dimanche 31 octobre 2010

l'héritage 8

Léa

Dans un café de la Part-Dieu, Fabienne s'installe seule à une table. Clément arrive en même temps que le garçon et en profite pour s'asseoir en face d'elle sans plus de cérémonie.

- Un café, s'il vous plaît ! commande-t-elle.

- Deux ! dit Clément.

Tandis que le garçon s'éloigne, ils se regardent un moment en silence, se souriant.

- Ça me…

- Ça me…

Ils ont commencé en même temps et s'arrêtent aussitôt en s'en apercevant.

- À toi ! dit Clément.

- Toujours galant, sourit Fabienne. J'allais te dire que ça me fait drôle de te voir dans cette tenue… conventionnelle.

- Ma tenue de travail ! Et encore, le costume trois pièces n'est plus de rigueur ! Moi j'allais te dire que ça me fait plaisir de te voir. Mais pour la tenue, j'en ai autant à ton service !

- Tenue de travail, moi aussi !

- C'est vrai que tu es prof, tu m'avais dit. Et moi je bosse dans le crayon, là, à côté. Je profite de la pause déjeuner, c'est pour ça que je t'ai proposé ici.

- C'est vrai que tes journées sont bien pleines, avec tes mômes ! Les miennes aussi, tu sais, mais l'avantage avec l'enseignement c'est qu'une bonne moitié du travail se fait à la maison, quand les enfants sont couchés. Ça permet de prendre du temps dans la journée.

Clément sourit.

- Tu vois ! On parle déjà des enfants ! C'est significatif, non ?

- Le travail et les enfants ! C'est la vie, quoi ! Les vacances sont finies !

- Tu as raison : c'est la vie et je ne m'en plains pas. Les vacances… c'était les vacances !

Fabienne tousse, puis un silence s'installe pendant que le garçon revient avec les cafés, les pose sur la table et s'en retourne.

- Tu me parlais l'autre fois de ton fils et de son père ? dit Clément pour le rompre.

- Oui… Son père, c'est le Bon Dieu ! Et du coup même sa femme…

- C'est la Sainte Vierge ? plaisante Clément pour détendre l'atmosphère.

Fabienne pouffe complaisamment.

- Pas vraiment, non ! Plutôt Sainte Nitouche !

- Tu ne lui as pas pardonné, on dirait !

- Bof… C'était plutôt pour faire un mot ! Je t'ai déjà raconté, je crois ?

- En gros, oui !

- Non, moi, tu vois, je crois toujours en Dieu mais j'ai pris mes distances avec mon éducation catho et je ne m'en cache pas. J'ai gardé les références, mais je n'en fais pas une prison. Eux, par contre ! Pour l'Église ils vivent en état de péché, mais ça les gêne pas pour être du genre bigot. Ariane, elle a dû apprendre par cœur le manuel de la parfaite épouse chrétienne. Pas un mot plus haut que l'autre et à cheval sur la loi et l'ordre. Imagine-toi que, d'après Anaïs, elle a grondé sa fille parce que, pour aller faire pipi alors qu'elle était en train de se changer, elle avait traversé le couloir toute nue ! Quatre ans la gosse ! La mienne trouve qu'elle exagère. Elle, elle a tout compris : chez Ariane, on fait comme Ariane veut sans rien dire, et à la maison on discute avec Maman. Ça la gêne pas. Mais Bruce, lui, il approuve tout ce que fait leur belle-mère ! Je voudrais bien le décoincer mais…

- Question d'âge. J'imagine que pour lui il faut qu'il n'y ait qu'une seule vérité.

- Ça, je comprends, besoin de cohérence. Mais je pense que ça ne doit pas empêcher au moins la tolérance ! Sinon ça promet d'être dur ! Parce qu'il n'est tout de même pas question de s'aligner sur les exigences de Monsieur ! Moi ça me fait trop plaisir de voir Anaïs sans complexe, j'ai envie que ça dure ! Et Bruce, je crois pas que ce soit bon pour lui de voir son zizi comme un truc diabolique !

- Tu sais, il ne faut quand même pas exagérer ! Quand il le verra pousser, il se masturbera comme tout le monde !

- C'est drôle que ce soit toi qui dises ça ! Toi on t'avait peut-être pas culpabilisé…

- À vrai dire, non. Mais j'ai quand même eu ma poussée de pudeur vers… je ne sais plus, neuf dix ans peut-être, et jusqu'à la sortie de l'adolescence, quand les filles m'ont décomplexé.

