choulans. Il remonte dans l'appartement vide où il reprend son casque. Le tenant à la main, il passe dans la chambre des enfants où il s'attarde à regarder leurs objets familiers. Puis il le pose sur le lit et fait un numéro sur son téléphone portable.
- Allo, Maman ?... Les enfants sont près de toi ?... Non ?... Je préfère. Je t'appelle de chez Mélanie. Je l'ai laissée devant l'hôpital, on l'opère demain. Elle n'a pas voulu que je l'accompagne à l'intérieur… Non, au contraire !... Tu sais, on s'est retrouvés, c'était très fort mais… c'est comme elle disait dans sa lettre : il n'y a pas beaucoup d'espoir… Là je suis dans la chambre des enfants. Je vais reprendre la route : c'est à moi de leur expliquer… Oui, ça ira. Je serai prudent, promis : ils ont trop besoin de moi ! À toute !
Avant d'en fermer les baies vitrées il passe un instant, sur le balcon qui surplombe la ville. Elle s'étale au soleil, coiffée d'un couvercle de brume qui estompe l'image plus lointaine des montagnes. La Presqu'Île s'élève, à gauche, vers la Croix Rousse. Derrière, c'est Caluire…
***
Dans leur jardin, Bruce et Anaïs jouent dans la piscine.
Fabienne, vêtue d'un paréo, sort de la maison, portant sur son bras quelques vêtements d'enfants qu'elle pose sur un séchoir pliant, à côté des serviettes qui y sont déjà.
- Je vous ai apporté vos affaires, dit-elle. Dorénavant, quand vous voudrez rentrer dans la maison, vous vous changerez ici.
- Pourquoi ? demande Bruce.
- Parce que je ne veux plus essuyer le carrelage derrière vous, ni retrouver vos maillots mouillés par terre dans vos chambres comme hier soir. Vu ?
- D'accord Maman ! dit Anaïs.
- Je m'essuierai bien avant de rentrer et j'oublierai plus de le sortir, Maman ! Promis ! Chez Papa j'oubliais pas, je te jure ! dit Bruce.
- Bien sûr, j'imagine, chez lui vous faites attention, vous jouez les enfants modèles pour bluffer Ariane, mais avec moi… Et pourquoi tu ne veux pas te changer dehors ? C'est pas plus simple ? Comme ça vous mettez directement vos maillots sur le séchoir ! Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as peur qu'on voie ton zizi ? Tu n'as qu'à faire comme à la plage, tu prends une serviette !... Et puis tu sais, ici il n'y a que ta sœur et moi alors, quand bien même on te verrait tout nu, ce serait pas un drame !
- J'ai pas envie !
- C'est ton droit mon grand, mais je t'ai dit : tu fais comme à la plage et on te regardera pas, d'accord ?
- Oui Maman !
Le ton est nettement maussade. Bruce sort de l'eau et se dirige vers le séchoir.
- Je t'ai pas dit tout de suite mon grand ! C'est pour tout à l'heure !
- Non mais j'en ai marre ! De toutes façons elle est nulle cette piscine, on s'amuse mieux dans celle de Papa.
- Pourquoi ? Elle est plus grande ? C'est pas une hors-sol ?
- Oui, dit Anaïs mais elle est quand même grande et puis elle est ronde. Celle-là elle est étroite. Mais quand même, moi je trouve qu'on s'amusait bien à deux, Bruce !
- Laisse-le bouder ma puce, ça lui passera, dit Fabienne.
- Attends, Bruce, je rentre avec toi. On pourrait jouer avec le Eye Toy tous les deux ! Tu veux bien ?
- D'accord ! grogne le garçon.
Il a enfilé son tee-shirt et s'est assis sur une serviette dont il a rabattu sur lui les côtés pour changer de slip. La petite, elle, commence à se défaire de son maillot en traversant le jardin et achève tranquillement de le retirer pour l'étendre avant de se rhabiller sans se presser. Fabienne la regarde faire en souriant. L'image de Zoé et Thibaud, au bord de la Cèze traverse son esprit.
- Eh bien ma puce, ce maillot, on voit que tu as bronzé avec : quand tu l'enlèves ça t'en fait un tout blanc !
