vendredi 5 novembre 2010

l'héritage 13

L'été, bientôt.

- Si tu veux, Bruce peut te prêter un maillot, dit Fabienne à Régis, alors que les derniers nuages s'éloignent et qu'un soleil brillant commence à sécher le jardin après l'averse du matin.

- Oui, confirme Bruce. On va se baigner ?

- Euh…Oui ! Tu viens avec nous Anaïs ?

- Ben oui ! T'en fais pas, Bruce ! Si vous mettez vos maillots, moi aussi ! Tu sais où il est, le mien, Maman ?

- Les deux sont dans ta commode, ma chérie ! Le grand et le petit ! Je vous prépare des serviettes : j'ai oublié de rentrer celles qui étaient sur le séchoir hier soir et elles ont pris la pluie.

Les trois enfants disparaissent dans les chambres pour en ressortir bientôt prêts pour la baignade.

- Maman ! dit Anaïs, tenant à la main les bouts du cordon du côté gauche de son slip, dont elle a défait le nœud. J'ai grossi depuis l'été dernier, ça me serrait trop, tu peux m'aider ?

- Bien sûr, ma chérie. Mais… tu l'as pas mis… Ben si ! Regarde ! l'étiquette est devant !

- Zut ! fait la petite.

Et sans plus de cérémonie elle l'ôte pour le remettre dans le bon sens.

- Anaïs ! gronde Fabienne. Tu vas choquer ton frère et peut-être son ami.

- Pas de problème ! dit Régis en riant.

- Tu sais, hier soir, quand elle est sortie de l'eau elle en avait pas ! explique Bruce, souriant. Alors après tout, vous aviez raison toutes les deux l'autre fois. C'est son problème. Elle fait comme elle veut, moi aussi et Régis aussi.

- Ben moi, explique Anaïs, ça m'est égal qu'on me voie toute nue juste comme ça. Enfin… pas n'importe qui mais la famille et les amis que j'aime bien. Mais sinon je fais comme Zoé. Je trouve que c'est bien de faire comme les autres. Vous mettez vos maillots, moi aussi. Hier soir, Marco et Toto en avaient pas, moi non plus.

- Ça se défend ! approuve Régis. Tu trouves pas Bruce ?

- Oui, répond-il sobrement.

- Mais alors, reprend Régis, taquin. Si par exemple Bruce en met et moi pas, comment tu fais ?

Anaïs prend le temps de réfléchir., tandis que sa mère finit d'ajuster le dernier nœud.

- Ben alors, je fais comme j'ai envie ! J'en mets pas !

- Et alors, c'est Bruce qui se retrouve tout seul avec !

- Oui mais moi, j'ai pas dit que je voulais faire comme les autres fait observer Bruce, mi-figue mi-raisin.

- C'était pour rire, Bruce ! le rassure son ami.

Et les trois enfants se dirigent vers la piscine. Mais Anaïs revient sur ses pas pour demander à sa mère :

- Dis Maman ! Toto et Marco, tu crois qu'ils pourraient venir avec Régis une autre fois ? Moi je m'amuse bien avec eux !

- C'est vrai qu'ils sont plus de ton âge. Un mercredi après-midi, peut-être… Pas le prochain, parce que je crois qu'ils ont des projets avec Bruce, chez eux, mais le suivant… On verra ça !

- Alors mercredi prochain, Zoé et Thibaud pourraient venir ?

- Ça aussi, on verra ! Je leur téléphonerai !

Satisfaite, Anaïs court rejoindre les garçons.

***

Léa et les enfants débarquent chez Fabienne. Le temps est maussade et les pull-overs sont de rigueur ?

- Désolée, mes enfants, dit Fabienne, mais pour la piscine, aujourd'hui, ça me paraît compromis.

- Ben oui, dit Zoé. Puis au club ce serait pareil, alors…

- On va jouer dedans ! dit Anaïs. Ou alors dans le jardin mais… habillés, tant pis !

- Dans le jardin c'est mieux, dit Thibaud, on pourrait jouer au ballon !

- Évidemment, dit Léa, ça, le ballon, chez eux ils ne peuvent pas !

- À propos de chez nous, dit Thibaud, tu sais Fabienne, c'est décidé ! Léa va rester chez nous les samedis et dimanches.

