mercredi 3 novembre 2010

l'héritage 11

Régis

Montée de Choulans, Thibaud et Zoé, en tenue de ski, embarquent dans la Modus où les attendent Clara et sa mère.

- Je vous appelle ce soir sur votre portable pour vous donner des nouvelles. Profitez bien de votre liberté ! dit celle-ci, par la vitre ouverte, en souriant à Clément qui s'approche après avoir mis leur sac dans le coffre.

- Ça va me faire tout drôle ! Merci pour les enfants, Marilou ! Et bonne route !

- Au revoir Papa ! disent Thibaud et Zoé en lui envoyant des baisers, tandis que Marilou remonte sa vitre et démarre.

- Bon, dit-elle, bien sûr, à l'école il n'y a rien de changé, mais sinon à partir de maintenant, vous m'appelez Marilou et vous me tutoyez, d'accord ?

- D'accord, Marilou.

- Dis, Maman, comment on va dormir où on va ?

- On verra ça. C'est comme là où nous sommes allées l'année dernière : il y a deux petits lits et un grand. Je suppose que tu peux dormir avec moi dans le grand et tes amis dans les petits. Mais si vous avez envie de dormir ensemble, Zoé et toi, moi je peux aussi dormir dans un petit. On décidera ça ce soir, rien ne presse.

- Et dormir à trois dans le grand, on pourrait pas ?

- En laissant un lit vide ? Ça ne me paraît pas très raisonnable…

- Ben oui mais déjà pour la douche on va être obligés d'y aller chacun son tour parce que c'est tout petit, alors…

- Ça pour la douche… Mais entre la fermeture des pistes et l'heure de se coucher, vous allez avoir le temps de jouer ensemble, même si c'est beaucoup moins grand que chez nous, ou chez vous deux.

- Tu voudrais bien qu'on dorme à trois, toi, Thibaud ? L'autre fois, chez toi, t'as pas voulu !

- Écoute, ta maman t'a dit que ça ne lui paraît pas très raisonnable.

- T'es pas marrant ! S'il faut être raisonnable en vacances, maintenant !

- Ça te changerait ! dit Marilou en riant. Allez, j'ai dit qu'on déciderait ce soir, sur place, en présence des éléments du problème, d'accord ?

***

Fabienne est au téléphone.

- Trois jours d'un coup ? Non, je n'ai rien contre… Je suppose qu'ils ont dû combiner ça tous les deux… En fait ça tombe bien, tiens. En ce moment on a un petit problème avec Bruce, ça lui changera les idées !... Non, rien de grave ! Seulement des petits différends avec sa sœur et des petits ajustements à faire avec son père à ce sujet. Mais je sais qu'il adore aller chez vous, alors... D'accord pour demain matin mais ne vous dérangez pas, je vous l'amènerai ! Vers onze heures ça vous va ?... À demain, Chantal.

Puis elle enchaîne pour Bruce qui vient aux nouvelles, suivi d'Anaïs.

- C'est d'accord.

Bruce saute au cou de sa mère, puis repart vers sa chambre en chantonnant.

Anaïs tourne un moment autour de Fabienne avant de demander, en venant se frotter contre elle.

- Dis, Maman ! Puisque Bruce sera pas là, on pourrait pas inviter Zoé et Thibaud ?

- Eh non, ma chérie ! Cette semaine ils sont à la montagne avec une copine de Zoé et sa maman.

- Clara ?

- Oui. Tu la connais ?

- Non, mais Zoé m'en a parlé. Ils ont de la veine !

- Tu veux qu'on y aille à la montagne toutes les deux ?

- Oh oui ! Quand est-ce qu'on y va ?

- Peut-être après-demain : demain ça nous ferait partir trop tard. Et s'il fait beau parce que sans ça…

- Et on pourrait pas rester les deux jours ? On irait à l'hôtel et on dormirait ensemble toutes les deux. Pour une fois ! Quand j'étais petite, des fois tu me prenais avec toi dans ton lit. J'aimais bien !

- Pour une fois… On verra ça. Et puis… mets-toi un peu contre le mur, là !... Tu as grandi ces temps-ci, tu crois que tu vas rentrer dans ta combinaison ? Elle commençait à être juste à Noël, il me semble. Demain, quand on aura laissé ton frère chez ses amis, on vérifiera ça.

***

Chez Régis, dans la chambre des enfants où on a ajouté un lit de camp, les quatre garçons, tous en jogging, s'amusent avec des jouets divers. On entend une voix féminine venant du couloir.

