mardi 2 novembre 2010

l'héritage 10

Hiver

Clément, vêtu d'un pardessus, traverse le vestibule sur la pointe des pieds, sort et referme avec précaution la porte derrière lui. Tout semble dormir dans l'appartement, mais quelques instants plus tard c'est David qui sort de la chambre des enfants et vient ouvrir la porte à vitres dépolies du salon pour rejoindre sa mère.

Celle-ci s'assoit dans le lit, tirant machinalement la couette sur ses seins nus et lui dit à voix basse :

- Ferme la porte et viens !

Le petit grimpe dans le lit et s'y glisse contre sa mère pour un câlin.

Un peu plus tard on entend un bruit de chasse d'eau.

Léa fait une bise à David puis se lève et va sans hâte enfiler une robe d'hôtesse en lainage à dominante prune avant de passer dans le vestibule, où elle rencontre Zoé.

- Elle est trop belle, ta robe ! dit celle-ci en l'embrassant.

- Merci. Et toi tu n'as pas froid comme ça ?

- Non ! J'ai l'habitude !

***

C'est un jeudi matin, à l'heure de la rentrée. Clément a garé sa voiture et, tandis que Thibaud et Zoé font une bise à Clara avant de s'éloigner avec elle, il échange quelques mots avec sa mère.

- Alors c'est oui pour demain soir ? demande-t-il.

- C'est oui. Mais j'ai deux choses à vous dire. D'abord que je suis décidément très contente de Thibaud. Bien sûr ça lui arrive d'être un peu dans la lune mais… Non, je suis très contente et je sais que ma collègue en dit autant de Zoé. Un peu plus remuante que son frère mais ce n'est encore rien à côté de la mienne ! Ensuite que, pour ce qui est de demain soir, je suis quand même un peu gênée. C'est toujours elle qui va chez vous, jamais le contraire !

- Il y a deux bonnes raisons à cela, si on considère ces enfants comme un trio. Parce que j'ai l'impression que Clara s'entend aussi bien avec Thibaud qu'avec Zoé.

- C'est vrai !

- Première raison : deux de plus chez vous, c'est plus de dérangement qu'une de plus chez nous. Deuxième raison, Thibaud vous aime beaucoup comme maîtresse, mais aller jouer chez sa maîtresse, ce n'est pas évident !

- C'est encore vrai. Donc…

- Un dernier point : vous savez que mes enfants sont habitués à vivre nus à la maison. Leur mère y tenait. Je sais que ce n'est pas le cas de votre fille, mais il me semble qu'à tous les trois ils ont l'air d'avoir trouvé un modus vivendi. Clara vous en a parlé ?

- Oui. Mon mari et moi, en appartement… disons que ça ne nous vient pas naturellement, disons… que nous n'en voyons pas l'intérêt. Mais ça ne nous pose pas non plus de problème. Alors, que les enfants s'arrangent entre eux, c'est parfait.

- En tout cas, moi, je ne suis pas nu quand elle est là.

- C'est délicat de votre part. Ceci dit, ça ne la traumatiserait pas !

- Je me doute. Mais pour tout vous dire, personnellement, je partagerais plutôt votre sensibilité. Si je suis nu quand je suis seul avec les enfants, c'est… disons l'héritage de leur mère ! Mais ils comprennent très bien que ce soit seulement avec eux.

- Ils sont très raisonnables. Clara les aime beaucoup mais elle est fille unique, elle. Nous l'avons peut-être un peu trop gâtée, couvée…

- Rassurez-vous, je ne m'en étais pas aperçu. Il est vrai qu'elle est… très vivante ! Mais pas du tout insupportable ! Au contraire !... Donc Léa pourra la prendre ici avec les miens demain soir ?

- Entendu ! Et nous passerons la récupérer chez vous samedi soir. Comme ça vous ferez la connaissance de mon mari ! À samedi donc !

***

Clara et Zoé entrent dans la chambre, enveloppées dans des serviettes de bain et prenant des poses très hollywoodiennes.