- Ça te fait plaisir ? demande Fabienne pendant que les enfants sortent. Pour le coup tu vas passer beaucoup de temps avec Clément !

- Oui, répond Léa, rougissant une fois de plus. Ça me fait un peu peur aussi. Il me l'a proposé en me disant que les enfants insistaient mais que j'avais le droit de refuser. Je ne suis pas sûre que ça lui fasse plaisir, à lui. Je ne vais pas rester tous les week-ends : j'aurais peur qu'il en ait marre de me voir. Puis quand même, il y a ma famille…

- Tu es très raisonnable, ma petite Léa. Mais quand même, il faut savoir prendre des risques quelquefois ! J'ai l'impression que vous marchez tous les deux sur des œufs, de peur de casser quelque chose alors que vous mourez d'envie de vous jeter dans les bras l'un de l'autre !

- Peur de casser quelque chose, oui, c'est ça ! Je trouve que c'est déjà tellement formidable comme on est là ! Comment réagiraient les enfants, s'ils avaient l'impression que je veux prendre la place de leur mère ?

- Il ne s'agit pas de prendre la place de leur mère, Léa. Leur mère est morte, c'est du passé, elle restera toujours là, dans leur cœur, et même dans celui de Clément, mais ça n'a pas empêché que tu prennes ta place, à toi. Ils t'aiment, ils ont besoin de toi, Léa, pas d'une autre Mélanie !

- Les enfants, oui, je crois. Ma belle-sœur me dit la même chose. Mais Clément, je ne suis pas sûre. Et qu'est-ce que je peux faire ? Tu imagines, si je me mettais à le draguer et que lui… Comment on ferait après ?

- Tu as raison. Continue à être toi-même, ça devrait suffire…

- Tu es gentille de me parler comme ça. Ça me fait du bien, tu sais, j'ai… j'ai l'impression d'avoir trouvé une grande sœur.

- Je t'aime bien, Léa, dit Fabienne, visiblement émue. Je vous aime bien tous les… cinq !

Léa regarde par la porte-fenêtre. Les enfants sont en train de jouer au ballon et même David court parmi eux, de l'un à l'autre, apparemment ravi.

- Mais au fait ! reprend Fabienne. Si tu restes avec eux les week-ends, tôt ou tard les enfants voudront que vous alliez au club naturiste… tous les cinq !

- Ça, dès qu'il refera beau…

- Et ça t'inquiète ?

- Je te l'ai dit, je crois.

Fabienne rêve un instant.

- Amusant ! dit-elle enfin. Je crois que vous êtes dans le seul cas de figure où la nudité partagée pose un problème à un homme et une femme qui n'en ont pas pour la partager avec d'autres. C'est lorsqu'ils sont amoureux et n'ont encore jamais été nus ensemble. D'ordinaire, la banalisation du nu ne supprime pas, heureusement, mais permet de mettre entre parenthèses sa connotation sexuelle. Mais dans ce cas… elle ne se laisse pas faire, la connotation sexuelle !... Excuse-moi, ma belle ! Je ne peux pas m'empêcher de faire des analyses de prof !

- Je n'aurais pas su le dire comme ça, dit Léa avec un sourire un peu triste, mais je crois que tu as raison. Et tu vois une solution ?

- Puisque tu m'y encourages, je continue mes élucubrations. D'abord, si mon raisonnement tient debout, on peut dire que si Clément est aussi embarrassé que toi, c'est qu'il est aussi amoureux ! Attends : s'il ne l'est pas, embarrassé, ça ne prouve pas qu'il ne soit pas amoureux. Il ne faut pas oublier que c'est un vieux naturiste, lui, chevronné, cuirassé, complètement blasé devant la nudité. Enfin… pas si blasé que ça. Excuse-moi de m'en souvenir !

- La jalousie rétrospective, avec un veuf de trente-cinq ans, là je ferais mieux de prendre mes jambes à mon cou !

Fabienne rit.