- À la douche les enfants !

Et Chantal entre, une serviette pliée à la main.

- Ça va, vous vous amusez bien ? Voilà une serviette et un gant propres pour toi, Bruce. Chez nous les enfants font leur douche et se mettent en pyjama avant le dîner.

- Chez nous aussi. Enfin… chez Maman.

- Vous y allez ? demande Régis à ses frères. Nous on ira après.

- O.K. ! répondent les petits en commençant à se déshabiller.

- Bon, arrangez-vous entre vous ! conclut Chantal en repartant. Allez, on dîne dans trois quarts d'heure : traînez pas trop et oubliez pas d'essuyer par terre quand vous aurez fini !

Il n'a fallu que quelques secondes aux petits pour être tout nus et filer vers la salle de bain en se bousculant.

Devant l'air étonné de Bruce, Régis explique :

- Comme on est tout seuls à l'étage, on se déshabille ici pour pas risquer de mouiller nos affaires à la salle de bain quand on chahute sous la douche… D'habitude j'y vais avec eux, mais à quatre ce serait trop. Au fait, ça te gêne pas ?

- Non, non ! Juste, ça m'étonnait ! Tu sais, chez nous c'est pas comme ici !

- Parce que sinon… J'ai pensé qu'on s'amuserait bien ensemble, nous aussi, mais si ça te gêne…

- Euh… Non… Non… Entre garçons…

Le ton reste mal assuré.

- C'est vrai que toi c'est une petite sœur que tu as ! Alors vous faites jamais votre toilette ensemble ?

- Non, à part quand on était petits, il paraît, mais il y a longtemps… Et moi j'ai pas envie, sinon, elle...

- Ah bon !… Mais… avec moi, c'est sûr que ça te gêne pas ?

- Non, si toi ça te gêne pas, il n'y a pas de raison. C'est juste que j'y avais pas pensé parce que j'ai pas l'habitude, mais… pas de problème.

Le ton ne s'accorde pas vraiment avec les paroles. Régis regarde son ami, un peu perplexe, puis, comme pour s'excuser de le prendre au mot :

- Tu sais, pour moi, t'es comme un frère ! Et les petits aussi ils t'aiment bien.

Bruce rougit.

- Moi pareil. Non, pour la douche, c'est juste que j'ai pas l'habitude parce qu'à la maison je suis tout seul de garçon. Mais comme dit Maman, « À Rome on fait comme les Romains ! »

- Et chez nous, c'est le contraire il n'y a pas de fille. Remarque, avec ma cousine… En fait c'est deux jumeaux, un garçon et une fille, ils sont un peu plus grands que moi. Ils habitent un peu loin, près de Paris alors on se voit pas très souvent mais des fois ils viennent chez nous ou nous chez eux. On s'entend super bien tous les trois. Et dès que j'ai su me laver tout seul, ils m'ont proposé de prendre mon bain avec eux. Eux ils le prennent toujours ensemble. On s'est bien marrés à trois dans la baignoire !

- Et ça t'a pas gêné avec ta cousine ?

- Ben… J'y ai même pas pensé ! Tu sais, on était encore petits, j'avais peut-être cinq ans, ou même quatre, je sais plus. Moi, jouer avec eux, j'étais trop content : mes frères, c'était encore Maman qui leur donnait leur bain, alors… Et après on a continué comme ça chaque fois qu'on se retrouvait. Et maintenant j'ai pris l'habitude avec les frangins, alors quand on est ensemble, c'est les cousins d'un côté et nous trois de l'autre parce que cinq dans la baignoire… Parce que chez eux c'est une baignoire et chez nous aussi jusqu'à l'année dernière. Quand même, on dort tous dans la même chambre et pour se déshabiller on fait pas vraiment gaffe ! Mais la dernière fois c'était il y a deux ans. L'année dernière ça s'est pas trouvé. Et ici ils sont pas encore venus. Peut-être à Pâques.

Bruce paraît songeur. Il conclut enfin :

- Si vous avez l'habitude comme ça… Ma mère dirait sûrement que vous avez raison. Elle et Anaïs… Mais moi, j'ai pas envie.

- Enfin avec elles, rectifie-t-il. Avec toi c'est pas pareil.

Pendant toute cette conversation, des cris et des rires venant de la salle de bain ont constitué un fond sonore.