- On va dormir comment ? demande Clara.

- Papa a dit qu'il y a deux solutions, répond Zoé. Ou on dort toutes les deux dans le canapé du salon, ou on dort dans mon lit, chacune à un bout.

- Et comme ça ? propose Clara qui tombe par terre en faisant mine de vouloir se coucher dans le petit lit de David.

- Il est trop petit ! s'exclame Zoé en riant.

Lâchant la serviette qu'elle retenait jusque là, Clara se roule sur la moquette en riant aux éclats et le fou rire gagne bientôt Zoé, et Thibaud qui, du haut de son lit où il lisait une BD, assistait à la scène sans rien dire.

Puis Clara va se coucher dans le lit de Zoé en disant :

- On essaye ?

Lâchant à son tour sa serviette, Zoé s'allonge à l'autre bout.

- Ça va !... Si tu bouges pas trop !

Car du bout de son pied, Clara a entrepris de la chatouiller sous l'aisselle.

- Et dans le canapé ? On irait pas à trois ? propose-t-elle. On s'amuserait bien !

- Vous vous arrangez comme vous voulez ! déclare Thibaud. Mais moi je préfère dormir tout seul. Avec des agitées comme vous j'y arriverais pas !

- Les enfants, on mange dans cinq minutes ! annonce la voix de Clément, venant de la cuisine.

- On s'habille pour manger ? propose Thibaud.

- Comment tu préfères, Clara ? demande Zoé.

- On s'habille.

Tandis que Thibaud et Zoé enfilent leurs habituels joggings, Clara sort un pyjama de sa mallette.

- Tu dors en pyjama ? s'étonne Zoé.

- L'hiver, oui, d'habitude. Le soir je le mets tout de suite après ma douche, avant de manger. Et vous non, c'est vrai ! Bon. Déjà je le mets pour manger, et puis pour dormir… on verra.

- Moi j'ai pas envie d'en mettre, si ça t'ennuie pas, dit Zoé. Mais toi, tu fais comme tu veux !

***

Une fois de plus, Clément et Fabienne se retrouvent à la Part-Dieu.

- Tu vois, dit Clément, j'avais un peu peur que le naturisme isole les enfants, quand la saison ne se prête pas aux sorties, mais finalement… Ils s'entendent bien avec Anaïs, le week-end dernier nous avions Clara à la maison…

- Clara ? Attends ! J'ai déjà entendu ce nom-là.

- Une copine de classe de Zoé… Oui, c'est celle qui s'était si bien trempée en baignant les poupées qu'il avait fallu lui prêter des affaires de Zoé. En fait ses parents sont naturistes mais… des naturistes de plein air, comme la plupart. Une coïncidence : elles s'étaient déjà rencontrées sur les rochers de la Sablière et à la rentrée sa mère est nommée dans l'école des miens. C'est même la maîtresse de Thibaud. Donc le week-end dernier Clara était chez nous et figure-toi que, pour les vacances de février, sa mère invite mes enfants à passer une semaine avec elles deux à Villard-de-lans. Parce que le père, lui, c'est comme moi : il n'est pas en vacances. Ils sont ravis, tu penses ! En fait ça fait longtemps que Clara avait envie de les inviter chez elle, mais pour Thibaud, aller jouer chez sa maîtresse… Là, c'est pas pareil.

- Zoé pouvait pas y aller sans lui ?

- Pour l'instant, se séparer, je crois qu'ils n'y pensent même pas ! Et puis en fait, j'ai l'impression que ce n'était pas vraiment ce que Clara souhaitait parce que… elle aime beaucoup Thibaud aussi !

- Je crois qu'Anaïs aussi l'aime beaucoup, dit Fabienne en souriant. Et je la comprends mais… contre une grande comme Clara, elle n'a aucune chance !