- Ça me fait plaisir que tu puisses le prendre sur ce ton ! Donc… en fait ça m'étonnerait beaucoup qu'il ne soit pas embarrassé, même s'il s'efforce de ne pas le montrer. Donc, aller avec toi à votre club, il va traîner les pieds. Mais la seule solution radicale au problème… c'est que vous fassiez l'amour avant !... Mais non ! Arrête de rougir comme ça ! Tu vas exploser !

À son tour Léa éclate de rire. Puis elle reprend son sérieux pour dire :

- Tu as raison et… je n'ai rien contre. Parce que je sais que, pour les enfants, il ne prendrait pas plus que moi le risque de… rendre nos relations difficiles juste pour… Seulement je ne vois toujours pas comment nous pourrions en arriver là !

- C'est évidemment là le point délicat… Si j'ai une idée je te la dirai ! On se fait du thé ?

***

Thomas et Marco vont prendre leur douche et Régis et Bruce restent seuls dans la chambre.

- Tu sais que j'ai des nouvelles des cousins ? dit Régis.

- Et alors ?

- Ça se précise, pour le camping au bord de la piscine. Je leur ai parlé de toi. Ils disent que quand il y en a pour cinq il y en a pour six et que leurs parents n'ont rien contre. Seulement…

- Ya un problème ?

- C'est toi qui vois ! Je t'ai raconté, pour la douche aux vacances de Pâques ?

- Oui !

- Ben… Pas les parents, mais Jess et Romain, ils disent que la piscine comme elle est, et si en plus on dort à côté, ils vont pas souvent mettre les maillots pour s'y baigner.

- Ah bon !

- Nous, tu te doutes, avec eux, on n'en est plus à ça près, donc c'est sûr qu'on fera comme eux, mais toi… si déjà ça te gêne avec ta sœur, avec Jessica…

- C'est con ! J'en ai vachement envie d'y aller avec vous, mais…

- Écoute, j'ai une idée. S'il fait beau demain, puisque c'est d'accord que les frangins passent l'après-midi chez toi, avec Anaïs…

- Alors ?

- Tous les trois, l'autre fois ils avaient pas les maillots parce que c'était pas prévu, mais maintenant qu'ils ont vu qu'ils pouvaient se baigner sans, c'est clair qu'ils ont pas l'intention d'en mettre ! Et toi, avec nous, ça devrait pas te gêner !

- Ben… avec vous, non ! Mais avec Anaïs…

- Écoute, rien qu'Anaïs contre quatre garçons ! Tu crois pas que tu arriverais à l'oublier un peu ? Les frangins, ils ont pas hésité et moi… Elle est petite et elle fait pas gaffe, alors pas de problème non plus… Alors toi, je crois que si tu arrivais à t'habituer avec elle, peut-être qu'avec Jess… Parce que tu sais, Jess aussi, elle s'en fout complètement ! Elle fait vraiment pas gaffe qu'on est à poil ! Comme ta sœur avec mes frères, tu as bien vu !

- Oui. Tu as raison. Demain je vais essayer.

- Écoute, toi et moi on les laisse commencer, comme l'autre fois, puis si tu préfères on les rejoint en maillots, sans commentaires. Eux ils s'en foutent, ils remarqueront même pas. Et les maillots, on les enlève quand on est dans l'eau. C'est plus facile. L'été dernier, au camping, des fois on s'amusait à les enlever, dans la mer, avec les frangins, les copains et même les copines. On les remettait pour sortir, évidemment, mais alors les enlever dans l'eau, c'est trop facile, tu verras !

- D'accord : on fera comme ça. Et je verrai combien de temps je tiens sans le remettre. Et t'en fais pas ! Si je tiens pas longtemps, je recommencerai une autre fois. Et même rien qu'avec Anaïs, les autres jours, au besoin. Je vais m'entraîner jusqu'à ce que ça me fasse plus rien avec elle et même ma mère. Au fait, ma mère, il faudrait qu'elle soit d'accord aussi pour que je parte avec vous !

- Ça, si toi, tu es d'accord, je pense que la mienne s'en chargera.

***

C'est Anaïs, en jogging, qui accueille Marco et Thomas, pendant que les mamans s'embrassent et que les deux grands vont ranger le sac de Bruce.

- Maman veut pas que je me baigne parce que je suis enrhumée. Mais vous, vous pouvez y aller !

- Trop dommage ! dit Marco, l'air sincèrement désolé. On s'amusait bien tous les trois !