- Tu les entends ? dit Régis en souriant. Ben moi, j'aurai ma chambre tout seul l'année prochaine mais… On est bien tous les trois !

Quelques minutes plus tard les petits reviennent, riant et se bousculant, toujours nus, pas pressés d'enfiler les pyjamas qu'ils récupèrent sous leurs oreillers mais se contentent de poser sur les lits.

Bruce hésite à les regarder, pas vraiment à l'aise.

- Alors on y va ? propose Régis.

- …Quand tu veux.

Régis se déshabille tout naturellement et Bruce s'applique à l'imiter.

Entré le premier dans la douche, pendant que Bruce accroche à côté des autres la serviette qui, jetée sur son épaule, dissimulait comme par hasard son ventre, Régis se saisit de la douchette, que les petits ont laissée pendante au bout de son tuyau, et l'arrose sans plus attendre en visant le visage.

- Salaud ! crie Bruce en riant. Ça va se payer !

***

Un peu plus tard les deux garçons s'essuient. Comme Régis raccroche sa serviette, Bruce, qui s'apprêtait à s'envelopper dans la sienne, l'imite une fois de plus avant de le suivre dans la chambre où il se hâte tout de même d'enfiler le pantalon de son pyjama.

- Ça va les nains, vous êtes lourds ! proteste Régis. Allez, rendez-le moi !

Ce n'est qu'à ce moment que Bruce se retourne et voit les petits. Toto ne porte que le bas d'un pyjama visiblement trop grand, tandis que Marco n'en porte que le haut qui lui descend jusqu'aux genoux.

Régis explique :

- Ils m'ont encore piqué mon pyj ! Ça fait bien la vingt-cinquième fois, alors je veux bien rigoler avec eux mais faudrait quand même qu'ils trouvent autre chose ! Allez, vous me le rendez ou il faut que je vienne le prendre ?

Thomas se réfugie en riant sur le lit du haut où Régis le rejoint pour récupérer son vêtement.

- Aide-moi Bruce ! appelle-t-il. Occupe-toi de Marco !

Celui-ci est allé se cacher sous le lit, d'où Bruce, encore torse nu, s'affaire à le déloger. Le petit se tortille comme un ver et tandis que Bruce le traîne par les pieds jusqu'au milieu de la chambre, le tee-shirt trop grand lui remontant jusque sous les bras, il contre-attaque soudain en s'accrochant à son pyjama.

Le premier réflexe de Bruce est de lâcher les pieds de Marco pour remonter son pantalon. Mais, comme le gamin en profite pour tenter de s'enfuir, il renonce finalement à toute pudeur pour le rattraper par le tee-shirt et l'en dépouiller.

Le combat est terminé. Au milieu de la chambre, tandis que les deux grands brandissent leurs trophées tous les quatre s'étouffent de rire. Enfin Régis et Bruce remettent leurs pyjamas tandis que les deux petits musardent sur leurs lits avant d'enfiler les leurs.

- Hé, vous les mettez, ces pyjamas ? intervient Régis. On va descendre ! Ces deux-là, ils sont jamais pressés de s'habiller. Je crois que si on les laissait faire ils resteraient tout nus toute la journée.

- Oh dis ! intervient Marco. Toi pareil !

Régis ne répond que par un petit rire un peu gêné, en regardant Bruce.

- D'accord mais Bruce, lui, il a pas l'habitude !

- Alors des fois vous restez tout nus toute la journée ? demande celui-ci.

- Toute la journée, non, explique Régis. Pour descendre on s'habille !

- Sauf pour le petit déj ! corrige Toto. Le petit déj, c'est en pyjama. Alors le matin, si on va pas jouer dehors, on s'habille pas avant midi et alors…

- Des fois on chahute et on a chaud, reprend Régis. Et si on se retrouve tout nus, comme ça nous dérange pas…

- Et vos parents ? Ils le savent ?

- Plus ou moins, oui. En fait, ici, on fait ce qu'on veut, ils s'en fichent.

- C'est vrai que…, observe Bruce, on voit bien que vous avez l'habitude ! Tu me l'avais jamais dit !

- Ben ! Quand tu viens pour la journée, Maman nous dit de nous habiller pour t'accueillir, alors après ya pas de raison qu'on se déshabille, tandis que rien que le pyjama, c'est si vite enlevé… Non mais si ça te gêne, excuse-nous, faut nous le dire franchement !