- C'est vrai que Thibaud n'a pas non plus l'air insensible au charme de Clara. Faut dire que c'est une petite métisse très craquante et d'une vitalité ! Elle l'ensorcelle ! Et comme Zoé l'adore aussi… disons qu'elle est objectivement complice ! Comment résister ?

- Pauvre garçon naïf manipulé par les filles ! C'est cela, oui ! Quoique, à la réflexion… Mais dis donc ! Moi, mes enfants passeront une semaine chez leur père. Si c'était la même, on pourrait peut-être en profiter, toi et moi !

- Fabienne ! Tu crois que ce serait raisonnable ?

- Je voulais dire en copains ! Nous sommes devenus de vrais amis, je crois. Tu as raison, Clément : c'est précieux, il ne faudrait pas gâcher ça en… réchauffant de vieilles ardeurs ! Je sais bien que ça ne nous conduirait nulle part.

- Excuse-moi !

- Pas de mal !

Elle rit.

- Au fond, ça me fait trop plaisir que tu aies pu y penser pour que je t'en veuille d'avoir cru que c'était moi ! Oui ! Je ne suis pas sûre que ce soit très clair mais bon ! Voilà au moins un point définitivement éclairci. Non, je trouve qu'une sortie en copains, ce serait sympa. Mais en fait, pour ma semaine sans enfants, je crois que je vais aller faire un peu de ski, moi aussi. Qui sait ? Je ferai peut-être une rencontre intéressante !

***

- Viens voir ! dit Lisa en tirant Anaïs par la main.

Elles entrent dans la chambre, où l'un des lits d'enfant a été remplacé par deux lits superposés de dimensions classiques.

- Ça te plaît ? demande Ariane, qui les a suivies. Tu vois, comme le bébé qui va bientôt arriver est une fille, elle dormira dans le petit lit de Lisa.

- Et moi je dors dans le lit d'en bas et toi dans celui d'en haut parce que tu es plus grande, enchaîne la petite.

- Et tu vois, vous avez chacune une veilleuse collée au mur. C'est bien, non ? reprend Ariane.

- C'est top géant ! s'exclame Anaïs. Je peux monter ?

Et sans attendre la réponse, elle se déchausse et grimpe à l'échelle. À quatre pattes, elle explore son domaine.

- Tu vois, il y a une planche pour que tu ne risques pas de tomber en te retournant dans ton lit. Pour grimper, pas de problème, il faudra juste faire attention pour redescendre. On en avait un comme ça, ma sœur et moi. Au début je ne savais pas trop dans quel sens il fallait se mettre…

Mais Anaïs lui prouve aussitôt que la descente ne sera pas un problème pour elle.

***

- Mes enfants, annonce Fabienne en reposant le téléphone, votre petite sœur est arrivée.

- Et quand est-ce qu'on la verra ? demande Anaïs.

- Samedi prochain, je pense, répond Fabienne. Pas celui-ci, l'autre.

- On va pas chez Papa, celui-ci ? demande Bruce.

- Pour l'instant Ariane est à la clinique, où les enfants ne sont pas admis en visite. Alors votre papa préfère qu'on décale à la semaine prochaine.

- Celle des vacances ?

- Le premier week-end, oui. Ensuite c'est la deuxième semaine des vacances que vous passerez chez eux. Pour la première, il vaut mieux laisser Ariane souffler un peu.

***

- Il faut que je vous explique, mes enfants.

Bruce et Anaïs sont dans la voiture de leur père.

- Quand Coralie sera un tout petit peu plus grande, elle dormira dans l'ancien lit de Lisa. Mais pour l'instant elle est encore trop petite et surtout, il faut qu'elle tête au milieu de la nuit, alors elle réveillerait les filles.

- Ben oui ! approuve Anaïs.

- Mais je ne veux pas qu'elle dorme dans notre chambre non plus pour des raisons… d'hygiène.

- Alors ? dit Bruce qui sent venir une suite fâcheuse.

- Alors la seule solution - provisoirement ! Je dis bien : provisoirement ! – c'est de la mettre dans la chambre que tu n'occupes d'ailleurs qu'une fois tous les quinze jours. Et que donc, pour quelque temps, tu dormes avec les filles.