- Une autre fois ! Et quand vous en aurez assez de vous baigner on pourra quand même jouer !

Les petits sont déjà à l'eau quand les grands, en maillot, les y rejoignent.

- Anaïs se baigne pas ? s'étonne Bruce.

- Non ! Elle est enrhumée, explique Toto.

- Encore plus facile, souffle Régis à Bruce.

Et, discrètement, les deux garçons se débarrassent de leurs maillots qu'ils posent sur le bord de la piscine.

Pendant quelques minutes, tous les quatre nagent et plongent sans incident notable. Simplement, les petits sont seuls à grimper sur le mur pour sauter dans l'eau tandis que, derrière la porte-fenêtre, Anaïs les regarde avec envie.

Puis tout à coup…

- J'ai trouvé un chapeau, s'écrie Toto en se coiffant de l'un des maillots.

- Moi aussi ! s'écrie Marco en l'imitant avec l'autre, tandis que les propriétaires sont à l'autre bout de la petite piscine.

- Allez, laissez ça ! dit Régis en riant.

Mais dès que lui et Bruce ébauchent un mouvement pour venir récupérer leur bien, les petits sautent dans l'herbe et s'éloignent. Spontanément, Régis se lance à leur poursuite. Bruce, lui, hésite, décontenancé. Mais il se décide quand Régis lui crie :

- Viens m'aider !

Les quatre garçons se poursuivent dans l'herbe. Les petits jouent maintenant avec les maillots en se les lançant.

- Prends Marco, je prends Toto ! crie Régis.

- Maman ! Viens voir ! appelle Anaïs.

- Quoi donc, ma puce ?

- J'y crois pas ! Bruce joue dehors tout nu !

- Enfin il se lâche ! dit Fabienne. C'est tant mieux, mais ne te dépêche pas de lui montrer que tu l'as vu, il rentrerait dans sa coquille !

Pendant ce temps, ayant ceinturé les petits, les grands ont récupéré leurs maillots et du coup les ont remis pour retourner à l'eau.

Les petits se parlent à l'oreille, puis se jettent tous les deux à la fois sur Régis pour lui ôter le sien. Le grand frère se défend mollement, puis abandonne.

- Bon, d'accord, dit-il en riant. Mais soyez sympas, arrêtez de jouer avec !

Et tandis que Toto repose le maillot sur la margelle il lance à Bruce un regard significatif auquel celui-ci répond en déposant le sien à côté.

- Ça va ? lui souffle Régis.

- Ça va ! répond Bruce. Mais rien qu'entre garçons, c'est facile !

- Moi je trouve qu'en plus c'est super agréable, ils ont raison, les nains.

- Pour nager, c'est vrai !

- Même tout à l'heure, quand on leur courait après, dehors. Tu étais pas à l'aise, toi ?

- Au fond, si. Mais c'était comme chez toi, dans votre chambre, entre garçons !

- Tu sais, ta sœur, elle nous regardait par la fenêtre !

- Ah merde ! J'y avais pas pensé ! La vache !

- Non mais réfléchis, Bruce ! T'as bien vu comme elle était avec les petits l'autre fois ! Si elle nous regardait, c'était pas pour voir nos zizis ! C'est juste parce que ça lui faisait envie de nous voir jouer !

- C'est vrai, la pauvre ! En fait je suis con ! Qu'est-ce que ça me fait qu'elle m'ait vu tout nu, puisque si tu me l'avais pas dit… Mais j'y pense ! Maman veut pas qu'elle se baigne parce que l'eau est quand même encore froide, mais jouer dehors, quand même, elle pourrait !

- Peut-être ! Eh, les nains ! Anaïs, elle s'ennuie, là. Vous voulez pas aller demander à sa mère si elle pourrait pas jouer avec vous, au soleil, sans aller dans l'eau ?

- Ah oui ! dit Marco Tu as raison ! On y va, Toto ?

Les deux petits sortent de l'eau et se sèchent avant d'aller vers la maison sans pour autant se rhabiller.

- Tu peux venir dans le jardin ? On se baigne plus ! dit Marco.

- Maman ! Je peux ? Regarde : ya du soleil !

- Allez, va !

