lundi 1 novembre 2010

l'héritage 9

Anaïs

Chez Fabienne, elle et Clément prennent le café au salon tandis que les quatre enfants sont sortis dans le jardin.

- Vous avez de la chance d'avoir une piscine ! dit Thibaud.

- Ben oui mais là, c'est plus la saison de se baigner !

- Bien sûr ! dit Zoé. Et au printemps vous commencez quand ?

- Ça dépend, dit Bruce. Mai, juin. Même des fois en avril quand il fait beau mais là c'est juste un moment pour dire. On se trempe et on ressort parce que ça caille !

- Maman nous a dit qu'à La Sablière, où elle vous a vus la première fois, vous vous baignez tout nus dit Anaïs.

- Ben oui ! dit Zoé. Puisqu'on est tout nus tout le temps !

Bruce sursaute :

- Tout nus tout le temps ! Et c'est tout le monde ?

- Ben oui ! Ceux à qui ça plaît pas ils vont ailleurs ! répond tout naturellement Thibaud.

- Mais comment vous faites ? Vous avez pas honte ?

- Ben non ! Pourquoi ? On sait bien qu'il y en a qui auraient honte qu'on les voie tout nus, ça les regarde ! Mais nous, non, parce que notre maman nous a habitués comme ça. Le zizi ou la zézette, ça fait partie de notre corps, pourquoi on devrait les cacher ?

- Mais ! explose Bruce.

Puis il se reprend et explique d'un ton qui s'efforce d'être docte :

- Mais parce que ça se fait pas de les montrer ! À l'école, tu vas pas te mettre tout nu devant tout le monde !

- Bien sûr que non ! dit Zoé. On fait comme les autres ! Toi tu te mettrais pas non plus en caleçon au milieu de ta classe !

- Non, d'accord, mais même… Par exemple quand on va à la piscine : vous, vous vous baigneriez sans maillot ?

- Ça dépend, explique Thibaud. Si tout le monde était tout nu, oui. Mais comme tout le monde est en maillot on fait comme tout le monde. Et à la Sablière aussi on fait comme tout le monde puisque là-bas tout le monde est tout nu.

- Et il y en a beaucoup, du monde ? demande Anaïs.

- Ben oui, plein ! Et il y a beaucoup d'autres endroits aussi. Même ici à Miribel, il y a un club, et il y a aussi une plage où c'est permis et on fait comme on veut.

Bruce secoue la tête, incrédule.

- Alors vous seriez capables de vous mettre tout nus, là, maintenant ?

- Non ! T'as rien compris ! proteste Zoé. Chez nous, d'accord, on a l'habitude de rester tout nus, mais ici, on voit bien que vous, vous avez pas l'habitude, alors on va pas le faire ! Ce serait comme si on faisait exprès de vous montrer nos… le zizi de Thibaud et ma zézette ! Et ça, c'est pas bien.

- Ben oui ! approuve Anaïs. C'est comme Maman m'a dit la fois où je t'ai montré la mienne pour te faire enrager : si tu la vois ça fait rien, mais la montrer exprès c'est pas bien.

- Bon, après tout ça me regarde pas ! conclut-il. On parle d'autre chose ? Tu viens, Thibaud, on va jouer avec mes Legos dans ma chambre ?

- D'accord ! D'ailleurs faut qu'on rentre, je crois qu'il commence à pleuvoir.

- On va dans ma chambre, Zoé ? propose Anaïs.

Les enfants traversent le salon, où les parents sont en train de bavarder, puis se séparent, garçons d'un côté, filles de l'autre.

- Dis, reprend Anaïs en fermant la porte, je sais pas si j'ai bien compris : t'as dit que chez vous aussi vous restez tout nus ?

- Oui.

- Avec Maman, une fois, quand Bruce était pas là, on s'est baignées toutes nues dans notre piscine et après on est restées toute la journée. Moi j'aime bien. Si tu veux on peut, toutes les deux.

- Tu es mignonne Anaïs. Mais… Tu sais, d'accord, Thibaud et moi on a l'habitude mais ici… Quand ta maman nous appellera pour goûter, on va pas y aller toutes nues !