- Mais lui ! Bien sûr qu'il se masturbera, mais avec un énorme sentiment de culpabilité… Je sais de quoi je parle, faut pas croire que ce soit tellement différent chez les filles ! Moi, je crois pas que ce soit sain, la culpabilité. Être pudique, c'est pas un mal, bien sûr, mais à ce point… Au fond ce qui m'inquiète c'est cette rigidité… Tout son père.

- Marrant ! observe Clément. C'est moi le naturiste et c'est toi la plus convaincue de l'urgence pour ton gamin de dépasser le tabou ! Tu as raison bien sûr ! Mais si tu le brusques, tu le braques.

- Évidemment. C'est ça le problème. J'espère un peu que son copain Régis aura une bonne influence sur lui. À ce que j'ai compris en bavardant avec sa mère, ils ne sont pas naturistes mais chez eux la nudité n'a pas l'air d'être un problème. En tout cas pas pour les enfants.

- Peut-être. Mais tu sais, ne te fais pas trop d'illusions, ça m'étonnerait qu'ils abordent le sujet parce que…

- Je vois ! Bruce n'en parlera pas le premier parce que c'est tabou et Régis n'en parlera pas non plus parce pour lui c'est pas un problème !

- Il faudrait sans doute qu'il le sache, pour qu'il s'habitue progressivement à l'idée que ça peut ne pas en être un pour des gens qu'il apprécie. Trouver la juste mesure aussi pour en parler : banaliser le sujet sans insister… La petite peut être ta complice, mais… C'est à double tranchant : dans sa tête, à lui, c'est pas elle qui va lui apprendre à vivre !...

Ils se taisent pendant quelques secondes, puis Clément reprend :

- Je réfléchis tout haut mais tu n'as pas besoin de moi pour ça !

Fabienne semble enfoncée dans ses pensées. Enfin elle lance, comme on se jette à l'eau :

- Et si tu venais à la maison, un dimanche, avec tes enfants ?

- Hou là ! À priori c'est pas mieux que le copain. Chez des textiles, ils restent habillés et ils n'en parlent pas ! Parce que d'accord, toi, ils t'ont rencontrée à La Sablière, mais chez toi c'est textile. Et les amener chez toi exprès pour en parler… Un peu lourd, non ?

- En préparant ça de loin et… Ou alors juste leur donner l'occasion de faire connaissance et puis… laisser venir !

- Là, on marche sur des œufs !... Faut prendre le temps d'y réfléchir…

Clément consulte sa montre.

- En attendant, moi il va falloir que j'y aille.

Il dépose quelques pièces sur la table et se lève. Elle se lève aussi. Ils sont debout, face à face, hésitants.

- On se fait la bise ? propose Fabienne.

Ils s'embrassent rapidement sur les joues, en copains.

- On s'écrit ! lance Fabienne à Clément qui s'éloigne.

***

Clément et ses enfants sont attablés devant leur petit-déjeuner.

- Bon, dit Clément, alors cet après-midi on va chez Papy et Mamie à Mâcon, on reste dormir et on rentre demain. OK ?

- OK, répondent les enfants.

- Mais en partant, on va passer par Caluire, prendre le café chez Fabienne. Vous vous rappelez de Fabienne ?

- Bien sûr ! dit Thibaud la mine fermée.

- Cache ta joie mon grand ! lance Clément. Ça te plaît pas ? À la Sablière vous aviez pourtant plutôt l'air de bien vous entendre, non ?

- Oui mais… dit Zoé, embarrassée.

- Tu vas pas te marier avec elle, dis ! lâche enfin Thibaud.

- Mais non, voyons ! répond Clément en riant. Qu'est-ce que vous êtes allés vous imaginer ! C'est une amie. Mais moi, avec vous ma vie est déjà bien pleine, mes chéris, ça me suffit. Et elle c'est pareil avec ses deux enfants.

- Elle a deux enfants ? s'étonne Zoé.

- Oui. Elle est divorcée et elle a deux enfants : un garçon de dix ans et une fille de six ans et demi. Et on a pensé que ce serait sympa que vous fassiez connaissance, alors elle nous invite à prendre le café. On va pas rester longtemps !

- Bon d'accord ! dit Thibaud sans enthousiasme.