- Ben non, c'est pas ça que je voulais dire… Juste… J'ai pas l'habitude mais… Ça fait rien ! Je suis tellement bien avec vous !

- Et pour nous, je t'ai dit, t'es vraiment comme un frère ! Alors on n'y a même pas pensé, on a fait comme d'habitude…

Bruce rougit.

- Ça me fait trop plaisir que tu me dises ça. Parce que moi, des frères, j'en ai pas, alors… Faites comme vous avez l'habitude et moi je ferai pareil.

- Mais tu as quand même une sœur ! observe Marco. Moi je la trouve trop sympa, Anaïs !

- Oui !... Non mais je l'aime, ma sœur, même si on se dispute souvent. Mais c'est une fille ! C'est pas pareil !

- Moi je l'aime bien, insiste Marco. Moi ça me gênerait pas de l'avoir comme sœur !

- Et tu te mettrais tout nu avec elle ? lance Thomas, pour lui faire comprendre.

Marco réfléchit.

- Ben… Si c'était ma sœur…

Bruce ne paraît pas convaincu et de toute façon la voix de Chantal appelant à table met fin à la discussion.

***

Les quatre garçons en pyjama finissent leur petit déjeuner.

- On monte s'habiller pour aller jouer dans la jardin ? propose Régis. Il fait beau ce matin, on dirait.

- O.K. disent tour à tour les trois autres.

Ils portent leurs bols vides à la cuisine et montent dans la chambre.

Tandis que, sitôt arrivés, les deux grands s'habillent sans traîner, les deux petits, s'attardent tout nus à trier leurs vêtements qu'ils ont mélangés.

Bruce les regarde faire en souriant.

- C'est quand vous voudrez, les nains ! Tu viens, Bruce ? dit Régis en sortant.

- Tu sais à quoi je pensais ? dit Bruce.

- Non !

- L'autre jour j'ai fait une histoire à ma sœur Anaïs parce qu'avec notre demie elles jouaient toutes nues et là je vois tes frères…

- Tu t'y fais pas ?

- Ben si, justement !

***

Dans la voiture de sa mère, qui les ramène chez eux, Bruce demande :

- Il pourrait venir à la maison Régis ?

- Bien sûr mon chéri.

- Pour trois jours lui aussi ?

- Pourquoi pas ? Mais pour ça il va falloir attendre un peu parce que d'ici dimanche c'est un peu court et la semaine prochaine vous êtes chez votre père. Il pourrait déjà venir un mercredi, ou un week-end, si ses parents sont d'accord. On peut aussi envisager quelque chose pour les vacances de Pâques…

- Et ses petits frères pourraient venir aussi ? Il y en a un de huit ans et un de sept : peut-être ils s'entendraient bien avec Anaïs.

- Celui de sept ans, je le connais, dit Anaïs. Il est dans ma classe.

- Et tu l'aimes bien ?

- Ça va !

- Oui mais là, mon grand, tu vas un peu vite ! tempère Fabienne. Trois d'un coup, je ne vais pas savoir où les coucher ! On peut peut-être commencer par Régis, puis on verra.

- Bon, mais alors Régis, on pourrait peut-être demain, ou vendredi, ou les deux ! Y aurait qu'à mettre le lit de camp dans ma chambre !

- Décidément c'est de l'amour ! plaisante Fabienne. Allez d'accord, je vais téléphoner à ses parents !

***

Anaïs en chemise de nuit et Bruce en pyjama jouent ensemble avec de la pâte à modeler sur une toile cirée étendue par terre, dans le salon.

- Les enfants, on mange dans cinq minutes ! dit la voix de Fabienne. Vous rangez tout et vous vous lavez les mains !

Sans rien dire, les deux enfants obéissent. La coordination de leurs mouvements témoigne de leur entente présente. Dans la salle de bain, tandis que tous deux essuient leurs mains à la même serviette après les avoir lavées, Bruce semble réfléchir en regardant la baignoire.

- Qu'est-ce que tu regardes ? demande Anaïs.

- La baignoire.

- Pourquoi ?

- Chez Régis c'est une douche mais elle est super grande, on peut la prendre à deux, tandis que dans la baignoire…

- À deux ?

- Même trois, Régis et ses frères, ils la prennent ensemble d'habitude !

- Et toi alors tu l'as prise tout seul ?

- Ben non ! Avec Régis ! C'est pour ça que je me demandais…

- Toi, tu as pris ta douche avec Régis ?