- Vous vous rhabillez, les enfants ? suggère Chantal.

- Oh non ! proteste Marco.

Chantal interroge Fabienne du regard.

- Je peux… comme eux ? demande Anaïs en tirant sur son haut de jogging pour compléter sa question.

- D'accord, mais vous ne restez pas à l'ombre sans bouger !

- On joue à Chat ? C'est moi qui y suis ! dit Anaïs sitôt dans le jardin.

- Oui mais attends ! À part le mur de la piscine, où est-ce qu'on peut se percher ? demande Thomas.

- Il y a la marche, là devant la porte, le petit banc, là-bas au fond, et la corde à nœuds sous l'arbre. Dès que les deux pieds touchent plus par terre c'est bon.

- D'accord ! disent les garçons en s'enfuyant chacun vers l'un des perchoirs mentionnés.

- Bon ! dit Anaïs. Mais vous restez pas perchés, il faut descendre !

- D'accord, mais tu restes pas trop près, sinon on peut pas !

Anaïs se poste au milieu du jardin, bien au soleil et fait semblant de surveiller Thomas. Mais dès que Marco s'aventure dans l'herbe, derrière elle, elle se retourne d'un coup et réussit à le toucher avant qu'il ait pu se percher.

- Eh ! les grands ! Vous jouez pas avec nous ? appelle Marco.

- Non, dit Régis. Nous, on est trop forts pour vous ! On va rentrer jouer dans la chambre de Bruce. Tu viens, Bruce ?

Et, sans plus se préoccuper des maillots que son frère vient à nouveau de rafler en passant, Il s'en va tranquillement prendre une des grandes serviettes étendues sur le séchoir pour s'essuyer.

Une fois encore, Bruce hésite quelques secondes, puis fait de même en s'efforçant d'imiter son détachement. Et c'est revêtus de ces serviettes mais sans se soucier de cacher plus particulièrement leurs sexes que tous deux se dirigent vers la porte.

- Eh ! Vos maillots ! leur crie Marco.

- T'as qu'à les mettre sur le séchoir ! répond Bruce en rentrant dans la maison.

Sans avoir l'air de remarquer les regards étonnés des mamans, toujours en train de bavarder devant leurs tasses de thé, les deux garçons se dirigent vers la chambre. Dès la porte refermée derrière eux, ils se plantent face à face et claquent au dessus de leurs épaules main droite contre main droite, dans un geste de triomphe qui entraîne accessoirement la chute des serviettes.

- Soldat ! Je suis content de toi ! proclame Régis.

- Ya encore du boulot pour que j'aie plus besoin de me forcer, avoue Bruce, mais… ça vient ! Bon ! Et maintenant ? On se rhabille ?

- Comme tu veux, mon vieux ! T'as plus l'intention de te baigner ?

- Je sais pas. Peut-être tout à l'heure… répond Bruce, le caleçon à la main.

Puis il comprend la question de son ami et le lâche.

- C'est vrai, on n'en a peut-être pas besoin ! C'est comme tu préfères.

- Moi, je m'en fous. Mais je crois que toi tu es quand même plus à ton aise habillé, non ? Alors on s'habille et si on retourne se baigner tout à l'heure, ben on se redéshabillera, et voilà !

***

C'est le repas du soir chez Clément.

- T'as vu, Papa ? dit Thibaud. L'appartement d'à côté, il est à vendre !

- Oui. Et ça t'intéresse ? Les voisins, on les rencontre sur le palier ou dans l'ascenseur mais à part « bonjour, bonsoir »...

- Un couple âgé, à qui la famille du fils vient rendre visite de temps à autre, je crois, dit Léa. Enfin je suppose que c'est le fils. Ils sont toujours très aimables.

- Ben, reprend Thibaud, je pensais… Si Papy et Mamie cherchent un appartement à Lyon, peut-être que ça les intéresserait !

- Oh oui ! s'enthousiasme Zoé. Ce serait drôlement bien qu'ils habitent à côté de nous !

- C'est une idée, ça ! approuve Clément. Je vais leur en parler… Me renseigner et leur en parler.

- Mamie pourrait nous garder, des fois ! Comme ça Léa aurait plus de liberté, dit Thibaud.