- Ben comment on va faire ? demande Anaïs.

- Quand vous êtes là, il dort en haut, tu dors en bas et Lisa dort dans son ancien lit.

- Elle va pas aimer ! dit Anaïs. Elle le sait ?

- Pas encore. Mais comment faire ?

***

- C'est plus mon lit maintenant, proteste Lisa. C'est celui de Coralie. Je veux pas dormir dans le lit de Coralie. Moi, je veux dormir dans mon lit.

- Enfin, ma puce, dit Charles, ce n'est tout de même pas Bruce qui va dormir dans ce petit lit ! Même pour Anaïs il est devenu trop petit !

- Ben elle a qu'à dormir avec moi !

- C'est une idée, ça, approuve Anaïs.

Charles réfléchit.

- … Tête-bêche… Oui… Peut-être…

- C'est quoi, « tête-bêche » ? demande Anaïs.

- Chacune à un bout, explique Bruce.

- Couche-toi comme d'habitude ! dit Anaïs à Lisa.

Puis elle s'allonge à son tour à l'autre bout du lit.

- Comme ça ?

- C'est ça, dit Charles. C'est vrai qu'étant donné vos tailles, vous ne devriez pas trop vous gêner. Ça vous va ?

- Oui ! disent à l'unisson les deux fillettes.

***

Les petites rentrent en peignoirs de bain dans la chambre en annonçant :

- On a fini notre bain et on a dit bonsoir. Tu peux y aller, Bruce !

- J'y vais !

Bruce, déjà en pyjama, descend du lit supérieur. Dès qu'il est sorti, les petites ôtent leurs peignoirs et font ensemble, sur le tapis, une cabriole à l'issue de laquelle elles se retrouvent plus ou moins enchevêtrées. Elles se relèvent en riant et enfilent leurs chemises de nuit, puis se font, toujours riant, un petit bisou sur le bout des lèvres et vont se coucher dans la position prévue. Aussitôt après, Anaïs se relève, grimpe sur le lit de Bruce pour allumer sa veilleuse, puis va éteindre le plafonnier avant de se recoucher.

Lisa éclate de rire.

- Tes pieds me chatouillent !

Anaïs rit.

- C'est quoi que je touche ?

- C'est mon ventre !

Toutes les deux rient de plus belle.

- Bon, j'arrête, promet Anaïs. On dort.

***

Le jour filtre à travers les persiennes.

- Tu dors ? chuchote Lisa.

- Non ! répond Anaïs aussi discrètement.

Toutes deux remontent sur leurs oreillers, dans une position mi assise mi couchée, chacune tirant bien son extrémité de la couette blanche à fleurs bleues pour se couvrir.

- C'est comme dans la baignoire ! dit Lisa.

Et c'est vrai que la couette figure assez bien la mousse du bain.

- Oui. Sauf que dans la baignoire on n'a pas de chemise de nuit, réplique Anaïs.

Aussitôt Lisa ôte la sienne, ce que voyant, Anaïs l'imite sans plus tarder. Les deux petites se regardent, ravies de leur jeu. Anaïs lance son doudou à Lisa, qui le lui renvoie aussitôt.

Mais à ce moment, Bruce descend de son lit. Il voit les filles dont les épaules nues émergent de la couette. Il grogne :

- Qu'est-ce que vous foutez, toute nues dans votre lit ?

- On n'est pas dans le lit, on est dans la baignoire ! rectifie Lisa.

Bruce voit rouge. Il hausse le ton :

- Ça va pas Anaïs ! Lisa elle se rend pas compte, mais toi, ça va pas de la faire jouer à se mettre toute nue ?

- Oh ! T'es malade ou quoi ? On fait rien de mal ! Et en plus ça te regarde pas !

Alertée par le bruit de la dispute, Ariane arrive, en peignoir, son bébé dans les bras.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? Ne réveillez pas votre père, pour une fois qu'il peut dormir !