- Oui.

- Tout nu ?

- Ben, oui, la douche ! Toi tu la prends bien avec Lisa !

- Moi, oui ! Mais toi qui as tellement peur qu'on voie ton zizi !

- Entre garçons, c'est pas pareil.

- Garçons ou filles, chez Zoé ya aussi Thibaud et David mais on fait pas attention, c'est super cool.

- Tu fais comme tu veux et moi je fais comme je veux, d'accord ? C'est ça que Maman a dit.

- D'accord. Et avec Régis, vous ferez comme vous voudrez, moi je m'en fiche.

- On pourra pas chahuter comme chez lui mais quand même… Je lui montrerai la baignoire et on fera comme il voudra.

***

- Maman ! Je peux prêter un pyjama à Régis ?

C'est Bruce qui, sortant de la salle de bain vêtu d'un pantalon de pyjama passablement mouillé, vient poser cette question.

- Parce que… explique-t-il. On les avait mis pour aller prendre la douche et… ça a beaucoup éclaboussé et…

Fabienne, qui travaillait à son bureau, rit en le voyant.

- Je vois ça ! On dirait que vous vous êtes bien amusés tous les deux ! Tes pyjamas, tu sais où ils sont. On va mettre à sécher ceux que vous avez mouillés au-dessus du radiateur. Et puis tu viendras chercher une serpillière pour essuyer par terre parce que… j'imagine le chantier. Ou plutôt, commence par là, sinon vos pyjamas secs ne vont pas le rester longtemps !

- J'y vais !

Bruce disparaît à la cuisine puis reparaît, la serpillière à la main.

- T'es pas fâchée, Maman ?

- Mais non, mon grand ! Ça me fait plaisir que tu t'amuses comme ça avec Régis. Mais la prochaine fois qu'il viendra, laissez donc vos pyjamas dans ta chambre !

Puis elle continue, pour elle-même :

- Je ne ferais quand même pas mal d'installer un pare-douche.

Bruce disparaît dans la salle de bain sans en refermer la porte. Quelques instants plus tard, Anaïs ouvre celle de sa chambre, qui lui fait face, puis la referme vivement en disant :

- Oups ! Pardon ! T'en fais pas, Régis, j'ai rien vu !

- Pas grave ! répond la voix de Régis.

- Ça y est Maman ! On a essuyé !

- Bien ! Laisse la serpillière dans la baignoire, je m'en occuperai tout à l'heure !

Puis les deux garçons traversent le couloir, enveloppés dans des serviettes pour gagner la chambre de Bruce.

- Je peux sortir ? crie la voix d'Anaïs, derrière sa porte.

- Oui ! répond celle de Bruce.

Anaïs, en chemise de nuit, rejoint sa mère pour lui demander :

- On mange bientôt ?

- Tu as faim ?

- Comme ça !

- Alors ça peut attendre une petite demi-heure, que j'aie fini ce travail ?

- Oui. Ça te dérange, si je regarde Gulli ?

- Non ma puce ! Attends !

- Quoi ?

- Je voulais te dire pour tout à l'heure : si tu vois quelque chose que tu ne devais pas voir, ne dis rien !

- Pourquoi ?

- Parce que si tu n'avais rien vu, tu n'aurais pas éprouvé le besoin de le dire !

Anaïs réfléchit, puis éclate de rire.

- C'est vrai ! Mais ça fait rien, il a dit que c'était pas grave.

- Oui et alors ? Qu'est-ce qu'il aurait pu trouver grave ? Que tu n'aies rien vu ou que tu aies vu quelque chose ?

- Ben… que je l'aie vu tout nu !

- Donc, s'il te dit « pas grave », c'est qu'il a compris que tu l'as vu tout nu !

- Hou là là ! C'est compliqué !

- Hé oui ! C'est quelquefois compliqué de ne pas faire de gaffe quand on parle ! En particulier il faut se méfier des phrases négatives comme celle-là, surtout quand on ne te demande rien. Par exemple, si tu dis « Je n'ai pas peur » quand on ne te demande rien, c'est que tu as peur, sinon tu n'aurais pas pensé à le dire. Si on te le demande, bien sûr, ce n'est pas pareil, parce que ce n'est pas toi qui y as pensé. Tu comprends ?

- Je crois que je comprends, mais c'est dur de penser à tout ça avant de parler !