- Ben… non !

- Tu vois bien ! Se mettre toutes nues là, pour jouer enfermées dans ta chambre et vite se rhabiller pour en sortir, comme si c'était en cachette, c'est pas vraiment naturel, moi je trouve. Chez nous, à part s'il y a des visites, c'est-à-dire presque jamais, on n'a pas besoin de se rhabiller, c'est pas pareil, tu comprends ?

- C'est vrai. Si t'as pas envie…

Un temps se passe, pendant lequel les deux filles jouent avec les poupées Barbie d'Anaïs tandis que les garçons jouent avec les jouets de Bruce et que les parents ont entamé une partie d'échecs. Puis Anaïs propose :

- Et si on leur donnait leur bain ?

- Si tu veux.

- On va à la salle de bain. On va demander à Maman si on peut.

Elle court au salon, Zoé derrière elle.

- Maman ! On peut baigner les poupées à la salle de bain ?

- Bien sûr, ma chérie, mais tâchez quand même de ne pas l'inonder !

- Ça me rappelle quelque chose ! dit Clément en riant. Tu vois ce que je veux dire, Zoé ? Tâche de ne pas mouiller tes affaires ! On n'a pas de rechange et Fabienne ne pourrait rien pour toi : les affaires d'Anaïs seraient trop petites !

Il explique pour Fabienne :

- La dernière fois que sa copine Clara est venue, elles se sont si bien trempées en baignant les poupées qu'il a fallu lui prêter des affaires à Zoé pour rentrer chez elle !

- Ben nos affaires, propose Anaïs, on a qu'à les enlever ! Comme ça on les mouillera pas !

Fabienne et Clément se regardent.

- Pas bête ! dit Clément en riant.

- Faites comme vous voulez, dit Fabienne. Mais ne sortez pas toutes nues de la salle de bain. Pense à ton frère, Anaïs !

Les deux petites vont chercher les poupées puis gagnent la salle de bain dont Anaïs referme soigneusement la porte.

- Ça t'ennuie pas ? demande-t-elle en commençant à se déshabiller.

- Ben là, non ! Pour baigner les Barbies c'est vrai que c'est mieux ! Avec ma copine Clara… répond Zoé, qui poursuit tout en se déshabillant : pourtant elle va à La Sablière avec ses parents, mais eux, chez eux ils vivent pas tout nus, alors quand elle vient chez nous, pour qu'elle soit à l'aise on met nos joggings. Mais l'autre fois, en baignant les Barbies, on a commencé à faire les folles et on s'est retrouvées trempées. Quand il a vu ça, Papa nous a dit de nous changer, que je lui prête des affaires sèches. Mais en fait elle les a mises que pour partir, parce que quand on a enlevé les mouillées on n'a pas eu envie de se rhabiller tout de suite, même elle.

- Et Thibaud, alors ? demande Anaïs en remplissant le lavabo.

Zoé rit.

- Thibaud, il s'est trouvé tout bête d'être habillé quand il a vu qu'on restait toutes nues, alors il a fait comme nous.

- Devant ta copine ?

- Bien sûr voyons ! Comme à La Sablière !

Et c'est Zoé qui, soigneusement, ramasse les vêtements d'Anaïs en même temps que les siens pour les accrocher à bonne distance du lavabo.

- Moi j'aimerais bien y aller, à La Sablière, dit Anaïs, mais mon frère…

Les deux fillettes s'absorbent dans la toilette des poupées. Puis Anaïs reprend :

- Dis Zoé ! Bruce, souvent le mercredi il va chez son copain Régis. Je pourrais pas venir chez vous, une fois ?

- Ben… Pour Clara, Papa a dit « pas le mercredi » pour pas donner la responsabilité à Léa, alors elle vient le samedi.

- Et comment vous vous mettez ?

- En fait elle est pas encore revenue depuis la fois qu'on s'est mouillées. La prochaine fois… on fera comme elle décidera.

- Et si une fois Bruce va chez Régis un samedi, je pourrais venir chez vous ?

- Ben je crois, oui ! Sinon je peux peut-être en parler à Léa. Si c'est elle qui lui dit qu'elle est d'accord pour un mercredi, il dira pas non !