Puis elle voit les filles.

- Eh bien ! Qu'est-ce que c'est que cette tenue ?

- On s'était réveillées toutes les deux pendant qu'il dormait, lui, explique Anaïs, et on jouait à faire semblant d'être dans la baignoire, c'est tout ! C'est lui qui fait un scandale pour rien !

Ariane paraît perplexe. Elle finit par répondre, sur un ton qui se veut à la fois ferme et apaisant :

- Bruce n'a pas tort mes chéries. Dans la baignoire il faut bien être toute nue pour se laver, mais dans un lit ce n'est pas convenable. Il est normal que ça le choque !

- Et qu'est-ce qu'il en sait si on est toutes nues ? On est sous la couette, il nous voit que le haut !

Bruce proteste :

- T'as pas dit le contraire tout à l'heure ! Puis je te connais ! Déjà un peu avant, mais maintenant, depuis que tu connais les Girard, tu penses qu'à te mettre toute nue !

Là, Ariane sursaute :

- Qu'est-ce que c'est que ces Girard ?

- C'est des amis de Maman et…, dit Anaïs.

- C'est des nudistes et…, dit Bruce.

Ils ont parlé en même temps. Ariane les coupe :

- Un à la fois, s'il vous plaît ! Je n'ai rien compris.

C'est Anaïs qui est la plus rapide.

- C'est des amis de Maman, et il y a Zoé qui a huit ans et Thibaud neuf, et leur maman est morte au mois d'août et ils sont très gentils et bien élevés et j'aime bien quand je vais jouer chez eux.

- Oui, admet Bruce. Mais chez eux ils vivent tout nus et ça c'est pas normal.

- C'est leur maman qui les a habitués, alors ils continuent comme elle leur a appris. C'est normal qu'ils continuent à lui obéir même qu'elle est morte, non ?

- Oui mais… reprend Bruce

- Bon ! tranche Ariane, qui se donne un moment de réflexion avant de continuer :

- Je ne peux pas dire le contraire, Anaïs, mais ça me paraît… bizarre ! Je demanderai à Papa de tirer tout ça au clair avec votre mère. En attendant, les filles, remettez-moi vite ces chemises de nuit. Dès que j'aurai fini avec Coralie je prépare le petit déjeuner. Et vous vous souvenez désormais que toutes nues, c'est seulement pour se laver. Vu ?

- Oui Maman !

- Oui Ariane !

***

- Fabienne ! Il faut qu'on parle sérieusement.

Charles vient de ramener les enfants chez leur mère et, contrairement à son habitude, il a garé sa voiture et il est entré avec eux.

- Brrr ! Tu m'inquiètes ! ironise Fabienne. Les enfants, allez jouer dans vos chambres, Papa a besoin de me parler sérieusement.

Anaïs et Bruce obéissent.

- Alors ?

- Écoute, Fabienne, ta vie privée ne regarde que toi …

- J'aime à te l'entendre dire !

- Mais je n'admettrai pas que tu mêles les enfants à tes conneries !

- Mes conneries ? Et on peut savoir de quoi tu parles ?

- Des nudistes que tu leur fais fréquenter !

- Ah c'est donc ça ! Et qu'est-ce que tu as contre ces… naturistes - je préfère - qui sont des gens parfaitement convenables ?

- Mais enfin Fabienne ! Qu'ils soient… mettons un peu tordus, entre adultes ça les regarde, mais faire vivre leurs enfants tout nus chez eux, c'est scandaleux ! Et tu les reçois ! Et Bruce heureusement a du bon sens, mais la petite est influencée ! Son frère dit qu'elle ne pense qu'à se mettre toute nue ! Et en plus elle entraîne Lisa à faire comme elle ! Ce matin Ariane les a trouvées toutes nues dans leur lit : elles faisaient comme dans la baignoire, il paraît. Tu te rends compte !