- Surtout à ton âge, mon bébé. Ça fait rien. C'était juste pour te faire réfléchir un peu ! C'est l'inconvénient d'avoir une maman prof !

***

Charles est venu ramener ses enfants.

- Ça s'est bien passé ? demande Fabienne.

- Très bien ! Pourquoi ? répond Charles.

- Je veux dire : plus de problèmes ?

- Ah !... Non, aucun !

- Tant mieux ! Dis-moi, je voulais te demander ! Je voudrais mettre un pare-douche à la salle de bain. J'en ai commandé un sur internet et on vient de me le livrer mais…

- Mais tu ne sais pas l'installer !

- Voilà !

- Fais-moi voir ça !

Fabienne le conduit à un grand carton d'où elle extrait une notice de montage. Charles la consulte quelques secondes et conclut.

- Bon ! C'est pas sorcier mais il faut une perceuse pour faire deux trous dans le mur, un niveau pour vérifier l'alignement vertical et… peut-être quatre mains, c'est plus sûr : deux pour le tenir pendant que les deux autres vissent. Je viendrai avec mes outils, mais j'ai pas envie de me taper ça quand je te ramènerai les enfants. Quand est-ce que je peux venir ?

- Tous les soirs, après la classe. Sinon le mercredi. Ou sur rendez-vous dans les trous de mon emploi du temps, quand tu es libre !

- Bon ! Je n'ai pas mon agenda avec moi. Je le consulte et je te dirai.

- Merci Charles ! C'est sympa.

- Bonsoir Maman !

Les enfants l'embrassent avant de se diriger vers la voiture.

- Bonsoir Fabienne !

- Bonsoir Charles !

Elle l'embrasse sur les deux joues.

***

La nuit tombe sur l'autoroute, où roule la voiture de Clément.

- Ça vous a fait plaisir de voir Papy et Mamie ? dit-il.

- Oh oui ! répondent les enfants.

- Il est plus malade, Papy ? demande Zoé.

- Pour l'instant ça va, mais il faut quand même pas qu'il se fatigue trop.

- À La Sablière, ça monte pour revenir de la rivière, dit Thibaud. Tu crois qu'il va pouvoir cette année ?

- Ça vous manquerait de ne pas y aller ?

- Oui, dit Zoé. Moi j'aime bien là-bas. J'aimerais bien qu'on y reste toutes les vacances ! C'est mieux que la colo. Et Clara aussi va y aller, je crois.

- Vous n'avez pas aimé la colo ?

- Si ! dit Thibaud. Ya des trucs pas mal ! Mais c'est quand même un peu chiant d'être obligés de rester tout le temps habillés.

- Et même pour se laver ou quand on se change après la baignade, c'est comme quand on va à la piscine avec l'école, il faut se cacher parce que si on fait pas comme les autres on se fait remarquer.

Clément sourit.

- L'année dernière, Maman vous avait mis en colo parce qu'elle était malade. Cette année… on verra comment on peut s'organiser. Vous savez, Papy et Mamie ont décidé de prendre leur retraite. Ils vont essayer de vendre le bureau de tabac et l'appartement et d'acheter quelque chose à Lyon, pour être plus près de nous. Et pour La Sablière, on va louer ensemble en bas, pour que Papy n'ait plus la côte à monter. De toutes façons, Mamie aussi, elle commençait à avoir un peu de mal. On va voir combien de temps on peut prendre, parce que c'est quand même un peu cher en pleine saison d'été. Et pour le reste du temps, s'ils ont réussi à vendre ils pourront vous emmener tous les jours au club.

- C'est bien, le club, dit Thibaud. Avant, Maman nous y emmenait souvent.

- Oui ! dit Zoé. Dommage qu'on puisse pas y aller cette semaine !

- Ça ! dit Thibaud en riant, tu nous vois tout nus dehors en cette saison ? Et même ! Léa pourrait pas nous y emmener !

- Pourquoi ?

- Ben parce qu'elle est pas naturiste !

- C'est vrai ! Dommage !

- Quand même ! dit Clément. Vous n'avez pas à vous plaindre ! Vous venez de passer une semaine au ski avec votre amie Clara, et cette semaine elle va passer trois jours chez nous ! Léa est bien gentille d'accepter cette surcharge !

- Léa, c'est un amour ! proclame Zoé. C'est pour ça que c'est dommage qu'elle soit pas naturiste : elle pourrait venir avec nous à La Sablière !