- En fait dit Léa qui a rougi, vous n'auriez peut-être plus besoin de moi du tout !

- Oh non ! protestent en chœur Thibaud et Zoé.

- Il n'en est pas question ! affirme Clément. Naturellement, Léa, si vous voulez reprendre votre liberté nous ne pourrons pas vous en empêcher, mais… pratiquement, même si mes parents habitaient à côté il n'est pas question de leur donner cette charge. De temps en temps je ne dis pas, ça vous donnerait un peu plus de liberté, comme dit Thibaud, mais sinon…

Clément prend la main de Léa qui tremble un peu sur la table.

- Nous avons besoin de vous, Léa. Tous les trois !

- Oh oui, Léa ! approuvent les deux enfants, à l'unisson.

Léa hésite visiblement à parler. Elle murmure enfin :

- Vous êtes gentils de me dire ça mais… des baby-sitters, il y en a d'autres !

- Mais on n'en veut pas d'autre, nous ! proteste Zoé. Dis-lui, Papa !

- Vous le savez bien, Léa ! reprend Clément. Vous savez bien que vous êtes devenue bien autre chose qu'une baby-sitter ! Vous et le petit, vous êtes de notre famille maintenant !

Clément tient toujours la main de Léa, dont les yeux s'emplissent de larmes.

- Ben pleure pas ! dit Zoé en venant lui faire un câlin. Tu nous quitteras pas, dis !

- J'ai pas envie de vous quitter ma chérie, dit Léa en l'embrassant.

- Câlin, Maman ! réclame David qui vient grimper sur ses genoux.

- Ben moi, commence Thibaud, je dis que…

Tous les regards se sont tournés vers lui. Il rougit, avale sa salive et continue :

- Je dis que tu n'es pas notre maman, parce que personne peut la remplacer. Mais même avant, quand ils étaient séparés, Papa il avait des copines des fois, et même Maman elle disait que c'était normal. Alors moi je dis que si Papa a envie d'une copine, nous on voudrait bien que ce soit toi.

Zoé applaudit et David en fait autant à tout hasard.

Plus rouge que jamais, Léa trouve un sourire pour répondre.

- Tu es gentil, Thibaud. Mais tu sais, ses copines, c'est ton Papa qui les choisit. Lui, il n'a peut être pas du tout envie que ce soit moi !

- Ça, dit Clément, il faudra qu'on en parle tous les deux, si elle veut bien. Mais tous les deux, quand vous serez couchés.

En attendant, leurs regards et la pression de leurs mains constituent une réponse éloquente que Léa interrompt comme à regret pour poser David à terre et se lever en disant :

- J'apporte le dessert.

***

Le soleil est déjà haut dans le ciel et, chez Fabienne, jardin et piscine en sont baignés quand Bruce et Anaïs, l'un en pyjama l'autre en long tee-shirt sortent simultanément de leurs chambres respectives. Fabienne les attend à la cuisine, où ils vont l'embrasser. Les tartines sont prêtes sur la table ainsi que les bols n'attendant plus que le chocolat chaud.

- Vous voulez déjeuner ?

Bruce regarde par la porte-fenêtre et propose à sa sœur

- Tu veux pas qu'on aille se baigner un petit coup avant ?

- Oui, dit Anaïs.

Et tous deux, abandonnant sur l'herbe pyjama et tee-shirt courent nus vers la piscine, tandis que Fabienne les suit des yeux en souriant.

***

Bruce, Régis, Toto, Anaïs et Marco ont investi piscine et jardin quand Léa arrive avec David, Zoé et Thibaud qui vont aussitôt les rejoindre après avoir déposé leur paquet-cadeau auprès des autres, déjà empilés dans un coin du salon.

- Ça va lui faire onze ans ?

- Eh oui, déjà… enfin, demain, mais on fête ça ce mercredi et il remettra ça chez son père samedi. Et toi alors, ma petite Léa, quoi de neuf ? Tu as l'air rayonnante !

- Eh bien… samedi et dimanche derniers nous avons passé la journée au GCR, le club naturiste.

- Ah bon ! Avec Clément ?

Léa sourit.

- Oui.

- Et… Parce que…

- Oui !