- En effet ! Deux petites demi-sœurs de leur âge toutes nues dans leur lit, quelle horreur ! Je rougis rien que d'y penser !... Non mais tu entends ce que tu dis ? C'est pas plutôt vous, ta femme et toi, qui avez l'esprit tordu pour y voir du mal ? Moi, qu'Anaïs accepte son corps tout entier tel qu'il est, sans s'imaginer qu'il y en a un petit bout dont il faudrait avoir honte, ça me rassure, si tu veux savoir. Et je regrette bien de n'avoir pas pensé assez tôt à apprendre ça à Bruce : si son zizi l'obnubile maintenant, qu'est-ce que ça va être à la puberté ! Les petits Girard, ils sont vachement bien ces gosses ! Bien dans leur peau, bien élevés, qu'est-ce que tu crois ? Ils savent très bien que tout le monde n'a pas les mêmes idées, et ils ne se mettent jamais tout nus en présence de gens comme vous ! Il les a vus tout nus Bruce ? Non ! Alors ? Il fait des histoires parce qu'Anaïs s'en fout qu'il la voie, elle, sa petite sœur, sept ans tout juste ! S'il y a quelqu'un qui a une mauvaise influence sur lui, c'est vous, toi et ta femme !

- Décidément, c'est encore plus grave que ce que je pensais ! Méfie-toi, Fabienne ! Je ne suis pas prêt à admettre que tu pervertisses nos enfants et si tu persistes je pourrais remettre en cause nos accords sur leur garde !

- Quoi ? Monsieur le bourge bien pensant plaque sa femme et ses enfants pour en faire un autre à une gamine aussi bien pensante que lui et ça se permet de me donner des leçons de morale ? À moi qui ai accepté de divorcer gentiment pour limiter les dégâts dans l'intérêt des enfants, justement ! Tout ça parce qu'ils devraient absolument cacher le cul que le Bon Dieu leur a donné ! Parce que quand tu lui as fait un enfant, à ton Ariane, vous vous l'êtes pas montré, votre cul ! Vous éteignez la lumière quand vous baisez ?

- Je t'en prie Fabienne, ne sois pas vulgaire !

- La vulgarité, mon vieux, elle n'est pas forcément là où tu penses ! Mais méfie-toi à ton tour ! Ne crois pas que je vais me laisser faire cette fois, si tu veux aller devant le JAF on ira ! Et en plus il me semble que tu t'avances beaucoup : tu crois qu'elle serait d'accord, ton Ariane, pour avoir quatre enfants à plein temps ? Allez, rengaine ton flingue ! Tartufe ! Et fais-moi confiance : Anaïs, elle ne risque rien avec les Girard. Et, en principe, elle le sait très bien que chez vous il faut planquer son cul. Ça a juste dû déraper un peu avec Lisa parce que ces temps-ci elles prennent leur bain ensemble, si j'ai bien compris : ça m'étonnait d'ailleurs, chez des culs-bénits comme vous.

Charles la regarde, étonné, impressionné.

- Tu sais que tu es belle, quand tu es en colère !

- Ah non ! Tu ne vas pas te mettre à me draguer en plus ! Après les menaces le charme ! Tu ne recules devant rien !

- Tu sais bien pourquoi on a divorcé ! Et je ne vais pas te raconter que je n'aime pas Ariane, mais tu sais bien que toi…

- Moi, je suis toujours ta femme devant Dieu et tu me baiserais volontiers, quoi ! Tu ne manques pas d'air !... Et au fond pourquoi pas, tiens ? Justement je suis un peu sevrée ces temps-ci. Cocufier Ariane ! Une revanche ! Là tout de suite, avec les enfants à côté, c'est pas vraiment le moment mais sinon… C'est vrai que t'étais plutôt un bon coup !

Il est difficile de dire si elle parle sérieusement ou si elle se moque. Charles paraît décontenancé.