***

Zoé, Thibaud et David sont à table avec Léa.

- Il faudra vous habiller tout à l'heure, dit Léa, pour recevoir vos amies.

- De toutes façons, dit Thibaud, elles sonneront en bas, alors le temps qu'elles montent, pour mettre nos joggings ça suffit !

- Et même, dit Zoé, on n'a peut-être pas besoin de les mettre puisque Fabienne, elle est venue à La Sablière et Anaïs, elle aimerait bien, elle a dit. Et l'autre fois, pour donner le bain aux Barbies, on était toutes nues, elle et moi.

- Oui mais quand même ! Elles ont pas vraiment l'habitude ! objecte Thibaud.

- Écoute, insiste Zoé. C'est vrai qu'elles ont pas vraiment l'habitude, à cause de Bruce, mais elles savent que nous oui. Au fond c'est pareil que Clara.

- Pour Clara on s'était habillés.

- Oui, mais après on a fini tout nus. Et en plus, Anaïs, je crois bien que c'est pour pouvoir faire pareil qu'elle a eu envie de venir. Et sans Bruce ! Parce que s'il venait, lui, je dis pas, mais elles profitent qu'il est chez son copain. Alors moi je trouve qu'on peut rester comme d'habitude, et elles, elles feront comme elles voudront.

- Et ça te gênera pas, toi, d'être toute nue si elles restent habillées ?

- Fabienne, on a passé presque une journée ensemble, à La Sablière. Sinon, elle va sûrement faire comme Léa. Bon ! Ça te gêne toi, avec Léa ? Mais Anaïs, si sa mère lui permet, je suis sûre qu'elle fera comme nous. Tu paries ? Et si elle le fait pas et qu'on est gênés, on aura qu'à mettre nos joggings et voilà tout !

- Quand même ! De toutes façons, quand elle va arriver elle sera habillée, Anaïs alors moi…

- Ben tu fais comme tu veux et moi aussi.

Et David ? demande Léa.

- David ? On n'a qu'à le déguiser avec un pagne, comme ça il sera entre les deux !

Léa rit.

- Ah Zoé ! Quel phénomène tu fais ! Allez, d'accord, on va faire comme ça !

***

La porte de l'ascenseur se referme sur Fabienne et sa fille.

- Zoé a dit que d'habitude chez eux ils restaient tout nus, dit Anaïs .

- Je suis au courant ma puce.

- Tu crois qu'ils vont être tout nus, là ?

- Je ne sais pas. C'est comme ils le sentiront.

- Et s'ils sont tout nus, qu'est-ce que je fais, moi ?

- Eh bien toi aussi, tu feras comme tu le sentiras ! Ça te va ?

- Je peux ?

- Oui ma chérie.

***

- Viens voir notre chambre, Anaïs ! dit Zoé après bisous et présentations.

Dans le salon, Léa propose :

- Je vous sers un café ?

- Volontiers ! répond Fabienne. Mon Dieu quelle vue !

Elle s'est retournée pour suivre Léa du regard tandis que celle-ci se dirige vers la cuisine. Puis elle s'assoit dans le canapé, face à la baie vitrée pour profiter du panorama.

Arrivée dans la chambre, Anaïs regarde alternativement Zoé nue et Thibaud en jogging, hésitante.

- Tu fais comme tu veux, dit Zoé qui a suivi son regard. Moi j'ai décidé de rester comme j'ai l'habitude ici et Thibaud, il a dit qu'il ferait comme toi.

- Et moi je fais comme toi ! décide Anaïs, joignant sans plus attendre le geste à la parole.

- OK ! fait Thibaud en ôtant son jogging. Et à quoi vous voulez jouer les filles ? Parce que si c'est les poupées, moi je prends une BD !

- On choisit des déguisements et après on s'invente une histoire avec les personnages, propose Zoé. Comme ça David aussi joue avec nous. D'accord Anaïs ?

Tout en parlant elle a ouvert un coffre et elle commence à en sortir des costumes.

- Ouah ! Qu'est-ce que vous en avez ! s'écrie Anaïs, une robe à la main.