- Ben oui ! fait la petite en riant. J'en avais pas d'autre et je pouvais pas me baigner toute nue, hein !
- Bien sûr ! se hâte de répondre Fabienne comme pour corriger une erreur. Bien sûr mais… ici, dans notre jardin en tout cas une culotte suffirait peut-être. Pour ce qui est du haut… t'as rien à cacher !
- Ben non ! Mais même Lisa ! Elle, elle a un maillot deux pièces mais Ariane lui fait toujours mettre le haut.
- Et toi, qu'est-ce que tu en penses ?
- Bof !... Moi, ça m'est égal : je ferai comme tu veux.
- Vous feriez quand même mieux de profiter du jardin pendant qu'il fait beau ! reprend Fabienne alors que les enfants rentrent dans la maison. Vous aurez bien le temps de jouer à l'intérieur !
- Après on ressortira ! promet Anaïs.
- Ça vous ferait plaisir d'aller au lac cet après-midi ?
- Ouiiii ! répondent ils tous deux, cette fois à l'unisson dans le même enthousiasme.
Et ils viennent se pendre à son cou pour l'embrasser.
***
La moto roule sur l'autoroute.
À la Sablière, Thibaud et Zoé sont, avec d'autres enfants, absorbés dans leur occupation à l'atelier de poterie. Dans le mobil home, Monique, l'air préoccupé, met du riz à bouillir. Derrière elle, Robert la regarde faire, embarrassé.
- Je peux t'aider ?
- Non mon chéri. Ou bien si, tiens, tu veux voir si les enfants ont fait leurs lits ?
***
La moto sort de l'autoroute à Bollène.
De sa cuisine, Fabienne appelle :
- Je vais me baigner un moment avant le déjeuner : quelqu'un m'accompagne ?
- J'arrive, Maman ! répond la voix d'Anaïs.
- Tu ne viens pas Bruce ?
- Pas envie pour le moment !
Dans le jardin, Fabienne dénoue son paréo sous lequel elle porte un deux-pièces noir. Devant le séchoir Anaïs se déshabille complètement et tend la main vers son maillot.
- Tu préfères le remettre ? demande Fabienne. Il ne vaudrait pas mieux le laisser sécher pour cet après-midi ?
- C'est vrai, j'avais oublié ! dit la petite en remettant sa culotte de coton à petites fleurs roses. Alors je me baigne en culotte ?
- En fait tu pourrais peut-être…
Elle hésite, puis :
- Je vais t'acheter des culottes qui ressemblent un peu plus à des maillots, ce sera mieux. En attendant commence par aller t'en chercher une autre pour te changer quand tu sortiras de l'eau.
- Tu pourrais m'acheter un petit bikini, et je mettrais que le bas !
- Avec des ficelles sur les côtés, ça te plairait ?
- Oh oui ! J'adore !
- On verra ça. Allez, va vite !
***
Clément est arrivé au mobil home. Il met sa moto sur béquille, ôte son casque et fait un numéro sur son portable.
- Maman ? Je suis là. … Tu peux les laisser jouer, ça ne presse pas ! … Non bien sûr, mais il ne fallait pas m'attendre ! … Bon, d'accord… Je vais leur expliquer mais … il y a quand même encore de l'espoir, ce n'est pas la peine de dramatiser. Je vais réfléchir à la manière de leur en parler pendant que vous remontez.
***
Le groupe s'approche dans le petit chemin empierré, et Clément regarde ses enfants arriver avec une immense tendresse.
- Papa !
Ils se précipitent pour l'embrasser. Puis ils réclament l'explication promise.
- Alors, Papa, pourquoi t'étais parti ? demande Zoé.
- Écoutez-moi bien, dit-il gravement en s'asseyant.
Les petits s'approchent et, debout face à lui pour que leurs regards se croisent mieux, ils écoutent.
- C'est votre maman que je suis allé voir à Lyon.
- Alors vous êtes plus fâchés ? demande Thibaud.
- Non mon chéri mais… Il faut que vous sachiez que votre maman est malade.
- Ça on sait a dit Zoé, soudain grave. Elle vomit souvent et elle a mal à la tête et des fois elle se met en colère et après elle nous demande pardon.