- Maintenant il faut que je vous avertisse, reprend Clément. Vous l'avez vue à La Sablière mais c'était la première fois qu'elle y venait et ses enfants ne le savent pas. Donc, avec eux, vous pouvez en parler s'ils vous demandent mais ne dîtes pas que c'est naturiste. Vu ?

- Et on dit pas non plus qu'on est tout nus à la maison, c'est comme à l'école, quoi ! complète Zoé. On a l'habitude, t'en fais pas !

***

Sur leur portail, Fabienne et ses enfants font un signe de la main à la voiture de Clément qui démarre.

- Alors ? interroge Clément. Comment vous les trouvez ?

- J'aime bien Anaïs, dit Zoé. Elle est trop mignonne. Mais Bruce, je le trouve plutôt froid. En fait il montre ses jouets à Thibaud mais moi, il me calcule même pas !

- Je crois que tu l'intimides parce que t'es une fille, dit Thibaud, plaisantant à demi. T'as beau avoir que huit ans… Avec moi il se la joue un peu au grand mais pas trop. On s'entend plutôt bien. Il a des transformers supers !

- Et ça vous plairait de les revoir ?

- Oui, dit Thibaud sans trop de conviction.

- Anaïs, oui, dit Zoé.

Fabienne pose les mêmes questions à ses enfants.

- J'adore Zoé déclare Anaïs. Elle est super sympa. On s'entend vachement bien, comme si on avait le même âge.

- Thibaud, il est pas excité comme toi, enchaîne Bruce. Et il aime les transformers et les bionicles, comme moi. Les filles d'un côté les garçons de l'autre, ça va.

- Vous aimeriez qu'ils viennent déjeuner une autre fois ?

- Oui ! répond Anaïs sans hésiter.

- Pourquoi pas ? dit Bruce. Mais d'où tu les sors ?

- D'où je les sors ? Dis donc, ce n'est pas très joli comme expression !

- Excuse-moi, Maman, j'ai pas fait exprès. C'est juste que tu nous en avais jamais parlé alors comme ça tout d'un coup…

- N'en parlons plus. Rappelle-toi seulement que cette expression, normalement on l'emploie… quand on n'apprécie pas. Bon ! Vous voulez que je vous raconte ?

- Oui, disent les deux enfants.

- Bon. Pour faire court… J'ai rencontré Clément à Cagnes, où habite Tante Caro et comme il remontait à Lyon en moto… Moi faire la route en moto ça me faisait envie, alors…

- Oui ! s'exclame Bruce. Ça doit être trop génial !

- Je ne le dirais pas comme ça mais… C'est ça. Seulement, comme il faisait un crochet par la Sablière pour voir ses enfants qui y étaient en vacances, forcément, j'y ai passé quelques heures avec eux. Leurs parents étaient séparés et d'habitude ils vivaient avec leur mère, mais là ils étaient avec leurs grands parents, les parents de leur père. Et puis comme on est restés vaguement en relations, lui et moi, il m'a appris qu'à peine quelques jours plus tard leur mère est morte, après une opération pour une tumeur au cerveau. Et avant de mourir elle lui a demandé de s'occuper des enfants en changeant le moins possible leurs habitudes. Alors c'est lui qui est venu vivre avec eux dans l'appartement de leur mère. Et du coup lui et moi on parle de nos enfants, de leur éducation… Et on a pensé que ce serait bien que vous vous connaissiez.

- C'est drôle ! dit Bruce gravement. On dirait pas qu'ils viennent de perdre leur mère. Ils sont… normaux, quoi !

- Deux mois, c'est court, bien sûr, répond Fabienne, mais… Tu sais même quand on a eu un très gros chagrin, on ne peut pas passer sa vie à pleurer. Leur père fait tout pour que leur vie soit le moins possible bouleversée et… Ils continuent à vivre, quoi.

- C'est bien, approuve Bruce. Mais je trouve quand même qu'ils sont courageux.

- Oui, dit Anaïs, des larmes plein les yeux.

- Oui, dit Fabienne. J'avais bien aimé ces enfants à La Sablière parce qu'ils m'avaient paru… gentils, bien dans leur peau, équilibrés, quoi. Et je ne les trouve pas changés, malgré ce qui leur est arrivé.

- Et c'est où déjà, cette sablière ? demande Anaïs.