- Celle-là, elle est peut-être un peu trop grande pour toi, dit Zoé, mais il y en a de l'année dernière qui doivent t'aller. Ou alors un sari, tiens ! Si tu veux je t'apprends à le mettre. Normalement il faut un corsage avec mais… Thibaud a voulu le mettre et il l'a déchiré, alors, moi, depuis, j'en mets pas.

- Ça fait rien, dit Anaïs, prenant le sari. Comment tu le mets ?

Au salon, Léa a posé sur la table un plateau garni de deux tasses de café et d'un sucrier.

- Sans sucre pour moi, dit Fabienne en souriant. Je surveille ma ligne !

- Et ça vous réussit, dit Léa. Vous êtes mince ! Moi je devrais mais… je suis un peu gourmande !

- Franchement, ça ne se voit guère ! Vous êtes si jeune et si fraîche ! Mais vous savez, le café sans sucre, quand on s'y est faite on ne l'aime plus autrement !

- Ça doit être une question d'habitude !

- Simplement, oui. Et en parlant d'habitude. Vous n'avez pas eu trop de mal à vous faire à celles des enfants ?

- Vous voulez dire… qu'ils vivent nus ? Ben non, finalement : vous voyez ! Il sont beaux comme tout et franchement… je dirais pas ça à n'importe qui parce que même moi, avant j'aurais pas cru, mais maintenant je trouve qu'il faut être vicieux pour y voir du mal. Surtout à leur âge !

- C'est aussi ce que j'ai découvert quand Clément m'a emmenée à La Sablière.

- Ils m'en ont parlé. Et maintenant que j'y ai réfléchi je trouve qu'ils ont raison mais moi, quand même, je ne sais pas si…

À ce moment, Anaïs apparaît sur la porte du salon.

- Maman ! Regarde !

Mais dans le mouvement qu'elle fait pour se faire admirer, elle accroche le sari au bec de cane et en un instant se retrouve nue.

- C'est superbe ! Mais il va falloir l'attacher un peu mieux, ma chérie ! dit Fabienne en souriant tandis que sa fille ramasse le vêtement et retourne vers la chambre en appelant :

- Zoé ! C'est tombé ! Tu peux m'aider à le remettre ?

- Vous voyez ! Elle non plus ça ne lui pose pas de problème ! reprend Fabienne en reposant sa tasse vide. Il est bon votre café !... À franchement parler, moi, en appartement je ne trouve pas ça évident, mais si les enfants sont à l'aise, pour la mienne je suis trop contente qu'elle ne devienne pas coincée comme son frère. Sinon là-bas je n'ai pas vraiment eu de mal, vous verrez si un jour vous essayez. Remarquez si j'étais encore avec mon ex-mari, il n'en aurait jamais été question mais…

Elle sourit.

- …il faut bien que le célibat ait quelques avantages !

- Oui, approuve Léa. Moi, j'aurais bien voulu me marier avec le père du petit mais lui il n'en voulait pas, alors… Me débrouiller seule, ça me faisait un peu peur mais pas question d'avorter, je voulais le garder, moi, mon bébé. Et tout compte fait… Comme on dit « Il vaut mieux être seule que mal accompagnée.» Au moins je n'ai de comptes à rendre à personne. Et puis maintenant, travailler chez des gens comme ça ! J'ai de la chance : c'est comme être en famille !

- Clément me dit que les enfants vous adorent. Pour lui c'est l'essentiel. Il a l'air de beaucoup vous apprécier.

Léa rougit.

- Il ne vit que pour ses enfants ! Des hommes comme ça… Eux aussi ils l'adorent, c'est sûr ! Les pauvres ! Ils n'ont plus que lui ! Et ils sont tellement gentils ! Tous les deux, ils sont comme deux doigts de la main, et avec David, c'est comme si c'était leur petit frère !

- C'est plein d'amour, tout ça ! dit Fabienne avec un sourire qu'on pourrait croire ironique. Clément dit que c'est l'héritage de leur mère.