- Bon ! Revenons à nos moutons ! reprend Fabienne. J'ai découvert le naturisme l'été dernier et je constate, avec ces petits Girard, que ça fait des enfants bien dans leur peau, tout simplement aussi à l'aise nus là où ça ne leur est pas interdit qu'habillés là où c'est obligatoire. Je constate qu'Anaïs ne demandait qu'à faire comme eux et j'aurais bien voulu pouvoir en dire autant de Bruce, mais lui…

Fabienne s'est calmée.

Charles se tait, impressionné par une combativité dont il n'aurait pas cru son ex-femme capable.

- Bruce, ça le met mal à l'aise ces histoires, en tout cas ! reprend-il enfin.

Puis, optant, tout compte fait, pour la conciliation, il ajoute :

- Sinon, bon, je reconnais que l'incident n'était pas si grave… C'est vrai que sur le… - naturisme, tu dis ? - tu es peut-être mieux informée que moi, il faudra que je me renseigne un peu mieux sur leurs théories.

- Je peux te passer de la doc, si tu veux. Écoute : moi je découvre, et j'ai peut-être pris le virage un peu vite pour lui. Veux-tu qu'on convienne de quelque chose ? On finit l'année scolaire comme ça. D'ici l'été prochain on verra bien comment ça évolue. J'ai toujours dit que si à un moment donné les enfants voulaient vivre avec toi je ne m'y opposerais pas. Je ne pensais pas que la question se poserait aussi tôt mais si Bruce est mal à l'aise avec Anaïs et moi, s'il préfère vivre avec toi et si Ariane est d'accord, pour la rentrée prochaine où de toutes façons il passera au collège, on pourra l'envisager.

- On pourra… acquiesce Charles, sans enthousiasme excessif. En attendant je vais rassurer Ariane, qui se demandait s'il ne faudrait pas… éviter trop de promiscuité entre les petites…

- Promiscuité ! Comme tu y vas !

- Oui, enfin, le mot est un peu gros mais… Je lui dirai que… Je le lui ai déjà dit d'ailleurs quand il a été question du bain : deux petites sœurs de leur âge toute nues ensemble, il n'y a pas de mal !

- Évidemment ! Tant qu'on ne va pas leur fourrer dans la tête qu'il pourrait y en avoir ! Quant à Bruce, tu peux me faire confiance : je vais tâcher de lui faire comprendre tout ça sans choquer sa sensibilité.

- Je te fais confiance. Il faudrait peut-être qu'on se parle un peu plus pour éviter les problèmes avec les enfants. Si tu veux bien…

- Tu m'appelles quand tu veux. Allez rentre chez toi maintenant. Bonsoir Charles !

- Bonsoir Fabienne !

Charles parti, Fabienne appelle :

- Les enfants, j'ai des choses à vous dire !

Bruce et Anaïs viennent docilement la rejoindre dans le salon, où elle s'est assise.

- Mes chéris, vous avez peut-être entendu que nous nous sommes disputés, votre père et moi, et vous vous doutez peut-être que c'est à propos de l'incident de ce matin. Alors je vais essayer de vous expliquer : nous nous sommes disputés parce que nous ne sommes pas d'accord sur ce qui est le meilleur pour vous. Et comme, évidemment, nous sommes tous les deux persuadés d'avoir raison et que c'est votre intérêt que nous pensons défendre, nous ne sommes pas prêts à changer d'avis.

Votre père et moi, nous avons tous les deux été habitués, quand nous étions enfants, à ne jamais rester tout nus. C'est pour cela que nous vous avons aussi habitués comme ça quand vous étiez petits. Mais quand même, tante Caro et moi, qui n'avons qu'un an de différence, on faisait notre toilette ensemble et on dormait dans la même chambre, ça fait que ça ne nous a jamais gênées de nous voir toutes nues. Et même, quand on avait à peu près l'âge d'Anaïs, quelquefois en cachette, pendant que nos parents dormaient, on jouait toutes nues dans notre chambre. Ça nous amusait justement parce qu'on pensait que c'était défendu !