- Comment je peux t'expliquer pour que tu comprennes ? Quand on revient de chez Tante Caro, on sort de l'autoroute à peu près à la moitié du chemin, on traverse le Rhône et on roule dans les montagnes peut-être une demi-heure. Et c'est comme un très très grand camping, dans les bois. Pas des grands arbres, du maquis plutôt. On entre par en haut et tout en bas il y a une rivière pour se baigner, avec des rochers pour plonger. J'ai emporté leur publicité vous voulez voir ?

Fabienne va chercher le document dans son bureau, puis se rassoit dans le salon et l'ouvre sur ses genoux tandis que les enfants l'encadrent pour regarder les images qu'elle leur montre.

- C'est drôlement beau ! dit Anaïs.

- Mais ! s'exclame Bruce interloqué. Ils sont tout nus ! C'est dégoûtant !

- Je comprends que ça te surprenne, mon grand, explique Fabienne en souriant, mais regarde ! Dis moi franchement ! Tu vois quelque chose de dégoûtant ? Tu trouves qu'ils on l'air de faire des horreurs, ces gens ? Regarde les au bord de la rivière. C'est comme au lac de Miribel, ils sont là en famille pour profiter de la baignade. Simplement ils n'ont pas de maillots et je peux te dire que comme ils n'ont pas l'air de s'en apercevoir, au bout d'un moment on ne s'en aperçoit plus non plus.

- Beurk ! fait Bruce en s'éloignant vers sa chambre, décidé à ne pas en entendre davantage.

- Et Zoé et son frère aussi ils se baignaient tout nus ? demande Anaïs.

- Oui ma chérie, comme tout le monde, puisqu'ils étaient là en vacances.

- Et toi aussi tu t'es baignée avec eux ?

- Oui ma chérie.

- Toute nue ?

- Ben oui ! Sinon ça n'aurait pas été poli !

Anaïs prend un moment pour y réfléchir.

- Tu crois qu'on pourrait y aller l'été prochain ?

- Avec ton frère ?

- C'est vrai !... Il est chiant !

- Anaïs ! Tu sais que je n'aime pas les gros mots !

- Non mais c'est vrai ! Il en fait des histoires avec son robinet ! Et même, rien que s'il me voit toute nue ! L'autre soir il râlait parce qu'il m'a vue traverser le couloir, après ma douche ! Parce que j'avais encore oublié de prendre ma chemise de nuit. Tu m'as dit que je pouvais ! Il a qu'à pas me regarder !

***

Fin d'après-midi dans l'appartement de Clément. Le téléphone sonne dans le salon. Léa, occupée à la cuisine, s'essuie les mains en criant : « J'y vais ! »

Dans la chambre des enfants, Thibaud a levé le nez de sa BD et Zoé, qui s'apprêtait à passer une tunique à David a interrompu son geste. On entend la voix de Léa mais, comme on ne peut pas distinguer ce qu'elle dit, les enfants reprennent leur activité jusqu'au moment où Léa les rejoint.

- Les enfants, on reste là ce soir, David et moi.

- Ouais ! jubilent Thibaud et Zoé.

Puis Thibaud s'inquiète :

- C'est Papa qui a téléphoné ? Il a un problème ?

- Pas lui. Mais votre grand père a eu un malaise. Ce n'est pas grave, on le soigne et tout va bien, mais votre papa préfère aller tenir compagnie à votre mamie pour cette nuit et il m'a demandé de rester.

- Il va pas mourir Papy ? s'inquiète Zoé.

- Mais non ma chérie. Ton papa a dit que la crise est passée et que ça va aller. C'est seulement que votre mamie a eu une grosse émotion.

- Pauvre Mamie ! Et pauvre Papy ! dit Zoé.

- Bon ! Comment on fait nous ? Vous vous rhabillez et vous m'accompagnez chez moi que je prenne mes affaires de nuit ? Je peux pas vous laisser seuls !

- Boh ! grogne Thibaud. Tu as vraiment besoin ? Tu peux pas faire comme l'autre fois ?

- On n'a pas envie de se rhabiller ! confirme Zoé. T'as pas bien dormi toute nue, l'autre nuit ?

- Si ! admet Léa. En fait, si ! C'est seulement que j'ai pas l'habitude, mais… Bon d'accord, on n'y va pas.

- T'es super hyper géniale ! s'enthousiasme Thibaud en se jetant à son cou.

- On fera comme l'autre fois ? demande Zoé. Tu dors dans notre chambre et nous trois on dort dans le canapé-lit du salon ?

- Si vous voulez mes chéris.