- Peut-être ! Je ne sais pas mais en tout cas…

La phrase reste en suspens et c'est Fabienne qui la reprend :

- En tout cas, moi, j'avoue que j'ai eu une sorte de coup de foudre pour eux et je crois bien qu'Anaïs c'est pareil…

***

Fabienne et Anaïs sont à nouveau dans l'ascenseur.

Alors, ma puce ! J'ai l'impression que tu t'es bien amusée !

- Oh oui ! C'était trop super extra génial ! J'aimerais bien revenir chez eux ! Zoé dit que je peux.

- Pourquoi pas ? On en reparlera, ma chérie.

- Dommage qu'on puisse pas faire pareil à la maison à cause de Bruce !

- Je suis d'accord. Mais il faut respecter son point de vue.

- Ça veut dire quoi ?

- Ça veut dire que puisque lui, il pense que ce n'est pas bien, avec lui il ne faut pas.

- C'est pas juste ! Pourquoi c'est moi qui dois faire comme il veut, pas lui ?

- Voyons, ma chérie ! Toi, d'accord, tu aimes bien être toute nue, mais ça ne te gêne pas d'être habillée, tu as l'habitude ! Tandis que lui, ça le gênerait que tu sois toute nue, même si on ne l'oblige pas à faire pareil.

- Bon d'accord ! admet Anaïs d'un ton boudeur. Mais quand je joue toute seule dans ma chambre ? Il vient jamais dans ma chambre !

Fabienne hésite.

- Écoute ma chérie… Bon, d'accord. Dans ta chambre, tu fais comme tu veux… Mais fais quand même attention de ne pas prendre froid et surtout n'en sors pas toute nue !

- D'accord Maman. C'est promis. Et pour cet après-midi, je lui dis ?

- Ma foi, s'il te questionne il ne faudra pas lui mentir mais s'il ne demande rien… Puisqu'on sait que ça ne lui plaît pas, ce n'est pas la peine de lui en parler.

- À Papa et à Ariane non plus alors ?

- Pareil : on ne ment pas. Il ne faut pas mentir et d'ailleurs tu n'as rien fait de mal. Mais tu n'as pas besoin d'en parler.

***

Fabienne et Clément bavardent dans leur habituel café de la Part-Dieu.

- Là, dit Fabienne, elle m'a prise de court, je ne m'attendais pas vraiment à ce que ça aille jusque là. Mais j'aurais dû ! Au fond c'est elle qui est cohérente. Moi, j'ai beau avoir décidé que banaliser la nudité c'était bon pour elle, je n'ai pas vraiment intégré que ça pouvait être tout simplement normal. Elle oui ! J'ai pensé que si je lui disais non elle comprendrait pas : comment le justifier ?

- Oui, comment ? réplique Clément, amusé.

- Et comme en fait ils ont chacun leur chambre… Quand ils jouent ensemble, c'est dans le jardin ou le salon, sinon leur chambre, c'est leur domaine privé. Bruce a pris l'habitude de fermer sa porte quand sa sœur était petite pour qu'elle ne vienne pas l'embêter, du coup elle a fait comme lui et chez moi, quand une porte est fermée on n'entre pas sans frapper, j'y tiens ! Je trouve que chacun a droit à son intimité.

- Oui, dit Clément. Les miens n'ont qu'une chambre pour deux, mais c'est vrai qu'avec seulement un an de différence, ils ont toujours tout partagé. Il faudra d'ailleurs qu'on trouve une solution quand ils seront un peu plus grands, parce que tu as raison, chacun son intimité, en grandissant, c'est quand même nécessaire… Même si on continue à vivre nus ensemble, parce que, contrairement à ce que semblent penser certains, l'intimité, ce n'est pas juste un autre nom pour le cul. Mais pour l'instant… Ne pas changer les habitudes, c'est le contrat.

Fabienne rit.

- J'aime bien ta formule ! Et tu as raison ! Mais à propos d'habitudes, Anaïs, en fait je ne sais pas si elle se met vraiment toute nue chaque fois qu'elle va jouer dans sa chambre, ça m'étonnerait quand même, mais ce soir-là quand je suis allée la mettre au lit, c'était le cas. Et en plus elle m'a demandé la permission de dormir comme ça. Et depuis… la chemise de nuit sert à tout ce qu'on veut sauf à dormir !