- Elle est vraiment malade mes petits.
- Mais on la soigne ? a demandé Thibaud anxieux.
- Oui, bien sûr. C'est pour ça qu'en ce moment elle est à l'hôpital, parce qu'il faut l'opérer. Et elle ne va pas être guérie tout de suite.
Les enfants ne disent rien. Leurs yeux plongent dans ceux de leur père, attendant qu'il en dise plus, qu'il les aide à comprendre le cataclysme.
- En attendant, elle m'a demandé de revenir habiter avec vous, pour que ça ne change pas trop votre vie. Alors samedi prochain Papy et Mamie vont vous ramener chez vous. Moi je partirai un peu plus tôt pour passer chercher des affaires là où j'habite, et je vous attendrai à l'appartement.
- Et quand elle sera guérie, tu vas pas repartir, dis ? demande Zoé.
- Je ne crois pas ma puce, répond-il en l'attirant plus près de lui pour l'embrasser. Tu sais, elle va peut-être rentrer à la maison bientôt, mais elle ne sera pas encore complètement guérie, elle aura encore besoin d'être soignée, alors elle préfère que je sois là pour m'occuper de vous. Et peut-être que quand elle sera vraiment bien on aura encore envie de rester ensemble.
- Oh oui ! dit Zoé.
- On pourra aller la voir ? demande Thibaud.
- Non mon grand. Les enfants ne sont pas admis pour les visites à l'hôpital. Et puis Maman ne voudrait pas que vous la voyiez avec des pansements, des tuyaux, tout ça. Vous avez déjà vu à la télé comment c'est les gens qu'on vient d'opérer ! Même moi, même avant, elle n'a pas voulu que je l'accompagne à l'intérieur de l'hôpital. On pourra juste téléphoner pour avoir des nouvelles.
Il y a un silence. Les petits en ont besoin pour réaliser ce qu'ils viennent d'entendre. Enfin Thibaud murmure timidement :
- Elle va pas mourir, dis, Papa !
Clément hésite à répondre.
- On va faire tout ce qu'on pourra pour la guérir, mon chéri, mais… on ne peut pas être vraiment sûr…
De grosses larmes débordent en silence des yeux des deux enfants, que leur père prend ensemble dans ses bras.
- Vous pouvez pleurer mes petits. C'est normal. Mais il faut garder l'espoir. Votre maman n'a pas voulu vous parler de son opération avant que vous partiez parce qu'elle voulait que vous profitiez bien de vos vacances ici. Et bien sûr elle veut que vous le sachiez maintenant, elle ne veut pas vous mentir ! Mais pour lui faire plaisir il faut ne pas trop vous inquiéter. Il faut vous amuser comme d'habitude. D'accord ?
Les enfants restent immobiles et silencieux, serrés contre leur père.
Monique et Robert, qui ont assisté à la scène depuis la porte du mobil home, sont rentrés pour cacher leur émotion. Monique en ressort un moment plus tard, se forçant à sourire.
- Vous m'aidez à mettre la table les enfants ? Il ne faut pas oublier de manger, votre maman ne serait pas contente !
Thibaud et Zoé ne répondent pas mais ils se détachent de leur père pour venir vers elle.
***
Sous un soleil d'après-midi, Fabienne et Anaïs, toutes deux en maillots une pièce, et Bruce en bermuda s'installent sur une plage fréquentée du lac de Miribel. Ils étalent leurs serviettes et entrent dans l'eau.
Au bord de la Cèze, Clément, ses parents et ses enfants font de même.
Dans son jardin, Ariane, en maillot une pièce, se repose à l'ombre sur un transat. Lisa, en robe « bain de soleil », s'approche d'elle.
- Tu veux bien te baigner avec moi, Maman ? Je m'ennuie toute seule !
- Bien sûr ma chérie. Va chercher ton maillot.
Sur la terrasse en rez-de-jardin d'une petite villa, la jeune femme aux cheveux blond foncé, maintenant attachés en queue de cheval, prend le café avec une jeune femme brune paraissant la trentaine, tandis que le petit garçon court après son ballon sur le minuscule carré d'herbe verte entouré de haies peu élevées.