Anaïs rit et Bruce lui-même sourit. Fabienne continue.

- Je le sais bien qu'on a toujours un peu envie de faire ce qui est défendu ! Mais quand même il faut réfléchir : la plupart du temps quand c'est défendu c'est parce que c'est dangereux. Mais là justement, je ne vois toujours pas où était le danger. D'ailleurs nos parents ne nous l'avaient pas vraiment défendu. Ils disaient juste que toutes nues c'était seulement dans la salle de bain.

- Comme Ariane ! remarque Anaïs.

- Voilà ! Ariane pense comme mes parents et votre père aussi. Mais moi, surtout depuis que j'ai vu comme les enfants étaient à l'aise à la Sablière, j'ai réfléchi. Je trouve qu'on n'est pas obligé non plus de faire comme Thibaud et Zoé, qui vivent tout nus chez eux, et que si quelqu'un n'a pas envie de se mettre tout nu c'est son droit, mais quand même… Je ne vois pas de vraie raison pour que ce soit un problème. Je veux dire qu'Anaïs et moi on peut très bien prendre un bain ensemble, de temps en temps, et qu'Anaïs peut très bien dormir ou jouer toute nue quand elle en a envie. Ça ne fait de mal ni à elle ni à personne. C'est très bien qu'elle sache, comme Thibaud et Zoé le savent d'ailleurs, qu'on ne se met pas nu n'importe où et avec n'importe qui, mais qu'il n'y a pas de mal à être nu là où ça ne gêne personne. Et toi, Bruce, je comprends bien que comme tu as dix ans et que tu as toujours été habitué à cacher ton zizi – on va peut-être dire ton sexe, c'est moins bébé ! – je comprends bien que tu n'as pas envie qu'on le voie. Mais je trouve que tu y attaches trop d'importance. Par exemple si tu es obligé d'être tout nu devant le docteur – quelquefois on ne peut pas faire autrement pour te soigner – tu vas en être malheureux comme tout, alors que ça n'en vaut pas la peine. J'ai l'impression que même quand tu es tout seul tu penses que ce n'est pas bien d'être tout nu. Je me trompe ?

- Non, avoue Bruce.

- Pourtant c'est comme ça que tu es en réalité : tu n'es pas né avec une culotte ! Alors moi, ce que je voudrais, c'est que tu sois à l'aise avec ton corps, pour que tu sois plus heureux. Je ne te demande pas de te montrer tout nu, mais au moins essaie de penser que toi, comme tu es vraiment puisque c'est comme ça que tu es né, c'est quand tu es tout nu. Et donc que quand tu es tout seul, si tu es tout nu c'est complètement normal. Disons qu'être tout nu ou avoir un caleçon, si tu es seul il n'y a pas de raison que ça fasse une différence. Tu me comprends ?

- Je comprends ce que tu dis, répond Bruce.

- Mais tu n'es pas convaincu ! Essaye quand même d'y penser. Juste arriver à te dire que c'est pas grave. Tu n'aimes pas, d'accord, mais ce n'est pas un problème grave. C'est tout.

- Je vais y penser Maman.

- Alors voilà. Pratiquement, pour l'instant on va dire qu'Anaïs fait comme elle veut quand elle est toute seule mais qu'elle se souvient que toi, tu n'aimes pas trop la voir toute nue, donc, Anaïs, tu t'arranges pour éviter. Et toi, Bruce, si par hasard ça arrive quand même, tu tournes la tête et tu n'en fais pas un drame. Et à part ça tu fais aussi comme tu veux, mais tu essaies de réfléchir comme tu m'as dit.

Elle hésite à conclure …

- Et puis d'ici cet été, si tu as l'impression que tu serais plus heureux chez ton père tu as le droit de le dire et on peut y réfléchir aussi. Voilà : c'est là-dessus qu'on a fini par se mettre d'accord, votre père et moi. Mais… d'ici là, on va essayer comme j'ai dit. D'accord ?

- D'accord, Maman répondent les deux enfants.

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