- Comme les miens. Tu sais que c'est ça, l'absence de pyjama, qui les a amenés à cracher le morceau à Léa ?

- Elle m'a raconté, oui ! Elle a l'air bien, cette fille ! On a bavardé, toutes les deux, et je dois dire…

Laissant sa phrase en suspens, Fabienne prend un air malicieux.

- Et en plus elle est jeune et jolie, ce qui ne gâte rien !

- Ça ne gâte jamais rien, reconnaît Clément, dont le sourire ne reflète en revanche aucune arrière-pensée. Ça ne faisait pas partie des conditions d'embauche mais, quoi qu'on dise, les enfants aussi y sont sensibles. Si elle avait été vieille et laide je ne suis pas sûr que ça aurait marché aussi facilement !

- Laide, c'est toujours un problème, encore que les enfants n'aient pas toujours les mêmes critères que nous. Mais vieille… Un côté mamie, tu crois que… ?

- Une mamie, oui, peut-être… Léa, c'est plutôt une grande sœur. Au fond, je crois que l'essentiel c'était : surtout pas une maman.

- « Une grande sœur » Tu m'avais déjà dit ça, je crois. C'est juste… admet Fabienne, rêveuse. Je n'y avais pas pensé mais c'est juste. On ne remplace pas une maman… Surtout quand elle est morte.

- Et surtout quand elle était aussi vivante… ajoute Clément, avec une sorte de ferveur.

Fabienne sourit.

- J'aime bien notre amitié, dit-elle, en lui prenant la main.

- Moi aussi répond Clément, lui rendant son sourire.

***

On doit être samedi ou dimanche. Clément lit un hebdomadaire, installé dans le canapé du salon. Derrière les baies, le panorama se limite aujourd'hui à un brouillard épais.

Les enfants le rejoignent.

- Dis, Papa, commence Thibaud, on se demandait, avec Zoé : comment on va faire pour les vacances de Noël.

- Bonne question ! répond Clément. Vous avez raison, il serait temps d'y penser. Noël, on ira le passer chez Papy et Mamie, je pense. Vous pourriez peut-être y passer les vacances ? Parce qu'ils ne peuvent pas fermer le magasin et depuis son infarctus, Mamie n'ose plus laisser Papy seul, donc, à part peut-être pour le Nouvel An, pas question que ce soit eux qui viennent ici.

- Oui, dit Thibaud, mais toutes les vacances chez eux… On a déjà passé celles de Toussaint et…

- On est bien chez eux, dit Zoé, mais il est petit leur appartement, et on peut pas emporter tous nos jouets alors toutes les vacances…

- Il faudrait qu'on en parle avec Léa. Si elle est disponible…

- Ça ce serait bien, dit Thibaud. Et on a pensé aussi, si elle peut venir plusieurs jours, ça serait pas mieux qu'elle dorme ici ?

- Déjà les mardis soirs, renchérit Zoé. Comme ça elle aurait pas besoin de se lever de bonne heure avec David pour être ici avant que tu partes, le mercredi !

- C'est vrai ! dit Clément. Mais je ne suis pas sûr que ça lui convienne. Vous en avez parlé avec elle ?

- Non, dit Thibaud. On a pensé ça tout à l'heure en parlant des vacances de Noël. Les deux fois qu'elle a dormi ici, c'était bien !

- À part la gastro de David, dit Zoé.

- Hé bien écoutez, conclut Clément, il faudra qu'on en parle avec elle. Mais si elle est d'accord, il faudra reprendre une formule plus normale pour dormir. Je pense qu'il doit y avoir encore à la cave un de vos anciens petits lits, que j'y avais rangés quand on a acheté vos lits superposés. Je pourrais le remonter dans votre chambre et c'est Léa qui dormirait dans ce canapé.

- C'est vrai qu'on dormirait mieux, reconnaît Thibaud.

- Bon ! Parlez en avec Léa : vous avez le temps alors que moi, je ne fais guère que la croiser. Et si elle est d'accord on verra comment on s'organise pour les vacances de Noël.

- Et pour les mercredis ? insiste Zoé.