- Alors tu le mets à la Maternelle qui est à côté de mon école ? dit la jeune femme brune.
- Ben oui ! En fait c'est la plus proche de chez nous et puis, Nathalie… si ça ne t'ennuie pas, ça me rassurera un peu que tu sois à côté, même si je sais que tu es occupée Juste au cas où, parce que moi, je vais profiter qu'il est à l'école pour travailler.
- Tu as trouvé quelque chose ? Parce qu'il va quand même falloir que tu le reprennes à la sortie, moi je ne peux pas !
- Non, je sais. En fait en attendant mieux je vais faire le midi dans un Mac Do. Avec l'A.P.I. je devrais m'en sortir. Peut-être un peu de baby-sitting aussi, ça j'ai déjà fait : il y a des parents qui acceptent que je vienne avec David. Le soir j'aime pas trop, parce que ça lui coupe sa nuit, mais le mercredi par exemple… L'an dernier j'avais une famille mais ils ont déménagé.
- Ça je pourrais peut-être te trouver avec des parents d'élèves, si tu veux !
- Si ça se présente, ça m'arrangerait bien, tu es gentille.
- C'est la moindre des choses, Léa ! Je peux faire ça pour ma belle-sœur quand même ! Et pour mon neveu ! Tu sais que je l'adore ce gamin !
- Et vous, Sammy et toi ?...
- Rien… On ne désespère pas mais… En attendant j'ai ceux des autres…
***
Traversant le parking proche de la plage, Fabienne et ses enfants rejoignent une 206 blanche à trois portes.
- Je peux me changer dans la voiture ? demande Bruce.
- Si tu veux mon grand, répond Fabienne. Simplement, fais attention de pas mouiller les coussins : tu t'assois sur ta serviette pour enlever ton bermuda. Nous on va se changer debout entre les voitures, c'est plus commode avec nos maillots, d'accord ma puce ? Je te tiendrai la serviette.
Elle ouvre la portière gauche et bascule le siège pour récupérer les vêtements d'Anaïs sur la banquette arrière et permettre à Bruce de s'y installer, à côté du rehausseur d'Anaïs.
- Voilà ! Tes vêtements sont là, tu peux ôter ton maillot.
- Attention, il y a des gens qui vont passer derrière nous, avertit Bruce qui, de sa place, surveille les alentours tout en se changeant sous sa serviette.
- Aïe aïe aïe, Anaïs ! fait Fabienne, tendant en riant la sienne en paravent derrière la petite. On va te voir toute nue !
Comme le rire de sa mère l'y invite, celle-ci ôte son maillot et enfile sa culotte en riant aux éclats tout en faisant semblant d'être très effarouchée. Puis elle achève de s'habiller et rejoint son frère à l'arrière de la voiture, tandis que les passants s'éloignent.
À son tour, Fabienne s'enveloppe du drap de bain pour ôter, son maillot derrière la portière ouverte. Au moment d'enfiler celui qu'elle a préparé sur son siège, elle sourit comme quelqu'un qu'une idée amusante vient de traverser et, après un regard circulaire, comme par maladresse elle laisse glisser le drap. Tout en le ramassant prestement elle tourne la tête vers Anaïs qui, contrairement à son frère, la regardait se changer, et fait « Oups ! » en lui souriant.
- Aïe aïe aïe, Maman ! Je t'ai vue toute nue ! fait la petite en riant.
- Aïe aïe aïe ! fait à nouveau sa mère tout en continuant à se changer sous le drap. Et c'est grave, ça ?
Anaïs réfléchit une seconde avant de répondre tout naturellement :
- Je sais pas.
- Moi j'ai rien vu ! affirme Bruce, apparemment soucieux de n'avoir pas à donner son avis
- Moi je ne crois pas, ma chérie, reprend la maman en souriant après avoir fait mine de réfléchir à son tour. D'ailleurs ce n'est pas la première fois que tu me vois toute nue, rappelle-toi : il n'y a pas tellement longtemps qu'on prenait encore notre bain ensemble dans la baignoire ! Et même avec ton frère, quand il était petit ! Mais ça, c'était avant ta naissance.
- Moi, je me rappelle pas, affirme le garçon.