- On va faire notre bain maintenant, avec Zoé, dit Thibaud. Et David aussi si il veut. À moins que tu préfères faire le tien avant ?

- Non ! Votre père ne me paye pas pour que je me prélasse dans un bain en vous laissant sans surveillance !

- T'aurais qu'à faire comme Maman, explique Zoé. Elle laissait la porte ouverte pour entendre si tout allait bien.

- Mais peut-être que ça gênerait Léa de laisser la porte ouverte, Zoé ! objecte Thibaud.

- Ah oui, c'est vrai !

- Je prendrai un bain bien tranquillement quand vous dormirez, tous les trois ! décide Léa. Comme ça je pourrai quand même laisser la porte ouverte pour écouter si tout va bien.

***

Léa, cheveux nattés et enroulée dans une serviette traverse le couloir pour aller dans la chambre allumer la veilleuse qui éclaire le lit du bas. Puis elle se dirige vers la porte vitrée du salon pour s'assurer que les enfants semblent dormir : la lumière est éteinte et l'on n'entend aucun bruit. Elle revient dans la salle de bain, étend la serviette sur le séchoir, rince la baignoire, puis reprend les vêtements qu'elle avait accrochés à la patère, derrière la porte ouverte, éteint la lumière et regagne la chambre en les tenant simplement à la main.

***

La lumière s'allume dans le couloir. Zoé, ensommeillée, se dirige vers la chambre où l'on peut apercevoir Léa endormie.

- Léa ! David a mal au ventre !

Léa se redresse sur ses coudes, mal réveillée.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

Mais à ce moment Thibaud arrive à son tour, tenant par la main David qui pleure doucement. Cette fois Léa est tout à fait réveillée. Sans se lever elle interroge, appuyée sur un coude, couverte encore par la couette :

- Qu'est-ce qu'il y a mon bébé ?

David s'approche. Mais avant qu'il atteigne le lit un spasme violent le secoue et il vomit par terre.

Tandis que le petit, effrayé, pleure plus fort, Léa se précipite vers lui sans plus se préoccuper du fait qu'elle est nue. Elle l'emporte vers les toilettes en le rassurant :

- C'est pas grave, mon bébé. On va un peu rester là tous les deux si tu as encore besoin de vomir. N'aies pas peur, Maman est là !

- C'est la gastro, diagnostique Zoé, depuis le couloir.

Sans lâcher David, Léa, à genoux devant la cuvette, se retourne.

- Mon Dieu ! Et moi qui suis toute nue !

Thibaud la rassure :

- Ah c'est vrai ! J'avais même pas remarqué ! Tu sais, nous on était habitués avec Maman, alors…

- Ben oui, renchérit Zoé. C'est normal, t'en fais pas pour ça ! David, c'est sûrement la gastro, il paraît qu'il y a une épidémie. Et quand Thibaud l'a eue, l'année dernière, ça lui a pris comme ça. Tu peux aller te recoucher Thibaud. Moi je vais aider Léa à nettoyer et puis je la laisserai avec David.

Les deux enfants disparaissent, tandis qu'une nouvelle nausée de David occupe l'attention de Léa. Puis Zoé revient portant la poubelle de la cuisine et un rouleau de papier essuie-tout, dont elle prélève une quantité suffisante pour absorber le vomi. Tranquillement, elle essuie et jette dans la poubelle jusqu'à ce que rien n'apparaisse plus sur le sol de la chambre. Depuis les toilettes, juste en face, Léa, tenant toujours David contre elle, l'a regardée faire, étonnée.

- Qu'est-ce que tu es gentille, ma puce ! Ça te dégoûte pas trop ?

- Bof ! Tu sais, l'année dernière, quand Thibaud a eu ça, j'ai aidé Maman pareil, alors… Maintenant méfie-toi ! Il va sûrement avoir la diarrhée ! Attends, je vais faire ce qu'il faut.

Toujours aussi tranquillement, après s'être lavé les mains au lavabo, Zoé va chercher des sachets poubelles qu'elle dispose de façon à former une alèze, puis un grand drap de plage en tissu éponge, qu'elle étend par-dessus.

- Voilà ! C'est comme ça que Maman avait fait. Parce que tu sais, c'est pas de sa faute mais la diarrhée, ça peut venir tout d'un coup, comme quand il a vomi la première fois !