- Mon Dieu que je suis contente pour vous ! Et pour les enfants ! Et maintenant alors ?

- Plein de projets ! Les parents de Clément vont sans doute acheter l'appartement d'à côté et il y a une chambre qu'ils nous laisseraient, pour Clément et moi. Avec un interphone et seulement le pallier à traverser, les enfants peuvent rester seuls dans leur appartement, juste pour la nuit. On pourrait même imaginer de faire communiquer les entrées. Parce que lui et moi dans la chambre de Mélanie, je crois que ça nous gênerait tous et le salon où je dors… Provisoirement ça va, mais… Et comme ça, quand Thibaud et Zoé auront envie d'une chambre chacun… L'appartement est à eux, d'ailleurs !

- Et David, alors ?

- Je crois qu'il y aura aussi un aménagement possible, mais de toutes façons rien ne presse : pour l'instant ils sont ravis de dormir ensemble, tous les trois. Voilà. Et puis pour les vacances qui viennent, il y a le club, bien sûr : les enfants n'ont pas envie d'aller en colo, et leur amie Clara aussi sera là. Puis, en août, dans le campement que Clément a retenu avec ses parents à La Sablière, il paraît qu'on n'aura pas de mal à nous caser en plus, David et moi…

Fabienne sourit.

- Je ne t'ai jamais vue aussi… volubile ! Tu es heureuse comme une gamine ! Tu es … rafraîchissante. Je comprends que les enfants te considèrent plutôt comme une grande sœur ! Ma parole, entre Clément et toi ça en deviendrait presque incestueux ! Non ! Ne te trouble pas ! Ce n'est qu'une mauvaise plaisanterie. Je suis vraiment heureuse pour vous.

- Et vous, tes enfants et toi, qu'est-ce que vous faites pour les vacances ?

- Eh bien, pour le mois de juillet, le mien, août c'est chez leur père, Bruce est invité quinze jours chez les cousins de son ami Régis dans le Var. Je pense que je vais m'inscrire au GCR, moi aussi, on vous y retrouvera peut-être, et puis il doit y avoir d'autres enfants… Et vous serez toujours les bienvenus ici, mais je ne veux pas condamner ma puce à y rester seule avec moi pendant que son frère sera parti. Une semaine chez mes parents, en Auvergne, quand il sera de retour : ils ont envie de nous voir mais ils ne supportent pas longtemps. Faut dire que ça manque un peu de place. J'aurais bien aimé une semaine ou deux dans un camping naturiste mais… c'est seulement depuis quelques jours que je sais que ça aurait été possible et… c'est trop tard pour réserver ! Parce que, il y a seulement quinze jours, ça paraissait inimaginable avec Bruce !

- C'est vrai ! dit Léa en regardant par la porte-fenêtre ouverte les huit enfants nus qui jouent ensemble, allant et venant sans cesse entre l'eau et l'herbe. C'est vrai qu'il était… réfractaire ! Le voilà converti ?

- Peut-être pas encore complètement : je ne me risque pas encore, moi, à me mettre nue dans le jardin quand il y est. Il a commencé par admettre la nudité partagée entre garçons, grâce à Régis et à ses frères, il en est maintenant à l'accepter entre enfants des deux sexes, ne brusquons pas les choses… Le naturel d'Anaïs l'a bien aidé. Et aussi, la perspective des vacances chez les cousins de Régis. Si j'ai bien compris, il s'agit d'un Romain et d'une Jessica, jumeaux de bientôt douze ans, avec qui on camperait au bord d'une piscine et qui n'ont pas l'intention de mettre de maillots pour s'y baigner… Je ne sais pas ce que feront les parents, pas naturistes à priori mais… ouverts. Je leur fais confiance et lui, ça ne semble pas l'inquiéter… Mais te voilà bien rêveuse !

- Je les regarde jouer ! C'est tellement beau ces enfants complètement libres, délivrés de cette honte qu'on nous avait imposée !… Tu aurais imaginé ça, toi, il y a un an ?

- Pas une seconde ! Et je pense à l'enchaînement d'événements qui nous y a conduits, les enfants, toi et moi… L'héritage de Mélanie…

- C'est vrai… Tu crois qu'elle nous voit ?

- Va savoir…

FIN

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