- C'est qu'avec toi j'ai arrêté un peu plus tôt : quand j'ai été enceinte de ta sœur. Tu avais trois ans. Tandis qu'avec elle… la dernière fois c'était quand ? Il n'y a pas deux ans, je crois. Quand j'ai réalisé qu'avec la douche on économisait du temps et de l'eau.
- Oui, c'est vrai ! se souvient Anaïs, tandis que sa mère finit de s'habiller et de ranger ses affaires sur le siège avant droit. Même qu'on s'amusait bien avec la mousse toutes les deux dans le bain ! Pourquoi on le fait plus ?
- Je viens de te le dire ! Pourquoi ? Tu aimerais ?
- Oh oui !
- Je pensais que tu devenais trop grande, mais si tu en as envie on pourra quand même le refaire de temps en temps, ma chérie.
Fabienne s'installe au volant et ferme sa portière.
- Lisa elle prend jamais son bain avec Ariane, observe Bruce.
- C'est peut-être parce qu'Ariane est enceinte, elle a peur que Lisa donne des coups de pied dans son ventre ! Je te l'ai dit, moi c'est à cause de ça que j'avais arrêté avec toi.
- Même avant ! insiste le garçon.
- Écoute, tu n'en es pas sûr : tu ne vis pas tout le temps avec eux. Et puis Ariane fait comme elle veut et moi aussi. On n'est pas obligées de tout faire pareil, reprend Fabienne avec un peu d'irritation, en mettant le moteur en marche.
- C'est vrai, ça, vous faites pas tout pareil, confirme Anaïs. Déjà, chez elle, la toilette on la fait après dîner le soir.
- Ça, dit Fabienne, c'est parce que votre papa n'aime pas qu'on dîne en pyjama. Chez lui, quand il était petit, ça ne se faisait pas, alors…
- Je me rappelle, dit Bruce. Quand il était à la maison c'est comme ça qu'on faisait.
- Mais moi, je trouve que c'est plus pratique que vous la fassiez avant. Et puisqu'il n'est plus là…
- Alors parce qu'il est pas là tu lui obéis plus !
- Mon garçon, les mamans n'ont pas à obéir aux papas, souviens-toi de ça. Quand on vit ensemble, on décide ensemble. Et moi j'acceptais de faire comme il voulait pour lui faire plaisir. Mais je n'avais pas de raison de continuer.
- Et c'est vrai aussi que quand elle donne son bain à Lisa, parce qu'elle sait pas encore se laver bien toute seule, elle ferme toujours bien la porte pour que personne la voie. Je veux dire Lisa, parce que le bain, elle le prend pas avec elle. Même que l'autre jour elle l'a un peu grondée parce qu'elle sortait des toilettes toute nue. Pourtant c'était normal ! On s'était déjà déshabillées dans notre chambre pour mettre nos maillots quand elle s'est rappelée d'aller faire pipi. Elle allait pas se rhabiller juste pour traverser le couloir !
- Elle l'a pas grondée ! proteste Bruce. Elle lui a juste dit de pas le faire, et qu'elle avait qu'à mettre son maillot.
- Pour l'enlever une seconde après !… Quand même, juste pour traverser le couloir ! Moi ça m'est déjà arrivé de faire ça à la maison et Maman m'a rien dit !
- Moi je trouve qu'elle a raison, Ariane, insiste Bruce.
- Écoute, intervient Fabienne en achevant sa manœuvre pour sortir du parking. Ariane élève sa fille comme elle veut, je ne dis pas qu'elle a tort. Et quand vous êtes chez elle vous faites ce qu'elle vous dit. Mais chez nous, juste nous trois, moi je trouve qu'il n'y a pas besoin de se compliquer la vie. Si par hasard ça nous arrive de nous voir comme le Bon Dieu nous a faits, il n'y a pas de mal.
- Moi j'aime pas ! grogne encore Bruce.
- Personne t'oblige ! rétorque sa mère un peu sèchement. Si tu tiens à te cacher, tu te caches et si tu veux pas nous voir, ta sœur et moi, si ça nous arrive, tu n'as qu'à ne pas regarder, voilà tout. Mais je te le répète, il n'y a pas de mal.
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