Toujours à genoux dans les toilettes, son fils contre elle, dont elle caresse les cheveux et qui se calme progressivement, Léa l'a regardée faire, incrédule.

- Tu sais que tu es une drôle de petite bonne femme, toi ? Une merveille de petite bonne femme !

Zoé ne répond pas mais elle devient toute rose. Puis elle reprend :

- Je crois qu'il reste des médicaments de Thibaud, dans la pharmacie. Ça marcherait peut-être pour David !

- Oui ? Je vais quand même appeler un docteur parce que je ne saurais pas ce qu'il faut lui donner. Allez, va te recoucher ma chérie. Et tâchez de dormir, ne vous dérangez pas quand il viendra.

- Attends, je vais t'apporter le téléphone. Tu connais le numéro ?

- Oui.

Zoé revient avec l'appareil et, avant de retourner se coucher lance une dernière recommandation.

- Tu sais, pour quand le docteur viendra, si tu veux tu peux remettre le jogging de Papa, comme l'autre fois ! Tu veux que j'aille te le chercher ?

Et sans attendre de réponse, elle se dirige vers la chambre de son père, d'où elle ressort aussitôt apportant le vêtement.

- Tiens, je te le mets dans la chambre ! Maintenant je vais me recoucher.

- C'est vrai que je suis encore toute nue ! constate Léa à haute voix. Ma parole, avec toi, tu m'étonnes tellement que j'oublie ! J'aurais pas cru ça possible !

***

Léa en jogging retroussé, Thibaud et Zoé prennent leur petit déjeuner à la cuisine.

- Je trouve que tu es marrante avec ce jogging, dit Zoé, la bouche pleine. Mais tu sais, c'était pour le docteur, avec nous t'es pas obligée !

Léa sourit.

- Comme ça, au lever, ça va plus vite et c'est plus confortable que m'habiller tout de suite normalement. Et puis si je m'habille et que David me vomisse encore dessus, ou pire, comment je fais après ?

- Non mais je voulais dire que tu pourrais peut-être rien mettre du tout, comme cette nuit, comme ça, ça risquerait rien. Tu serais pas plus à l'aise ?

- Pas vraiment ma chérie ! Cette nuit d'abord j'étais pas bien réveillée et j'ai pensé qu'à m'occuper de David. Et je sais pas ce qui s'est passé. Peut-être que si votre père avait été là je l'aurais pas fait mais… C'est sans doute parce que vous, vous étiez tout nus aussi, comme d'habitude. En fait quand je m'en suis rendu compte, comme ça faisait déjà un moment j'ai trouvé que j'aurais eu l'air bête de tout d'un coup vouloir me cacher, alors que vous faisiez même pas attention, ça c'était clair ! Mais quand même j'ai pas été habituée comme ça, alors… Là, franchement, je crois c'est vrai que si vous me voyez toute nue à la salle de bain ou en train de m'habiller, je crois que maintenant ça va plus me gêner, pas plus qu'avec David. Mais rester tout le temps, quand même…

- C'est vrai que toi, t'es pas habituée. Mais nous c'est le contraire : nous et nos parents tout nus tout le temps, pour nous c'est normal. Alors on le sait bien, que la plupart des gens ça les gênerait mais, si on y pense pas exprès, on se rend pas vraiment compte… dit Thibaud.

- Surtout que toi, c'est comme si tu étais de la famille, renchérit Zoé.

- Tu es gentille ma puce ! Vous deux, au début ça m'a surprise mais maintenant je trouve que votre Maman a bien fait de vous habituer comme ça. Moi, quand j'avais votre âge, j'étais pas à l'aise comme vous. C'est pour ça que j'ai permis à David de faire comme vous. Pour qu'il soit à l'aise, comme vous…

- Tu as un frère, toi aussi ? demande Zoé.

- Elle nous l'a dit, l'autre fois, qu'elle avait des frères, tu te rappelles pas ? Et il y en a un, c'est le mari de la directrice !

- Oui, dit Léa. Lui c'est mon grand frère. Il était déjà grand quand j'étais petite, c'est pas pareil. Mais j'ai aussi un petit frère, qui a un peu plus d'un an de moins que moi…

- Et tu t'entendais bien avec lui ? questionne Thibaud.

- Oh oui ! Très bien, mais…

- Mais ? interroge Thibaud.

Léa hésite.