- Pour les mercredis aussi.

Zoé se pend au cou de son père et lui fait un gros bisou.

- Merci P'pa ! dit Thibaud.

- C'est à elle qu'il faudra dire merci, si elle est d'accord !

***

Le repas du soir s'achève dans la salle à manger de Charles et Ariane.

- Bien, dit Ariane. Nous portons nos assiettes dans l'évier et puis on passe aux douches.

Comme en procession, tous les convives se dirigent vers la cuisine puis en ressortent pour revenir plier leurs serviettes.

- Lisa, tu vas te mettre en peignoir et m'attendre à la salle de bain, reprend Ariane, revenant à son tour débarrasser la table de ce qui y restait.

Puis elle continue pour son mari en montrant son ventre qui s'est nettement arrondi :

- Il serait temps qu'elle sache se laver toute seule ! Je commence à avoir du mal.

- Et elle ne sait pas ? répond Charles, qui semble découvrir le problème.

- En gros, elle commence, mais… elle en oublie ! Et pour le dos, elle n'a pas encore trouvé la solution !

- C'est embêtant, dit Charles en s'installant dans un canapé du salon, où un sapin pas encore garni annonce l'approche de Noël. Mais ça… La toilette de Lisa, ce n'est pas mon domaine.

- Je pourrais peut-être l'aider, moi, propose Anaïs.

- C'est gentil, ma grande, répond Ariane, mais tu en sortirais trempée !

- On n'a qu'à prendre notre douche ensemble !

Ariane hésite, interrogeant son mari du regard.

- C'est peut-être la solution, dit-il. Après tout à cet âge, deux petite sœurs…

- D'accord, conclut Ariane. Tu fais bien attention qu'elle savonne partout, tu l'aides pour son dos et vous tâchez de ne pas tout inonder. Allez, va la rejoindre !

- Je vais plutôt leur faire couler un bain, se ravise-t-elle. La douche à deux, je vois d'ici l'inondation !

La mousse commence à monter dans la baignoire quand les petites la rejoignent dans la salle de bain, vêtues de leurs peignoirs en éponge rose.

- Un bain ! trop bien ! s'exclame Anaïs.

- Très bien. Pas « trop », rectifie Ariane en souriant. J'ai pensé que ça vous éviterait d'éclabousser partout. Encore un peu…

Après avoir fermé la porte, les petites ôtent leurs peignoirs et les accrochent l'un sur l'autre à l'unique patère.

- Là, allez y ! reprend Ariane en fermant le robinet mélangeur. Et je veux bien qu'on joue dix minutes, mais n'exagérez pas. Dans dix minutes, vous ouvrez la vidange et vous vous rincez en tenant la douchette tout près pour ne pas éclabousser. Pendant que la baignoire finit de se vider, vous vous lavez les dents, puis vous rincez la baignoire.

- Et sans tremper vos peignoirs, si possible ! ajoute-t-elle en refermant la porte dans son dos.

- Facile, dit Anaïs à Lisa. Pour pas les tremper, on n'a qu'à les mettre que quand on aura tout fini !

Un moment plus tard, Ariane entrouvre la porte de la salle de bain, d'où l'on entendait sortir les rires des petites filles, puis la referme, apparemment rassurée.

- Ça a l'air de se passer bien, dit-elle à Charles en souriant.

- Dans la joie, en tout cas ajoute-t-il. Elles s'adorent ces petites. C'est bien, non ?

- Elles sont mignonnes, s'attendrit Ariane. Et Bruce est tellement raisonnable ! Je suis contente que ça se passe aussi bien avec tes enfants !

Elle s'allonge près de lui, la tête sur ses genoux avant de continuer :

- Les familles recomposées, ce n'est pas toujours comme ça ! Je dois reconnaître que leur mère se comporte bien à cet égard.

Ils se taisent, savourant ce moment de tendresse.

Ils sont encore dans cette position, Charles caressant doucement les cheveux d'Ariane, quand les deux fillettes reviennent, en peignoir, leur dire bonsoir.

- Bonsoir les filles ! dit Charles en les embrassant.

- Bouge pas, Maman ! dit Lisa.