- Même si elle était naturiste, dit Clément, à La Sablière, vous n'avez pas besoin de baby-sitter et en plus elle pourrait avoir d'autres projets pour les vacances !

- C'est vrai, reconnaît Thibaud. Elle dit ça parce qu'on est bien avec elle.

***

Montée de Choulans, ce sont Clara et Zoé qui occupent chacune un bout de la baignoire. La porte de la salle de bain est fermée.

- Elle est super sympa, Léa, dit Clara. Et alors elle habite chez vous maintenant ?

- Non ! C'est seulement quand on est en vacances, on fait comme pour les mercredis, pour qu'elle ait pas besoin d'aller dormir chez elle et revenir le lendemain matin. Sinon elle nous prend juste à la sortie de l'école et elle repart quand Papa arrive. Et des fois aussi elle fait un peu le ménage l'après-midi.

- Alors ton père et elle, ils se voient presque pas ?

- À part les mardis soirs et les vacances, non.

- Et le père de David, ça le gêne pas ?

- Ben non, puisqu'elle l'a plus vu depuis quand elle était enceinte, elle nous a dit.

- Et elle a pas un amoureux ?

- Ben je sais pas ! On lui a jamais demandé ! Ça nous regarde pas !

- Moi je crois pas. Sinon elle serait pas toujours libre quand ça vous arrange !

- C'est vrai, ça. Elle dit jamais non. Mais pourquoi tu poses toutes ces questions ?

- Ben… Parce que hier soir quand on mangeait, je trouvais que vous étiez comme une vraie famille, tous les cinq. Je trouve que ton père et Léa, ils vont bien ensemble, et ils ont l'air de s'aimer bien.

- J'ai pas remarqué… Tu sais, Papa, il voit que Léa, David et Thibaud et moi on s'aime bien, alors il est content. Et Léa, elle trouve que Papa… Elle dit que c'est pas tous les enfants qui en ont un comme ça et c'est vrai.

- Moi le mien aussi il est génial. Mais c'est vrai qu'il y en a… Et des baby-sitters aussi… En tout cas, on est drôlement bien chez vous !

***

Fabienne porte un jogging qui évoque plus le vêtement de loisir féminin que la tenue de sport. Au moment où la voiture de son ex-mari s'arrête devant le portail, elle est dans sa salle de bain, où elle se remet rapidement un peu de parfum avant d'aller l'accueillir.

- Les enfants ne sont pas là ? s'étonne Charles.

- Je les récupère tout à l'heure ? Bruce est chez son ami Régis et Anaïs chez les Girard. Tu te souviens ? Les amis naturistes dont…

- Je vois. Ceux qui vivent tout nus chez eux.

- Voilà !

- Et quand elle y va…

- Elle fait comme eux, tout simplement. Et ne t'en fais pas, c'est bien chauffé !

Ils sont arrivés dans la salle de bain où Charles a déposé sa boîte à outils.

- J'ai un peu de mal… Mais bon. C'est toi qui l'élèves et même Ariane n'a pas à se plaindre du résultat. Cette petite est un rayon de soleil et Lisa l'adore.

- Tu vois !

- Et toi ?

- Quand je l'y emmène, la baby-sitter est habillée, alors… Et ici… pour l'instant je trouve qu'il fait un peu frais, sinon… Quand Bruce n'est pas là, naturellement ! Encore qu'il se dégèle ces temps-ci. L'influence de Régis et de ses frères.

Charles a pris la notice de montage.

- Ne me dis pas qu'ils sont naturistes, eux aussi !

- Non, mais simplement… disons qu'entre garçons ils ne sont pas obsédés par le souci de cacher leur zizi. Ils prennent leur douche ensemble.

- Il est vrai qu'entre garçons… Donc, cent vingt-cinq en tout et les trous à trente… Mais alors toi, aujourd'hui, s'il faisait plus chaud…

- Je serais peut-être à poil dans le jardin !

- Tu me fais rêver !

- Tu n'as pas honte ! D'ailleurs en fait de rêver… tu n'as qu'à te souvenir !

Il se retourne pour la regarder

- Je me souviens ! Et tu es encore plus belle qu'il y a cinq ans !

- La liberté, sans doute !

- La liberté…

Il s'approche d'elle puis continue :

- … de dire non ou de dire oui ! J'ai envie de toi !

- Moi aussi, mais…

Il l'enlace et elle se laisse faire en souriant avant de continuer :

- Mais il ne faudra pas en faire une habitude !

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