- Je ne sais pas si je devrais vous dire ça, je l'ai jamais raconté à personne mais… C'est pour que vous compreniez la différence. Nous, avec mon petit frère, on prenait jamais notre bain ensemble. Nos parents auraient pas voulu, d'ailleurs on n'y pensait même pas. Mais quand il était pas encore propre, des fois on le changeait devant moi et… je regardais son petit zizi, forcément : moi j'en avais pas alors ça m'intriguait. Après on a plus eu besoin de le changer donc je le voyais plus mais ça continuait à m'intriguer, son robinet, mais…

- Tes parents t'avaient pas expliqué ?

- Ben non ! Et moi j'aurais jamais osé demander : on parlait pas de ces trucs-là à la maison. Et lui, il se demandait pourquoi je faisais pas pipi debout comme lui, il m'a dit après. Alors un jour, quand on avait peut-être cinq et six ans, par là, je l'ai emmené avec moi dans le grenier et on s'est déculottés tous les deux, pour se montrer… On a bien regardé tout comment on était faits. C'est tout. Mais après j'ai eu honte ! Ça me fait encore rougir quand j'y pense !

- C'était pas grave ! dit Zoé.

- Non. Mais nous, on croyait que ça l'était, tu comprends ? Dans la salle de bain il n'y avait pas de glace pour se voir en entier. Seulement une au-dessus du lavabo. Nos parents trouvaient que c'était pas bien de se regarder, même toute seule ! Tandis que vous, vous avez jamais eu ce problème ! Vous vous voyez tout nus tout le temps, vous faites pas plus attention au zizi ou à la zézette qu'au reste, ça se voit, et je trouve que c'est drôlement bien. J'ai regardé le film aussi, le paradis perdu, et je trouve que c'est juste, ce qu'ils disent. Seulement quand même, moi, rester toute nue avec vous ici ça me ferait drôle.

- Je comprends, dit Thibaud. Des naturistes qu'on rencontre au club ou en vacances, je sais qu'il y en a beaucoup qui aiment bien être nus dehors, pour se baigner, tout ça, mais pas en appartement.

- Ben : Clara et ses parents ! Même Mamie et Papy, intervient Zoé. Ils nous emmènent à La Sablière mais ici ou chez eux ils préfèrent être habillés. Peut-être il faudrait que tu viennes avec nous au lac de Miribel, quand il refera chaud. Là où on fait comme on veut, tu pourrais te rendre compte !

- Ça, c'est pas pour tout de suite, conclut Léa, au moment où le téléphone sonne.

Elle décroche.

- Allo !… Bonjour ! Oui je mets le haut-parleur.

- C'est Papa ? demande Thibaud

Léa fait oui de la tête et les enfants s'installent près de l'appareil. On entend la voix de Clément.

- Bonjour mes chéris. Papy va mieux et Mamie est rassurée. Je vais revenir. Je serai là en fin de matinée. Tout va bien ?

- Léa et nous ça va très bien, répond Zoé. Mais David a la gastro.

- La gastro ? Oh mon Dieu ! Vous avez dû passer une drôle de nuit, Léa ! Comment ça va ?

- Ça va, répond Léa. Le docteur est passé. Je me suis permis de lui montrer les médicaments qui restaient de quand Thibaud l'avait eue, c'est Zoé qui me l'avait dit. En adaptant les doses ça va. Ça fait que pour la pharmacie, ce n'est pas urgent. Pour l'instant il dort et… il ne se passe plus rien. Il avait réveillé les enfants et ils m'ont bien aidée, surtout Zoé ! Elle a été formidable, vous savez ! Je vous raconterai !

- On te racontera, confirme Zoé.

- C'est ça ma chérie. Je suis fier de toi tu sais ! Allez ! Plein de bisous ! À tout à l'heure.

- Fais des bisous à Papy et Mamie pour nous, répond Thibaud.

- Et moi ?

- Toi on te les fera tout à l'heure !

- J'espère bien !

Clément a raccroché et Léa en fait autant.

- Vous lui direz pas que j'étais toute nue cette nuit ! recommande-t-elle aux enfants.

- Pourquoi ? s'étonne Zoé. Ça prouve que tu es vraiment bien avec nous, ça lui ferait plaisir ! Moi ça me fait plaisir.

- Ben oui, moi aussi, dit Thibaud. Mais avec Papa c'est pas pareil ! Elle peut pas être comme avec nous, alors ça la gênerait d'en parler !

- Ah bon ! conclut Zoé, l'air pas convaincu. Alors on le dira pas.

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