Et pour Ariane, ce sont elles qui s'approchent pour faire un bisou.

- Bonsoir mes deux chéries, dit la jeune femme.

Elle tâte les peignoirs.

- Vous ne les avez pas mouillés, c'est bien. Mais quand même, la prochaine fois, mettez vous en chemise de nuit une fois sorties de la salle de bain. Je préfère. Allez ! Faites de beaux rêves.

Et tandis que les petites courent vers leur chambre, elle ajoute :

- La salle de bain, comment vous l'avez laissée ?

- On a tout rangé et on a essuyé là où c'était un peu mouillé, assure Anaïs.

- Alors dîtes à Bruce qu'il peut y aller quand il veut.

- Bruce ! Tu peux y aller, crie Anaïs dans le couloir.

Puis les deux petites entrent dans leur chambre dont elles referment la porte. Les deux lits d'enfants occupent un angle de la pièce, disposés perpendiculairement l'un à l'autre de part et d'autre d'un gros cube surmonté d'une lampe, tandis qu'un grand tapis en acrylique à longs poils blancs s'étale en son centre, assurant en même temps la fonction de descente de lit commune

- Regarde ! dit Anaïs.

Elle a déjà ôté son peignoir et elle exécute sur le tapis une superbe cabriole.

- À moi ! dit Lisa, qui s'efforce d'imiter sa demi-sœur mais roule sur le côté, ses pieds allant heurter bruyamment la commode, au-delà du tapis..

- Chut ! fait Anaïs en riant. Allez, il vaut mieux qu'on se couche ? Ta maman va nous gronder, si elle entend qu'on joue.

Lisa enfile prestement sa chemise de nuit et court s'enfouir sous sa couette en réclamant :

- Bisou !

Anaïs achève d'extraire sa tête de la chemise qu'elle est en train de passer pour l'embrasser, puis elle allume la lampe de chevet, va éteindre le plafonnier, gagne à son tour son petit lit et éteint enfin la lampe.

- Anaïs ! appelle Lisa à voix basse.

- Oui ?

- J'aime bien prendre le bain avec toi !

- Moi aussi.

- On le refera demain ?

- Oui, sûrement ! Je suis là pour la semaine, et puisque ça arrange ta maman…

- Et après, quand tu seras pas là, comment on va faire ?

- Je sais pas. Peut-être elle te laissera faire toute seule. Ou bien… Ya pas ta Mamie qui vient ?

- Oui, je crois.

- Puis tu vas bientôt savoir te débrouiller toute seule.

- Peut-être je saurais. Mais j'ai pas envie !

- Dis donc, tu es coquine, toi ! Allez, on dort. Demain matin, la première réveillée réveille l'autre. Comme ça on pourra jouer un peu dans la chambre en chemise de nuit, avant le petit déjeuner. Parce qu'après il faudra s'habiller. Moi je trouve qu'on est plus à l'aise en chemise de nuit. Tu trouves pas ?

- Je sais pas. Mais j'aime bien.

***

Le jour pointe à travers les volets de la chambre où dorment les petite filles. Lisa s'éveille la première. Elle se lève et va appeler à l'oreille d'Anaïs.

- Anaïs !

- Tu es déjà réveillée ! grogne celle-ci en ouvrant un œil.

- Tu m'as dit, hier soir !

- Oui, mais j'ai encore sommeil !

- Je peux venir dans ton lit ?

- Ya pas la place ! Regarde, déjà qu'il commence à être trop petit pour moi ! Papa a dit qu'on allait en acheter un autre.

- Ben viens dans le mien ! Ya de la place !

- Mais ils sont pareils, maligne ! Ya de la place quand tu es toute seule parce que tu es plus petite que moi, mais si j'y viens avec toi, ça sera pareil !

La mine de Lisa indique clairement qu'elle ne comprend pas et qu'elle est très dépitée.

- Allez, viens ! dit Anaïs en se serrant contre le mur. Mais tu bouges pas, on dort !

Elles ferment les yeux de toutes leurs forces, mais le sommeil les a quittées, et cinq minutes plus tard elles sont assises sur le tapis, dans la pénombre, occupées à coiffer des poupées.

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